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Cindy Gallop, prêtresse de la sextech: «Pour savoir comment faire l'amour, il faut le voir»

Publicitaire et entrepreneuse, Cindy Gallop a inventé le terme «sextech» et lancé Make Love Not Porn, une «plateforme de sexe social».

Le sexe est une chose trop sérieuse pour ne pas dire ou montrer les choses avec franchise. | Ask Cindy Gallop via <a href="https://www.facebook.com/AskCindyGallop/">Facebook</a>
Le sexe est une chose trop sérieuse pour ne pas dire ou montrer les choses avec franchise. | Ask Cindy Gallop via Facebook

Temps de lecture: 5 minutes

«Faites l'amour, pas du porno.» Cindy Gallop a prononcé cette phrase pour la première fois lors d'un TED Talk il y a dix ans –une conférence restée dans les mémoires de l'événement comme l'une des plus emblématiques.

Depuis, la Britannique installée à New York a inventé le concept de sextech et monté sa propre entreprise Make Love Not Porn, qu'elle qualifie de «plateforme de sexe social». L'idée est d'y éduquer les gens au sexe avec des vidéos de gens qui font l'amour –comme dans la chambre à coucher.

Avec son expérience dans la publicité et son art du discours, elle a répondu à nos questions sur le sexe et les machines. Sans jamais mâcher ses mots.

korii: Vous avez créé Make Love Not Porn il y a six ans. Où en est le projet?

Cindy Gallop: Pas où j'aimerais qu'il en soit. Je n'avais pas réalisé l'ampleur de la bataille que j'allais devoir mener. C'est le même combat pour toutes les start-ups sur le sexe. Les notes de bas de page des contrats et des chartes indiquent toujours «pas de contenu réservé aux adultes». On ne peut pas trouver d'investissements. C'est une dynamique sociale, que j'appelle: «la peur de ce que les autres pourraient penser».

Les banques ne veulent pas de nous. Ça m'a pris quatre ans pour en trouver une qui pourrait gérer nos paiements. Pour chaque petit détail, on nous dit «Non, contenu réservé aux adultes». Nous avons dû construire notre plateforme de partage de A à Z –parce que les services existants ne diffusent pas de contenu adulte.

Après quatre ans à enfoncer des portes, j'ai réussi à obtenir des financements l'année dernière. J'avais besoin d'engager un ingénieur UX, j'ai posté une annonce sur Upwork [un site d'annonces en ligne, ndlr]… Vingt minutes plus tard elle avait disparu. Lorsque j'ai demandé pourquoi, ils m'ont répondu qu'ils ne pouvaient pas la garder car le nom de l'entreprise était «Make Love Not Porn».

Alors, youpi, maintenant nous avons le financement pour faire de la pub, mais personne ne veut de notre argent, ni Facebook, ni les autres réseaux. Alors où est-ce que nous en sommes maintenant? Extrêmement frustrés!

Un extrait du fameux TED Talk offert par Cindy Gallop.

La règle qui bannit le contenu réservé aux adultes est en place pour protéger les enfants et bloquer les contenus dangereux comme la pornographie infantile, non?

La règle qui interdit le contenus réservé aux adultes n'est pas la raison pour laquelle les jeunes enfants tombent sur du porno. Ça arrive quand ils tapent quelque chose d'innocent sur Google et les résultats sont complètement différents de ce qu'ils s'attendaient à trouver.

La manière d'endiguer le problème n'est pas de tout bloquer et censurer, c'est de s'ouvrir. Quand vous forcez une industrie entière à rester dans l'ombre, cela rend difficile de faire de bonnes choses et beaucoup plus facile d'en faire de mauvaises. L'industrie doit passer par des voies criminelles ou piéger les gens.

Le problème n'est pas le porno, le problème est que l'on ne parle pas de sexe dans le monde réel.
Cindy Gallop

Comment peut-on expliquer aux enfants qu'ils ne pourront pas échapper au porno sur internet?

Vous ne pouvez pas commencer à parler de sexe trop tôt à un enfant. Vous devez parler très tôt de sexe à un enfant. Le plus important n'est pas ce que vous dites mais comment vous le dites: ne les empêchez pas d'en parler, ne soyez pas en colère ou gêné. Soyez direct et honnête. Ouvrez une conversation à double sens et parlez du porno.

C'est beaucoup plus simple que vous le pensez: «Chéri, nous venons juste de parler de sexe. Maintenant… tu vois les dessins animés que tu regardes? Ils ne sont pas réels, n'est-ce pas? Et bien il y a aussi des vidéos sur le sexe en ligne, et elles ne sont pas réelles non plus. C'est ce qu'on appelle du porno. Si jamais quelqu'un te montre ça ou que tu en vois, viens nous en parler et on pourra t'expliquer ce que c'est.»

En faisant cela, vous avez fait deux choses très importantes: un, dans l'esprit de votre enfant, le porno n'est pas réel, et deux, il peut venir vous en parler. Le problème n'est pas le porno, le problème est que l'on ne parle pas de sexe dans le monde réel.

Nous sommes en 2019 et nous parlons un peu plus de sexe… mais toujours très peu. Il y a un vrai fossé entre les pays et les cultures dans le monde.

J'aime demander aux gens: quelles sont vos valeurs sexuelles? Jamais personne ne peut me répondre. On parle de valeurs dans la vie, au travail… L'éthique au bureau, la politesse. Mais l'empathie, la générosité, la gentillesse, l'honnêteté sont aussi importantes dans le sexe que dans n'importe quelle autre partie de notre vie.

Rien n'éduque mieux les gens à avoir de bonnes valeurs lorsqu'il s'agit du sexe que de regarder d'autres gens le faire. Le mouvement #MeToo a commencé une discussion autour du consentement. Mais personne ne sait à quoi le consentement ressemble vraiment au lit. Le seul moyen d'apprendre est de voir comment d'autres gens le font –et c'est notre objectif à Make Love Not Porn.

C'est quoi, Make Love Not Porn? C'est ça.

Y a-t-il d'autres espaces en ligne qui enseignent le sexe de manière plus moderne?

La situation actuelle est complètement hallucinante. Dans le monde entier, on célèbre la Khan Academy parce que ce site enseigne tout… sauf le sexe. J'essaie d'obtenir les financements pour une expansion de Make Love Not Porn: j'aimerais développer une Make Love Not Porn Academy et inviter des éducateurs au sexe à soumettre des cours à travers le monde.

J'utilise le terme d'éducation sexuelle au sens large du terme: il y aurait des contenus sur l'amour, les relations, la santé et le sexe… Tout ce qui serait publié serait modéré et validé par Make Love Not Porn et il y aurait des sections en fonction des âges –notamment pour s'adresser aux enfants s'ils ont 6 ans, 9 ans... Avant de demander comment discuter du sexe, encore faut-il avoir un endroit où en discuter!

Les adultes ont autant besoin d'une éducation sexuelle que les jeunes. Et les parents sont désespérément à la recherche de contenus sur la question.
Cindy Gallop

Quel serait le public visé?

Les adultes ont autant besoin d'une éducation sexuelle que les jeunes. Et les parents sont désespérément à la recherche de contenus sur la question. Je crois qu'il y a un vrai potentiel dans le secteur –on pourrait faire beaucoup d'argent si on était autorisé à communiquer. Le problème est qu'aujourd'hui, éduquer au sexe ne rapporte rien.

Les entreprises du sexe et de la tech devraient-elles aussi faire plus d'efforts pour éduquer le public?

Personne n'est d'accord sur leur rôle. Quand vous avez une industrie complètement dominée par des hommes, ce que vous obtenez est une vision du monde complètement masculine. Ce que ces gens ne réalisent pas, c'est qu'ils ont un impact profond sur le futur de l'humanité. Quand vous avez une start-up qui peut vraiment changer le monde, vous devez changer le monde. Le monde ne va pas changer pour vous.

C'est pour cela que je fais la même chose que Steve Jobs: je reforme la réalité. Il y a cinq ans, j'ai délibérément créé et défini ma propre catégorie, la sextech. Si vous tapez le terme sur google, c'est ma définition que vous trouvez sur Wikipédia: «La sex technology, aussi appelée sextech, comprend la technologie et les initiatives conduites grâce à la technologie qui sont créées pour améliorer, innover et modifier la sexualité humaine et/ou l'expérience sexuelle humaine.»

On commence à peine à discerner la partie émergée de l'iceberg lorsque l'on parle de sextech. L'imagination des gens est tellement limitée. Sérieusement, du sexe avec des robots?

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