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« Les labels de musique indépendants restent des catalyseurs de succès » selon le fondateur de Because

Emmanuel de Buretel, le fondateur du label Because (Christine, Justice, Major Lazer, Metronomy…) explique dans une interview aux « Echos » quelle est la place des grands labels indépendants sur le marché actuel de la musique.

Emmanuel de Buretel, fondateur de Because et président de la SPPF.
Emmanuel de Buretel, fondateur de Because et président de la SPPF. (KdB)

Par Nicolas Madelaine

Publié le 27 juin 2019 à 16:58Mis à jour le 28 juin 2019 à 07:58

Les labels indépendants comme Because, que vous dirigez, trouvent-ils leur place sur ce marché de la musique bouleversé par le numérique ?

C'est à la fois plus facile et plus dur. Le numérique abaisse les barrières à l'entrée et abolit les frontières. Néanmoins, nous encaissons la chute du physique et il faut bien gérer les outils des nouveaux modes de distribution. Il ne s'agit pas de seulement mettre les morceaux sur les plates-formes. Il faut maîtriser la data sur les DSP - c'est-à-dire les sites de streaming comme Spotify ou Deezer - et les réseaux sociaux, travailler la présence de nos artistes sur Instagram ou SoundCloud, pousser leurs titres sur les playlists, créer des chaînes sur YouTube, etc. Nous sommes aussi devenus de vrais producteurs audiovisuels. Nous produisons aussi des longs formats, comme le film space-opéra « Iris » pour le groupe Justice.

La montée des artistes s'autoproduisant et sous-traitant leur distribution à de nouveaux entrants n'est-elle pas une menace particulièrement vive pour les indépendants ?

Ce n'est pas une menace mais une stimulation. Il nous faut prouver que nous apportons de la plus-value à l'oeuvre et à l'artiste. Il y a toujours eu des artistes producteurs. Regardez Ceronne dans le disco, il était son propre producteur !

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Certes, il est devenu beaucoup plus évident de suivre cette voie grâce au numérique . Dans l'urbain, par exemple, bon nombre d'artistes commencent par une vidéo sur YouTube. Mais peu d'artistes en dehors du rap (Jul, PNL) explosent sans maison de disques. Nous sommes des catalyseurs de succès, très complémentaires de l'artiste aujourd'hui. Nous combinons l'expérience de la production audio et audiovisuelle avec le pouvoir marketing en France et à l'international, la gestion des datas de l'artiste et du flux de contenu que nous créons pour construire sa carrière. Il y a en outre un très gros travail de gestion de droits en France et à l'étranger sur le droit voisin et le streaming.

Il est vrai qu'être producteur est le métier le plus dangereux, de grands labels français ont disparu ces dernières années comme Naïve, Atmosphériques, Harmonia Mundi. Mais il y a une réelle émergence de nouveaux labels dans l'électro, le hip-hop et la chanson française - comme par exemple PopZer, Awa, Tout Terrain Music, Play Two, Grand Musique, Kilomaitre.

Les majors n'obtiennent-elles pas de meilleures conditions pour leurs artistes ?

Regroupés dans le réseau international Merlin, les indépendants obtiennent des conditions équivalentes avec les géants du numérique. Et, ayant moins d'artistes à défendre, ils le font mieux pour chacun d'entre eux. Les labels indépendants sont par ailleurs des garants de diversité et de renouvellement. C'est grâce à eux qu'on peut écouter de la nouvelle pop africaine particulièrement créative en ce moment venant de pays comme le Nigeria ou le Rwanda, ou de la musique concrète allemande. Ils pèsent lourd dans la production des artistes en développement français, les majors se contentant aujourd'hui principalement de licence ou de distribution. Les indés oeuvrent donc dans l'intérêt de tous les acteurs de l'industrie, notamment les géants du numérique et même des majors qui, souvent, les utilisent en laboratoire ou les rachètent.

Aujourd'hui, tout le monde ne jure que par la musique urbaine et les algorithmes accentuent ce phénomène. Mais de nouveaux courants émergent tous les jours. En outre, des publics plus âgés vont se mettre au streaming. L'exploitation des « back catalogues » en streaming est aujourd'hui un enjeu important pour les producteurs et les DSP. Ils créeront une nouvelle demande et sont aussi synonymes de diversité. Les indépendants contribueront en grande partie à satisfaire tous les genres.

Pour vous, il est temps de réorganiser la gestion collective française des droits voisins de la musique enregistrée (rémunération équitable sur les passages en radio, taxe sur la copie privée sur les CD, etc.)…

La France est un vrai village d'Astérix. Alors que nos pairs dans les pays voisins, notamment au Royaume-Uni, sont regroupés, nous avons quatre sociétés de gestion collective de droits voisins : la SCPP pour les majors principalement, la SPPF, que je préside, pour les labels indépendants, l'Adami pour les artistes-interprètes principaux et la Spedidam pour les musiciens. Si nous étions regroupés, nous ferions des économies d'échelle, nous pourrions attribuer davantage d'aides à nos associés et abaisser notre taux de gestion - je précise que celui de la SPPF est plus bas (5,5 %) que celui de la SCPP (8,3 %). Nous serions aussi plus forts face aux géants des médias et du Web, et aux Spotify et consorts, avec qui les discussions sont de plus en plus âpres. Il faut reproduire pour la rémunération des artistes et des producteurs de musique enregistrée ce que la Sacem a réussi côté rémunération des droits d'auteur.

Vous prônez une fusion ?

Pas tout à fait. La SCPP aimerait absorber la SPPF, pour n'être que le seul représentant des producteurs, mais c'est David contre Goliath et le conflit que nous avons avec eux sur la répartition de ce qu'on appelle les droits voisins « irrépartissables » (un enjeu à environ 24 millions d'euros qui vont aux aides à la production) montre que ce n'est pas dans notre intérêt. Nous proposons que ce rapprochement se fasse au niveau de la Spré (Société pour la perception de la rémunération équitable). Au lieu de seulement percevoir, comme aujourd'hui, cette société commune à nos quatre sociétés pourrait être équipée d'outils efficaces pour également répartir les droits à rémunération équitable.

Quels sont les grands dossiers actuels ?

Nous vivons une période charnière. Il faut aborder le sujet de la rémunération versée par les radios dans un univers où la frontière entre ce qui est interactif et ce qui ne l'est pas est de plus en plus floue. La playlist de France Inter ou les playlists de NRJ, disponibles en ligne, sont quasiment de la musique à la demande. Or le niveau de rémunération versé par les radios hertziennes au titre du droit à rémunération est sans commune mesure avec celui versé par les services de streaming : le taux moyen après abattement est de l'ordre de 3 %, quand les producteurs perçoivent 52 % au titre des revenus d'abonnement pour le streaming.

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Par ailleurs, toute la chaîne de production d'un morceau de musique devrait être rémunérée au moins autant que les auteurs pour un passage en radio, l'écart en notre défaveur étant de l'ordre de 40 % aujourd'hui. Nous devons aussi peser dans le débat sur l'inclusion des ordinateurs dans le périmètre de la copie privée puisqu'ils sont devenus des outils d'écoute plus prisés que les CD. Enfin, la progression du stream par abonnement soulève de plus en plus de questions au regard du mode actuel de partage des revenus, fondé sur un prorata numeris.

Cette règle est de plus en plus critiquée car elle concentre les revenus vers le sommet de la pyramide. Ce phénomène est dû à l'écoute en boucle de quelques dizaines de titres concernant un petit nombre d'artistes. Cela risque de provoquer un assèchement des revenus pour de nombreux artistes hors musiques urbaines et électro et l'éviction de genres musicaux comme certains segments de la chanson française, le classique, la world music ou le jazz.

Le modèle dit du « user centric », basé sur une répartition des revenus par utilisateur, serait plus vertueux . Il permettrait de réduire la part des « fake streams », d'assurer un meilleur ruissellement des revenus entre artistes et titres, ou encore de favoriser la diversité des genres musicaux. Bref, un modèle plus équitable. Les professionnels sont de plus en nombreux à vouloir basculer vers ce mode. Nous souhaitons qu'un consensus majoritaire se dessine en ce sens.

Nicolas Madelaine

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