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Eric Barthélémy 2

Pourquoi les acteurs historiques du Tourisme doivent s’emparer de la donnée

Pour les dataïstes, tout est donnée. Mais au fait, c’est quoi la donnée ? A qui appartient-elle ? Évident ? Pas tant que ça…

Il y a quelques années de cela, je lisais une interview du PDG d’IBM de l’époque qui expliquait que la vente de PC et de serveurs n’était plus forcément le cœur de métier de la société et que la donnée devenait le Saint Graal. J’avoue qu’à l’époque, je ne comprenais pas vraiment sa stratégie. Comment pouvait-il scier la branche sur laquelle IBM était confortablement installée depuis des dizaines d’années, au profit de quelque chose d’aussi abstrait? Avec le recul, il paraît maintenant évident qu’il souhaitait éviter le syndrome Kodak… avant qu’il ne se produise. Pourquoi je vous parle de Kodak ?

Kodak a mis au point la photo numérique dès 1975, mais n’a pas su ensuite prendre le virage vers le numérique lorsque celui-ci a été général dans les années 2000, par peur de sacrifier la photo argentique. Résultat : mise en faillite de la société… La stratégie d’IBM était tout autre et ils ont compris très tôt la valeur qu’a la donnée. Cela ne les a pas empêchés de conserver les branches de fabrication de serveurs les plus lucratives. Pas fous non plus.

Mais au fond, la question que l’on peut se poser est : à qui appartient vraiment la donnée ? Et surtout quelle valeur peut-on en tirer ? J’y vois deux réponses (au moins).

La donnée propriétaire et la donnée anonymisée

La première est évidente. La donnée appartient à un individu ou à une société : mon nom, mon numéro de téléphone, ma localisation, une liste de clients, du code informatique… Et l’exploitation de cette donnée très précise peut permettre d’envoyer des offres très ciblées.

C’est en ce sens qu’est né le règlement général sur la protection des données (RGPD). Le RGPD est un texte européen qui devient la référence en matière de protection des données à caractère personnel. Il vise à remplacer les textes en vigueur dans les différents états membres de l’UE et à renforcer la protection des données pour les individus.

Si on lit entre les lignes, il vise à encadrer l’utilisation faite par les GAFA et consorts des données de leurs utilisateurs. Mais ayez toujours ceci en tête : « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit. »

La deuxième l’est un peu moins : qu’en est-il des données « anonymisées ». Par exemple, je navigue sur un site, je crée donc du trafic et le propriétaire du site va se servir de ce trafic pour voir quelles sont les pages les plus vues, celles où l’on passe le plus de temps… Ce dernier cas est plus flou. La donnée appartient au propriétaire du site même si j’ai contribué à la créer.

Ce qui est intéressant avec ce dernier type de données, c’est qu’on peut également en tirer énormément de valeur, voire créer de véritables business modèles autour.

Observez ce qu’il se passe lorsque vous regardez un article sur Amazon : le site vous montre ce que les clients ayant achetés cet article ont également acheté. Il vous propose même des packs de produits fréquemment achetés ensemble à un prix préférentiel. Il s’agit ici de simples corrélations sur la multitude de données générées par les internautes mais qui servent à Amazon à influencer le comportement d’achat de ses clients. Il ne s’agit plus de la donnée qui vous est propre mais bien d’une donnée plus générale qui, au final, sert à faire des recommandations très précises.

Le fail de Google Flu

Mais cela ne fonctionne pas tout le temps. Célèbre contre-exemple, Google Flu®. Souvenez-vous de ce service lancé par Google en 2008 et qui visait à prédire les épidémies de grippe. Le principe était que lorsque l’on tapait des termes tels que « grippe » ou « toux » sur le moteur de recherche, celui-ci analysait ces requêtes et fournissait une prévision localisée des pics de grippe avant les autorités sanitaires de chaque pays. Problème, ces analyses étaient parfois 50% supérieures à la réalité. Le service est fermé depuis 2015. On ne peut pas gagner à tous les coups.

Les données dans le Tourisme

Et dans le Tourisme me direz-vous ? Le Tourisme est, dans son ensemble, un formidable générateur de données. Et des startups se créent régulièrement en basant leur proposition de valeur sur ces données.

L’une des plus connues au niveau mondial est Skyscanner. Le comparateur de vols propose une fonction qui permet de savoir pour une destination le meilleur moment pour partir en fonction du prix mais surtout le meilleur moment pour réserver en fonction du yield des compagnies sur les années précédentes.

Autre exemple plus récent, Google vient d’annoncer que son application Google Trips allait prédire à l’avance les retards potentiels des vols. Il s’agit ici d’une analyse des retards de chaque vol et de la récurrence de ceux-ci.

On voit dans ces deux exemples que les données utilisées sont très généralistes et appartiennent finalement au domaine public, mais qu’elles permettent d’apporter une vraie valeur aux voyageurs.

Les agences de voyages et les tours opérateurs sont aujourd’hui confrontés à cet enjeu majeur mais ne semblent pas en prendre la mesure. Pourtant les changements actuels tels que NDC pourraient changer la donne.

Prenons l’exemple des TMC qui stockent leur profils voyageurs et sociétés sur les GDS. La difficulté qu’ont les TMC à mettre à jour, extraire et synchroniser cette donnée, soulève la question de la propriété de celle-ci. A qui appartient-elle ? A l’agence ? Au GDS ? Et si l’on va plus loin, demain, avec les réservations NDC qui pourront se faire hors GDS, comment les TMC pourront-elles exploiter ces profils sur d’autres systèmes ? Certaines TMC créent aujourd’hui leur propre base de profils pour redevenir maîtresses de leurs données, même si cela a un coût, et surtout pour l’exploiter plus facilement. C’est la base de profils de la TMC qui devient maître et qui alimente le GDS.

Cet exemple est loin d’être isolé et touche tous les métiers d’une agence de voyage ou d’un tour opérateur : gestion des risques voyageurs, évolution des tarifs aérien et hôtelier, gestion des cartes d’abonnement, pilotage des ventes et des achats.

Utiliser les données pour ne pas se faire disrupter

Ces quelques exemples démontrent l’importance prise par la donnée et son exploitation.Les acteurs de la nouvelle économie intègrent directement ces données à leur proposition de valeur et leur modèle économique s’en trouve modifié.

Certains acteurs traditionnels ont également bien compris l’enjeu et pivotent pour ne pas se faire « disrupter » par ces nouveaux entrants. A contrario, les acteurs qui minimisent ces enjeux, ou pire, qui n’y sont pas du tout sensibles, pourraient se voir très rapidement dépassés tant la différence de valeur proposée devient de plus en plus importante.

Alors et vous, qu’allez-vous faire de vos données ?

Photo d’ouverture : Ehud Neuhaus

Autre chronique d’Eric Barthélémy : Du Big Data au « Dataïsme »

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