Anne-Laure Vial et Delphine Bouétard rongent leur frein. Des milliers de livres, soigneusement choisis, ont déjà été livrés dans leur future librairie du boulevard Poissonnière, dans le 2e arrondissement de Paris. Certains ont même été placés en rayon. Des bandes dessinées, le dernier Elena Ferrante. Mais pour les vendre, les deux femmes doivent encore patienter, le temps que toutes les tables arrivent et que les peintures sèchent. Mme Vial slalome entre les cartons : « Ici, devant le grand escalier qui descend au sous-sol, il y aura un bar, il faut juste sortir le matériel des caisses. » Dans quinze jours, les premiers clients pourront entrer, promis. Pas question de rater les achats de Noël.
C’est un événement rare : à Paris, une vaste librairie s’apprête à ouvrir ses portes, sous le nom tout simple d’« Ici ». Un point de vente indépendant, sans lien avec une chaîne comme la Fnac. Environ 500 mètres carrés, en bas d’un bel immeuble de la fin du XVIIIe siècle. Cela en fera « la plus grande librairie indépendante ouverte d’emblée avec une telle surface dans la capitale », selon le magazine professionnel Livres hebdo.
Au fil des décennies, cet emplacement a accueilli un marchand de soieries, un magasin de jouets, un bar, des salles de cinéma, avant d’être découpé en deux boîtes de nuit, le Pulp et le Scorp, puis transformé en boutique d’habillement pour enfants. Orchestra, le dernier occupant, a plié bagage en 2017. « Cette fois, une librairie va donc remplacer un magasin de vêtements, et non l’inverse comme c’est fréquent », remarque Mme Bouétard dans un sourire. Bonne nouvelle au métro Bonne-Nouvelle !
Paris a perdu 350 librairies depuis 2000
Cette création annonce-t-elle pour autant la fin du déclin pour les librairies parisiennes, l’amorce d’une reconquête ? Rien n’est moins sûr. Depuis 2000, Paris a perdu 350 librairies, soit une sur trois, selon les pointages de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR). Il n’en reste plus qu’environ 715. Il s’agit d’« une des plus fortes baisses observées par les commerces culturels parisiens depuis le début des années 2000 », observe l’APUR. Peu de secteurs ont subi pire chute, si ce n’est les kiosques à journaux et les marchands d’électroménager. Au fil des ans ont ainsi disparu les PUF près de la Sorbonne, La Hune à Saint-Germain-des-Prés, le Virgin Megastore des Champs-Elysées, et bien d’autres.
Dans le cagibi qui leur sert de bureau provisoire, boulevard Poissonnière, Mme Vial et Mme Bouétard sont pourtant rayonnantes. « Notre projet d’ouvrir une grande librairie n’est absolument pas une folie », assurent en chœur les deux « presque jumelles » de 48 ans. Elles en sont persuadées : malgré le déclin de la lecture et la concurrence d’Amazon, « Il y a de la place pour des librairies hors des réseaux, avec une offre solide et une grande attention portée aux clients. » N’est-ce pas ce qui fait le succès du Merle moqueur, dans le 20e arrondissement, de Maupetit, à Marseille, ou Le Failler, à Rennes ?
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