Que veut dire "Je est un autre"? Ou plutôt, "qui" veut le dire?
- Alain Sager Philosophe, membre de la Société Voltaire et de la Société des études voltairiennes
la parole poétique, nous dit Rimbaud, n'émane pas du poète qui la profère, mais, précisément, de cet "autre" qu'il s'agit de faire advenir dans le poème. N'est-ce pas alors du côté des "autres" - le forçat, le "nègre", la "vierge folle" - qu'il faut chercher le vrai Rimbaud? Laissez-vous guider par Alain Sager dans les pas d'un inlassable exilé, qui n'a eu de cesse de se chercher aussi loin que possible du lieu de son origine.
Le texte du jour
On n’a jamais bien jugé le romantisme ; qui l’aurait jugé ? Les critiques !! Les romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si souvent peu l’œuvre, c’est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur ?
Car Je est un autre. Si le cuivre – s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la Symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. (…) La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. (…) – Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.
Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche en lui-même, il épuise tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. (…) Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils continueront par les horizons où l’autre s’est affaissé ! »
Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871, Pléiade (2009) pp 343-344
Lectures
Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871, Pléiade (2009) pp343-344
Rimbaud, Une saison en enfer, « Mauvais sang » Pléiade (2009) pp. 250-251
Rimbaud, Une saison en enfer, Délires I, Vierge folle, L’époux infernal (Pléiade, 1972, pp. 102-103)
Références musicales
Léo Ferré, On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans
Elliott Carter, Figment III - pour contrebasse
Adolf Von Henselt, 12 études caractéristiques op 2 : étude en ré min op 2 n°1 : orage, tu ne saurais Samuel Feinberg, Berceuse pour piano
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