Courbet, Hockney, Warhol : face à la crise économique, les musées vendent leurs œuvres

Courbet, Hockney, Warhol : face à la crise économique, les musées vendent leurs œuvres
Pour survivre durant la crise sanitaire, le Brooklyn Museum vend 12 de ses oeuvres. Lucas Cranach l'Ancien, Lucrèce (détail), vers 1526-1537, huile sur bois, 58,4 x 40 cm, Brooklyn Museum.

Pour survivre à la crise financière actuelle causée par la pandémie de Covid-19, plusieurs institutions vendent leurs œuvres. Du Royal Opera House de Londres au Brooklyn Museum de New York, en passant par le Baltimore Museum of Art et le Cleveland Museum of Art, retour sur ce triste phénomène, de plus en plus pratiqué par les temps qui courent.

Aux grands maux les grands remèdes. Alors que les musées doivent faire face à d’importantes pertes financières liées à la crise sanitaire, certains ont pris la décision de mettre aux enchères des pièces de leurs collections. Qu’il s’agisse d’œuvres qui dorment dans les réserves, rarement exposées, ou bien des pièces jugées moins « pertinentes », de plus en plus de musées ont sauté le pas pour survivre à la situation actuelle. C’est notamment le cas d’institutions britanniques et américaines.

Vendre un Cranach pour financer l’entretien de ses collections

Pour financer l’entretien de ses collections et les charges salariales, le Brooklyn Museum de New York a annoncé la mise aux enchères de 12 œuvres, chez Christie’s le 15 octobre 2020. Parmi les lots en vente, on retrouve la Lucrèce (1526) de Lucas Cranach l’Ancien, L’Italienne debout tenant une cruche (1830) de Camille Corot, le Saint Jérôme de Donato de’ Bardi, un portrait de Lorenzo Costa et des œuvres de Giovanni dal Ponte, Francesco Botticini ou encore de Gustave Courbet. Ces toiles sont « de bons exemples de leur genre mais n’affaiblissent pas nos collections par leur absence », justifie Anne Pasternark, directrice du musée new-yorkais.

Lucas Cranach l’Ancien, Lucrèce, vers 1526-1537, huile sur bois, 58,4 x 40 cm, Brooklyn Museum.

Le Brooklyn Museum est loin d’être un cas isolé. Le Cleveland Museum of Art se sépare d’un ancien kylix athénien (490-480 avant J.-C.), l’Indianapolis Museum of Art vend la Jeune Femme assise, robe jaune (1921-1922) d’Henri MatisseLe Bassin de Deauville (1938) de Raoul Dufy ainsi que d’autres dessins et peintures françaises, le Modern Art Museum de Fort Worth retire de sa collection Nu sur un divan (1920) de Jules Pascin, le Laguna Art Museum met aux enchères la Jeune Femme allongée (1941) d’Henri Matisse, le Montclair Art Museum cède un Minotaure dessin de Pablo Picasso et le Springfield Museum se défait de La Poule de Pablo Picasso.

Situation similaire de l’autre côté de l’Atlantique. Le Royal Opera House de Londres a décidé de vendre le portrait de son ancien directeur David Webster, réalisé en 1971 par David Hockney. Au bord de la faillite, la maison préfère se séparer de cette prestigieuse peinture plutôt que de mettre la clef sous la porte. Estimé entre 12 et 20 millions d’euros d’après le journal britannique « The Observer », le portrait sera vendu chez Christie’s le 22 octobre 2020. « Alors que nous affrontons la plus grande crise de notre histoire, la vente du portrait de Sir David Webster par David Hockney constitue une part vitale de notre stratégie de rétablissement », explique Alex Beard, actuel directeur de l’institution, dans un communiqué. En effet, si des spectacles sans public et diffusés exclusivement en ligne ont été lancés lors de la réouverture du Royal Opera House en juin dernier, les revenus de l’institution ont toutefois diminué de moitié depuis le début de la crise sanitaire.

David Hockney, Portrait de David Webster, 1971, huile sur toile, Royal Opera House. ©David Hockney, Christie's, Londres 2020

David Hockney, Portrait de David Webster, 1971, huile sur toile, Royal Opera House. ©David Hockney, Christie’s, Londres 2020

Se séparer d’œuvres pour diversifier davantage sa collection

Pour d’autres musées, la vente de certaines pièces permet de maintenir les salaires du personnel mais également de diversifier leurs collections pour acquérir des œuvres d’artistes femmes et d’artistes noirs, un geste qui s’inscrit pleinement dans l’air du temps à l’époque des mouvements Me Too et Black Lives Matter. C’est le cas du Baltimore Museum of Art, qui espère rassembler près de 46,8 millions d’euros en vendant La Cène (1986) d’Andy Warhol en vente privée et 1957-G (1957) de Clyfford Still et (1987-1988) de Brice Marden chez Sotheby’s. Même cas de figure au Everson Museum of Art de Syracuse, qui a vendu le 6 octobre dernier Red Composition (1946) de Jackson Pollock pour 11,2 millions d’euros dans le but de diversifier davantage sa collection.

Jackson Pollock, Red Composition, 1946. ©Christie's Images Ltd 2020

Jackson Pollock, Red Composition, 1946. ©Christie’s Images Ltd 2020

Les règles du deaccessioning assouplies jusqu’en avril 2022

Si nous sommes habitués à observer des institutions acquérir des œuvres lors des enchères, les voir en vendre nous interpelle beaucoup plus. Cependant, le deaccessioning, le retrait de façon permanente d’une œuvre d’art de la collection d’un musée, est quelque chose qui était déjà pratiqué chez les Américains. En novembre 2019, le Brooklyn Museum s’était séparé de son Pape (1958) de Francis Bacon pour le mettre en vente chez Sotheby’s. Toutefois, les 5,6 millions d’euros récoltés avaient servi à dégager des fonds pour acheter de nouvelles huiles sur toile et non pour financer l’entretien du musée.

Pourquoi les musées américains se mettent-ils tous à vendre subitement leurs œuvres ? Durant le confinement, en avril 2020, l’Association of Art Museum Directors (AAMD) a annoncé dans un communiqué un assouplissement de ses règles face à la crise sanitaire. Jusqu’au 10 avril 2022, elle ne pénaliserait pas les musées qui « utiliseraient le profit d’une œuvre d’art retirée du musée pour payer les dépenses liées à l’entretien direct des collections ». Ainsi, les institutions peuvent essayer d’assurer leur survie en se séparant de quelques-uns de leurs objets d’art. Si autant de musées américains ont d’ores et déjà misé sur cette stratégie de crise six mois seulement après l’annonce de l’AAMD, cela n’est malheureusement que le début du triste phénomène. Il ne reste plus qu’à espérer que les visiteurs retournent dans les musées pour sauver leurs collections et éviter la dispersion en mains privées de ces précieuses œuvres.

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