Au Grand Palais, une expo insolite où les artistes sont des robots 

Les artistes tâtent de plus en plus de l’intelligence artificielle. Mais jusqu’où en ont-ils la maîtrise et qui, in fine, fait l’œuvre ? L’exposition “Artistes et Robots” explore ces questions à travers la présentation de ces nouveaux territoires artistiques, où plasticiens, informaticiens et scientifiques créent ensemble une nouvelle approche esthétique. Voici nos huit coups de cœur.

Par Carole Lefrançois

Publié le 12 avril 2018 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h26

«Désormais, l'artiste ne crée plus une oeuvre, il crée la création », déclarait déjà en 1956, le pionnier et visionnaire Nicolas Schöffer (1912-1992), avec Cysp 1, toute première "sculpture spatiodynamique" (visible dans l’expo) dotée d’un cerveau électronique connectée à des capteurs réactifs aux variations de sons et de lumières. L’art robotique était né. Ce qui était alors anecdotique s’est depuis développé de manière exponentielle dans notre société hyperconnectée. Un vaste champ créatif pour les artistes, de plus en plus nombreux à recourir à l’intelligence artificiellle pour leurs machines à créer, danser, composer, peindre… 

Au Grand Palais, une trentaine d’oeuvres permettent de mesurer l’étendue de cette émulation à la croisée de l’imaginaire et des savoirs-faire. Petit florilège des pièces maîtresses de l’exposition.

Pionnier de l’art virtuel et numérique depuis 1978, Miguel Chevalier, 59 ans, développe différentes thématiques, telles que “la relation entre nature et artifice, l’observation des flux et des réseaux qui organisent nos sociétés contemporaines, l'imaginaire de l'architecture et des villes virtuelles”, explique ce visionnaire, directeur artistique de l’exposition Artistes et robots. Ce Franco-Mexicain projette sur un mur concave un jardin luxuriant et très coloré (l’artiste dispose d’une palette virtuelle de 16 millions de nuances). 

Chaque fleur issue d’une graine virtuelle —dont il existe une centaine ”d’espèces”, au sens botanique du terme — va pousser en accéléré et en direct, se developper puis mourir en créant des variations spectaculaires. Cet herbier fantasmagorique détecte aussi les déplacements des visiteurs grâce à des capteurs de présence : on passe, les fleurs ploient, nous saluent, s’écartent... A la manière d’un paysagiste, l’artiste compose ici un jardin géant où le logiciel génére des formes à l’infini, créant chaque fois de nouvelles combinaisons esthétiques et aléatoires.

L’art robotique change fondamentalement la relation entre l’artiste et l’œuvre. Patrick Tresset, 51 ans, a conçu un robot dessinateur programmé pour reproduire ce qui passe dans son champs de vision à moins deux mètres. Il est constitué d'un bras articulé couplé à une caméra numérique motorisée. Qui donc est l’artiste ici ? Le robot ? L’informaticien à l’origine du logiciel ? Ou le plasticien ? 

Une de ses plus célèbres installations théâtrales, 5RNP, fait de l’humain un simple acteur inerte, un modèle vivant dessiné par une machine en forme de vieux bureau d’écolier doté d’un bras articulé nerveux et précis qui tient un stylo noir : “leurs yeux (des webcams) se concentrent sur le sujet et le dessin. La personne, réduite au rôle de “sujet d’étude”, est à la merci des robots qui la scrutent et tiennent le véritable pouvoir”, décrit Patrick Tresset. Le dessin final, d’une justesse troublante, remet en question la place de l’artiste. Une nouvelle ére s’ébauche dans les domaines du dessin et de la photo.

Entrer dans l’œuvre de Raquel Kogan, 63 ans, c’est intégrer la matrice de son logiciel. Une expérience immersive dans une cascade de nombres générés automatiquement par un ordinateur, projetée dans une salle sombre tapissée de miroirs.

L’installation interactive de la Brésilienne invite le spectateur à se laisser envelopper, absorber, phagocyter par cette série de chiffres qui glissent sur lui comme pour l’intégrer au circuit informatique. L’artiste qui s’intéresse depuis toujours aux interactions entre paysages, architectures et technologies, questionne aussi bien la perception de l’humain face à la technologie que le rôle du spectateur dans l’œuvre d’art. 

Vidéo hypnotique, musique pénétrante : l’état émotionnel de l’artiste est, ici, retranscrit sur grand écran. Pour parvenir à ce prodige, l’Italien Jacopo Baboni Schilingi, 47 ans, porte sur son corps un capteur de respiration qui prend compte de la dilatation de sa cage thoracique à chaque instant. Appelé “Argo”, ce dispositif est une installation perpétuelle qu’il porte sur lui depuis le mois de juin 2017 (24/24h et 7/7j).

Les données sont transmises par le dispositif technique connecté à son smartphone. A partir de ces informations, les algoritmes  développent en temps réel sur écran un dessin en mouvement couplé à une musique : “c’est une nouvelle approche des liens entre l’expérience esthétique incarnée et l’abstraction informatique”, précise le compositeur Italien. Cet artiste pluridisciplinaire développe aussi une œuvre interactive pour orchestres. Fondateur du groupe de recherche PRISMA, il a notamment formalisé la musique hyper-systémique obtenue via un outil connecté (des modèles génératifs de sonates, par exemple, combinés à de nombreuses variations possibles sur ordinateur). 

Michael Hansmeyer se présente comme un « architecte computationnel », avec une double formation d’architecte et de programmeur informatique. Il utilise le digital comme outil de création et de construction de formes architecturales. Au Grand-Palais, son œuvre, Astana Columns, est un temple éphémère aux colonnes monumentales en carton, sculptées par la machine, toutes différentes et d’une finesse saisissante.

Les illusions d’optique du plasticien autrichien Peter Kogler, 45 ans, reconfigurent les espaces traversés. Une série d’entrelacs créés par ordinateur et reproduits sous forme de papiers peints sont appliqués … du sol au plafond. Ces motifs psychédéliques semblent onduler, déformant la topographie des pièces, brouillant les repères visuels des visiteurs alors happés par le graphisme. 

La botaniste viennoise, sculpteuse et anthropologue Christa Sommerer (54 ans) et le “développeur de synthétiseurs” français Laurent Mignonneau (51 ans) comptent parmi les pionniers de l’art interactif. Leurs créations sont à la croisée des arts, des sciences et des nouvelles technologies.

L’œuvre exposée, un essaim de mouches mobiles, reproduit la silhouette du visiteur qui s’arrête devant le cadre-écran. Comme dans un miroir, il se voit alors, entre fascination et répulsion, perpétuellement redéfini par le grouillement de ces désagréables diptères. 

L’insolite robot-taggueur de ce Japonais de 34 ans est une structure articulée en métal fixée sur un skateboard qui se déplace selon un programme algorithmique élaboré par un informaticien  et suivant des mouvements mis au point par des ingénieurs. Armé de bombes aérosol, il est capable, un fois lâché, de couvrir les murs de graffitis plus ou moins réussis. Mais qui change les bombes quand elles sont vides ? 
 

 

A voir : jusqu’au 9 juillet, au Grand Palais (fermé le mardi).

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