«Numérique: les effets collatéraux positifs de la crise sanitaire». La tribune de Mahasti Razavi et Vincent Brenot

« Il n’existe aucune raison valable pour revenir en arrière et ne pas profiter de cette opportunité historique d’accélérer notre mue collective vers le numérique »
Mahasti Razavi et Vincent Brenot
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Mahasti Razavi et Vincent Brenot  -  Cabinet August Debouzy
Les faits -

Mahasti Razavi est managing partner au sein du cabinet August Debouzy et Vincent Brenot est associé.

Alors qu’un premier objectif de déconfinementau mois de mai est désormais ancré dans nos esprits, voilà plus de cinq longues semaines qu’une partie de la France télétravaille, que nos enfants suivent leurs cours en ligne, que nous Facetimons, Teamons, WhatsAppons ou Zoomonsen famille, entre amis, entre collègues, avec nos clients, que nous pouvons nous émerveiller devant les chefs-d’œuvre de nos musées, nous plonger dans les films oubliés ou les reportages de l’INA ou encore découvrir des « tutos » pour cuisiner et faire des travaux, le tout par écrans interposés. Voici aussi cinq longues semaines que certains consultent leurs médecins traitants en vidéo grâce à des applications, commandent en ligne des produits de première nécessité, créent une nouvelle forme de vie dont le cœur est technologique, digital.

Cette bascule digitale a été renforcée par les positions gouvernementales reflétées dans les ordonnances des mois de mars et d’avril 2020 prises sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 pour permettre la poursuite minimale des activités essentielles de la société française.

Ainsi, des tribunaux ont pu organiser des audiences par télé ou visioconférence. Des procédures administratives, comme des enquêtes publiques, ont pu être diligentées par voie dématérialisée. Des assemblées générales d’actionnaires ont pu se tenir par voie électronique, permettant d’éviter la paralysie de la vie des sociétés. Les signatures électroniques ont pu continuer à se généraliser, les facturations ont pu se faire en ligne et l’on a vu même naître un dialogue social virtuel.

Même si chacun a certainement conscience du mal qu’un enfermement digital extrême pourrait entraîner pour les individus, force est de constater que cette expérimentation en taille réelle d’une accélération de la dématérialisation de certaines de nos activités a sans doute permis de limiter, un peu, les conséquences économiques, sociales et sociétales de la crise sanitaire, et permettra la mise en œuvre d’un déconfinement par étapes.

S’il n’est évidemment pas question de pérenniser de façon systématique la digitalisation de tout ce qui nous entoure, et de réduire le lien humain et social à une forme d’exception, à l’inverse, ne pas tirer les leçons de cette expérience reviendrait à gâcher l’un des rares effets collatéraux positifs qui résulteront de la crise sanitaire.

Cette expérimentation en taille réelle d’une accélération de la dématérialisation de nos activités a permis de limiter, un peu, les conséquences économiques, sociales et sociétales de la crise sanitaire

Les personnes éprouvant des difficultés à se déplacer devront pouvoir, une fois l’état d’urgence sanitaire disparu, bien au-delà d’une phase transitoire de déconfinement, continuer à ester en justice, faire valoir leurs observations auprès de l’administration ou interroger les administrateurs des sociétés dont ils détiennent des actions. Il n’existe aucune raison valable pour revenir en arrière et ne pas profiter de cette opportunité historique d’accélérer notre mue collective vers le numérique.

Le seul obstacle qui demeure pour une généralisation de ces systèmes serait l’éventuelle atteinte à l’égalité entre les citoyens qu’elle pourrait générer.

En effet, il existe encore de trop nombreuses régions où l’accès à Internet est sinon inexistant, du moins d’une qualité tellement faible qu’elle n’autorise pas les usagers à pouvoir bénéficier de l’ensemble des facilités que la généralisation des digitalisations expérimentées pendant la pandémie permettrait.

La fracture numérique, héritière de la fracture sociale, se résorbe quantitativement, mais condamne chaque jour un peu plus le nombre résiduel de ses victimes. A cet égard, le Premier ministre soulignait dimanche dernier, lors de sa conférence de presse, l’existence de ces inégalités technologiques et territoriales, présentant un grand danger pour la France d’aujourd’hui, mais également de demain.

Il est vital d’accélérer la mise en œuvre duPlan France très haut débit, lancé en 2013, dont l’objectif était de couvrir l’intégralité du territoire en très haut débit, d’ici à 2022. Cet objectif a été ramené, de façon pour le moins incantatoire, à la fin de l’année 2020 par le Président Macron dont le portefeuille à Bercy sous le précédent quinquennat intégrait le numérique.

Au-delà de la couverture géographique, c’est également un plan d’accès à la culture digitale qui devra être mis en œuvre, pour que l’ensemble des administrés dispose d’un accès à Internet

La relance de notre économie passera nécessairement par des investissements massifs, publics et privés.

Au-delà de la couverture géographique, c’est également un plan d’accès à la culture digitale qui devra être mis en œuvre, pour que l’ensemble des administrés disposent d’un accès aux outils numériques et à Internet.

Dès 2012, l’ONU reconnaissait qu’accéder à Internet est un droit fondamental, au même titre que d’autres droits de l’homme.

Huit ans plus tard, il nous semble urgent, au titre de la cohésion des territoires et de l’égalité entre les citoyens, de relancer le débat ouvert par un groupe de parlementaires en 2018, visant à adjoindre à la Constitution, une charte du numérique sur le modèle de la Charte de l’environnement de 2004, qui imposerait notamment que « la loi [garantisse] à toute personne un droit d’accès aux réseaux numériques libre, égal et sans discrimination ». Nous l’appelons de nos vœux.

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