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Alain Asquin: "Entreprendre, ce n’est pas juste créer une startup"

INTERVIEW // L’entrepreneuriat étudiant a été relancé début mai par la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal. Un mois plus tard, le premier délégué ministériel à l’entrepreneuriat étudiant Alain Asquin a déjà pris ses fonctions. Il a accordé sa première interview aux Echos START.

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Après avoir créé et dirigé le pôle pépite BEELYS (Lyon et Saint-Etienne), Alain Asquin a été nommé début juin délégué ministériel pour l'entrepreneuriat étudiant. (Romain Chambodut pour Trafalgar Maison de Portraits)

Par Julia Lemarchand

Publié le 12 juin 2019 à 07:00Mis à jour le 12 juin 2019 à 09:23

Bien mais peut mieux faire. Voilà en substance ce que l’on retenait du premier grand rapport remis mi-janvier à Frédérique Vidal sur le plan en faveur de l'entrepreneuriat étudiant lancé en 2013 avec la création des pôles étudiants pour l'innovation, le transfert et l'entrepreneuriat (PEPITE), du diplôme étudiant entrepreneur (D2E) et du statut national d'étudiant entrepreneur (S.N.E.E.). Le tout, créant les conditions adéquates pour les jeunes, prioritairement les moins de 28 ans, souhaitant entreprendre tout en bénéficiant d’un accompagnement et d’une organisation des études adaptés.

“Aller plus loin” est le nouveau mot d'ordre de la ministre, qui lançait début mai “L'esprit d'entreprendre”, un nouveau plan pour  sensibiliser tous les jeunes en cours d'études à l'innovation et l'entrepreneuriat. Enseignant-chercheur à l’iaelyon-Université Jean Moulin Lyon 3, Alain Asquin dirigait jusque-là le pôle pépite BEELYS ainsi que le programme Lyon Start Up. Le tout nouveau délégué à l’entrepreneuriat étudiant, entré en fonction début juin, fait le point sur les nouvelles ambitions ministérielles, nous rappelle qui sont les étudiants-entrepreneurs, et comment le devenir...

Les Echos START : Peut-on apprendre à entreprendre ?

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Alain Asquin : Cette question a occupé beaucoup de chercheurs jusqu’aux années 80. Ces débats, entre le caractère inné et acquis, ont finalement montré que l’on ne naît pas entrepreneur, même si des éléments de contexte peuvent le favoriser. C’est un métier qui requiert des compétences à acquérir. Il n’y a pas de déterminisme. Même les postures s’apprennent, dès lors que l’on est bien accompagné.

Pour autant, l’entrepreneuriat ne peut être enseigné uniquement de manière professorale dans un amphi, mais par la mise en action concrète - “c’est en faisant que l’on apprend” - et aussi de manière collective. Le métier d’entrepreneur consiste à développer une offre face à une multitude de contraintes paradoxales. Ceci ne doit pas être perçu comme un élément anecdotique, mais bien comme une compétence clé à maîtriser. Pour cela, l’entrepreneur doit apprendre à consulter et s’entourer, et non se renfermer pour se protéger.

Y a-t-il encore des idées fausses qui circulent sur le statut étudiant-entrepreneur ?

Spontanément, lorsque l’on parle d’étudiant entrepreneur les gens font l’amalgame avec le statut auto-entrepreneur. Or, les projets engagés par les étudiants et les jeunes diplômés se transforment essentiellement en sociétés, quelle qu’en soit la forme. Si le statut “micro” est adopté, c’est souvent dans une phase de test. L’étudiant entrepreneur n’est d’ailleurs pas forcément amené à créer une entreprise in fine. Il peut vouloir mener un projet associatif, culturel ou d’économie sociale et solidaire. L’entrepreneuriat est un moyen et non une fin.

Enfin, contrairement aux idées reçues, le statut (comme ne le dit pas son nom !) n’est pas uniquement réservé aux jeunes en études. Il peut s’adresser à des personnes en reconversion qui, après avoir travaillé quelques années, veulent mener un projet entrepreneurial. Dans ce cas, le statut leur permet de devenir entrepreneur, en redevenant étudiant, et de bénéficier d’un accompagnement pour développer leur projet.

Quel est le profil type de l’étudiant-entrepreneur ?

Ce sont plutôt des jeunes hommes (à 65%) mais la féminisation progresse significativement ces dernières années. On retrouve souvent des étudiants en fin de cycle, en fin de licence professionnelle ou en master. Il faut encore faire progresser le nombre de jeunes docteurs qui envisagent l’entrepreneuriat comme perspective professionnelle.

Toutes les filières, en revanche, sont concernées. On retrouve naturellement une plus grande proportion de profils des différentes spécialités d’ingénieurs et de profils business. Les étudiants en sciences humaines commencent à s’y intéresser et c’est une bonne nouvelle, car comme je le disais il y a bien d’autres façons d’entreprendre que de seulement créer une startup.

En cinq ans, un peu plus de 8.000 étudiants et de jeunes diplômés ont bénéficié du statut étudiant-entrepreneur. Une goutte d’eau au regard des 2.700.000 étudiants en France. Pourquoi le statut n’a-t-il pas décollé ?

Je ne serais pas si définitif : 8.000 jeunes engagés à créer leur activité, c’est un chiffre important ! C’est même tout à fait inédit, au point qu’à l’étranger ce dispositif, et notamment la notion du Statut, suscite beaucoup d’intérêt. Il faut rappeler que les étudiants aujourd’hui qui demandent le plus le statut sont ceux qui arrivent en fin de cycle, ce qui réduit considérablement la base du ratio d’étudiants.

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Enfin, on a tendance à concentrer notre attention sur le statut étudiant-entrepreneur, mais les programmes de sensibilisation à l’entrepreneuriat touchent beaucoup de jeunes, et il faut tenir compte du fait que ces programmes permettent d’intégrer dans les entreprises et notamment dans les PME, des jeunes talents à l’esprit entrepreneurial.

Combien de jeunes sont sensibilisés chaque année, et comment ?

Aujourd’hui, les données sont encore trop disparates. Cela fait également partie de ma mission de créer une enquête annuelle robuste, permettant de faire un suivi précis de l’attractivité de l’entrepreneuriat auprès des étudiants. Pour parler de ce que je connais le mieux, venant du pôle Pépite de Lyon St Etienne, 16.000 jeunes sont sensibilisés chaque année par le pôle, en plus de ce que font les établissements d’enseignement supérieur. Parmi les dispositifs imaginés par les 3 pôles de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le programme “campus création” fait travailler pendant 5 mois 250 équipes pluridisciplinaires. Ce sont environ 1.000 jeunes par session qui relèvent un défi au travers d’une création d’activité, certes virtuelle, mais très complète. Ils ont des séminaires et sont accompagnés par des mentors.

Vous venez d’être nommé Délégué Ministériel à l'Entrepreneuriat Étudiant. C’est une première. Pourquoi n’y en a-t-il pas eu avant, notamment au moment du lancement du plan en faveur de l'entrepreneuriat étudiant ?

Je ne peux pas parler au nom des responsables qui ont lancé le statut étudiant-entrepreneur il y a cinq ans. Ce qui est clair pour moi, c’est que la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation Frédérique Vidal veut changer d’échelle sur l’entrepreneuriat étudiant et agir en prise direct avec les différents acteurs, que sont les présidents d’université mais aussi les opérateurs de l’écosystème comme la BPI par exemple. La condition première pour relever ce défi, c’est d’avoir un délégué ministériel qui lui reporte directement.

Si vous deviez retenir trois mesures clé présentées par la ministre, quelles seraient-elles ?

La première est que tout jeune pourra se voir proposer pendant ses études une sensibilisation aux démarches créatives et à l’entrepreneuriat pour découvrir des compétences insuffisamment mobilisées. Par ailleurs il ne faut pas que l’entrepreneuriat soit toujours à part ou à côté des cours. Il faut favoriser la connexion de l’entrepreneuriat avec les métiers enseignés afin decréer un intérêt ou/et une meilleure compréhension de leurs spécificités.

Deuxièmement, aucun jeune ne doit renoncer à l’entrepreneuriat pour des raisons financières. D’où la décision de financer une gratification compensant l’indemnité de stage notamment pour les boursiers et les meilleurs dossiers qui optent pour une période de professionnalisation sur leur projet d’entrepreneuriat réalisé à la place du stage. Enfin, je citerais l’ambition de faire des pôles PEPITE des lieux de création d'innovation sur les campus aux meilleurs standards professionnels.

Il existe justement de fortes disparités entre les 30 pôles PEPITE, comment résoudre cette équation ?

Ce n’est évidemment pas une question de compétence. Il y a des talents incroyables à mobiliser dans tous les territoires. Il est vrai cependant que certains peuvent manquer de soutien de la présidence de l’université ou de leur région, d’autres n’ont pas mis en place la bonne stratégie, ou ne sont pas assez connectés à l’écosystème entrepreneurial, ni au territoire… Il faut agir pour que tous les pôles puissent proposer une offre homogène (ce qui ne veut pas dire standardisée) afin que chaque jeune puisse avoir accès à la même qualité de services où qu’il soit. Il faudra évidemment que les acteurs des territoires souscrivent à cette ambition, car on ne pourra pas avoir à terme des PEPITE qui n’en auraient que le nom et pas le niveau de services.

Concrètement ?

Il n’y a pas de baguette magique mais une démarche rigoureuse et entrepreneuriale que l’on va mettre en place. Je vais lancer un appel à contributions auprès de l’ensemble des pôles PEPITE sur chacun des axes du nouveau plan (certification des compétences, montée en qualification des équipes ; création un standard de qualité, formation des docteurs, internationalisation, …). Les réflexions conduiront à définir des référentiels de bonnes pratiques. Ce processus collectif et solidaire ira vite. D’ici à la fin de l’année, on passera à l’action avec les solutions concrètes qui auront émergé de Pépites réunis en « clusters » thématisés. 

L’Etat finançait jusqu’alors le plan à hauteur de 5 millions d’euros par an, le reste est financé par les collectivités territoriales. Les auteurs d’un rapport publié en janvier plaidaient pour une hausse significative de la contribution de l’Etat. De quels moyens allez-vous disposer ?

J’ai une enveloppe d’ores-et-déjà disponible pour 2019 pour amorcer rapidement ce dont je viens de parler. Je ne peux pas vous donner le montant, mais c’est significatif. Et il y aura davantage de budget pour les deux prochaines années. En tout cas, c’est ce que la ministre va défendre auprès de Bercy lors du prochain budget. Soyons clair, nous ne défendons ici pas une approche dispendieuse. Rappelons que la frugalité est une vertu cardinale dans l’entrepreneuriat ! Mais il faut les moyens de nos ambitions. Chaque euro sera engagé en fonction de sa capacité à créer de la valeur. Sur ce sujet, le ton est déjà donné.

Si je suis étudiant.e, quelles démarches à faire, quand et auprès de qui pour devenir étudiant-entrepreneur ?

Chaque pôle PEPITE procède à ses sélections selon son calendrier. Les premières se font entre fin juin et début juillet mais la plupart des comités d’engagement, qui choisissent les profils, se déroulent à la rentrée. Certains continuent de recruter tout au long de l’année à travers plusieurs promotions. Le mieux est de poser directement la question par mail au pôle PEPITE de votre territoire. A noter que la réponse aux interrogations des jeunes n’est pas nécessairement le statut étudiant-entrepreneur.

Comment se déroule la sélection des dossiers ?

Concernant le statut, il y a un dossier à remplir et, généralement, un entretien mené par des enseignants et des entrepreneurs impliqués dans le pôle. En moyenne, sur 100 candidats, 70 sont retenus. Pour information, on regarde moins le projet que la personne (son engagement, sa motivation, sa capacité à être challengé…). Si j’ai une recommandation à donner aux futurs candidats : montrez combien votre idée est importante pour vous avant de vouloir prouver qu’elle est faisable. Il faut que vous puissiez expliquer au comité que vous avez testé cette idée, que vous avez consulté des professionnels, vu des possibles prospects…que vous êtes en action. La Pépite, c’est d’abord vous.

Julia Lemarchand

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