Crypto-monnaie de Facebook : «Le but est d’accumuler des données personnelles»

Manuel Valente, l’un des meilleurs spécialistes français des monnaies virtuelles, revient sur l’annonce de Facebook qui lancera sa crypto-monnaie en 2020.

 La crypto-monnaie de Facebook permettra notamment de réaliser des achats ou de vendre des produits à travers la messagerie Messenger.
La crypto-monnaie de Facebook permettra notamment de réaliser des achats ou de vendre des produits à travers la messagerie Messenger. AFP/Loïc Venance

    Début 2020, les internautes pourront acheter des services et des produits, mais aussi transférer des sommes d'argent, via une crypto-monnaie propre à Facebook. Pourquoi le réseau social se lance-t-il dans la monnaie virtuelle? Comment va-t-il s'y prendre? Manuel Valente, directeur de la recherche de CoinHouse (anciennement la Maison du bitcoin), nous répond.

    Facebook va lancer une crypto-monnaie, qui s'appellera peut-être libra, ou globalcoin. Est-ce la mort annoncée du bitcoin ?

    MANUEL VALENTE. Non, le futur globalcoin de Facebook et le bitcoin ont des fonctionnements très différents. Le cours du bitcoin évolue tout le temps, en fonction de l'offre et de la demande alors que la monnaie de Facebook sera fixe, stable. Personne ne cherchera à en acquérir pour s'enrichir. À l'inverse, la plupart des utilisateurs actuels du bitcoin ont une stratégie d'investissement.

    À quoi le globalcoin va-t-il servir alors ?

    Facebook veut l'utiliser pour le commerce en ligne, voire pour l'imposer comme système de paiement entre Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Il pourrait servir par exemple de moyen de paiement pour les personnes commerçant à l'intérieur de Facebook et, pourquoi pas, ainsi, grignoter une partie du marché d'Amazon. C'est un très beau coup marketing et technologique, qui risque de renforcer le côté monopolistique de ce Gafa.

    Pour être acceptée de tous, une monnaie doit inspirer confiance. Comment Facebook va-t-il s'y prendre ?

    Le globalcoin aura une correspondance en dollars ou en un panier de différentes devises. Pour garantir la stabilité de sa monnaie, sa valeur, Facebook va mettre en face de chaque globalcoin ce que l'on appelle un sous-jacent (NDLR : ou collatéral), c'est-à-dire des vraies devises. En simplifiant, si un globalcoin vaut un dollar, pour chaque globalcoin créé, vous mettez, de côté un vrai dollar sur un compte en banque. Facebook n'a pas inventé cette logique. Une dizaine de projets fonctionnent déjà à peu près ainsi, on appelle cela un « stable coin ». Facebook va le faire de manière très intelligente.

    Qu'entendez-vous par là ?

    Dans le monde du bitcoin, par exemple, il y a ce que l'on appelle des nœuds – comprendre : des serveurs informatiques – qui contiennent des copies de l'intégralité des transactions réalisées. C'est ce qui rend le système si robuste (NDLR : les données ne peuvent pas être perdues). Facebook a décidé d'avoir 100 nœuds, 100 copies des transactions réalisées. Mais contrairement au bitcoin, où n'importe qui peut créer un nœud, là Facebook dit : pour en gérer un, il faut donner 10 millions de dollars. Bien sûr, seules les entreprises auront cette capacité d'investissement. Le milliard de dollars ainsi récolté servira de collatéral pour les globalcoin qui seront créées.

    Pourquoi de grandes entreprises sont-elles prêtes à verser 10 millions de dollars pour pouvoir gérer des serveurs informatiques ?

    L'intérêt de ces entreprises, c'est la mine de données qu'elles pourront ainsi obtenir et exploiter. Il y aura, sur chaque nœud, l'intégralité des transactions du système. C'est comme si, aujourd'hui, ces entreprises avaient un accès direct aux comptes bancaires : elles pourraient ainsi savoir qui achète quoi. Quelqu'un vient d'acquérir un appareil photo ? Vous lui proposez une assurance pour son appareil…

    Facebook vise donc les données personnelles ?

    Évidemment, le but est une nouvelle fois d'accumuler de nouvelles données personnelles pour les utiliser en interne ou les revendre.