Portrait. Isabelle d’Ettore exerce la discrète fonction de correctrice de l’édition chez Gallimard jeunesse. Dans l’ombre des mots

Travailleurs invisibles dont le rôle méconnu est essentiel à la chaîne du livre, les correcteurs de l’édition reçoivent des manuscrits à l’état brut. Rencontre avec Isabelle d’Ettore.
marion.giouse@lejsl.fr - 11 nov. 2012 à 05:00 - Temps de lecture :
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La charge de travail d’un correcteur de l’édition est de 30 à 40 pages par jour, soit près  de 8 000 signes par heure. La formation est dispensée par l’école du Syndicat des correcteurs, Formacom.  Photo M. G.
La charge de travail d’un correcteur de l’édition est de 30 à 40 pages par jour, soit près de 8 000 signes par heure. La formation est dispensée par l’école du Syndicat des correcteurs, Formacom. Photo M. G.

Isabelle d’Ettore passe ses journées penchée sur un petit bureau installé sous une sous-pente dans une maison au Bois-du-Verne. Depuis 20 ans, cette correctrice de l’édition a la charge d’épurer les manuscrits de toutes les lourdeurs et imperfections qui pourraient écorcher l’œil ou l’oreille du lecteur. Armée d’un stylo rouge et d’un crayon de papier, celle qui se définit comme une « travailleuse de l’ombre » valorise les textes des auteurs avant leur publication plusieurs mois plus tard.

Qu’avez-vous entre les mains quand vous commencez votre travail ?

Je reçois le manuscrit par Chronopost ou par Internet. Quand il arrive, il est déjà passé en comité de lecture à la maison d’édition (Gallimard jeunesse). Les correcteurs sont un des maillons de la chaîne de production du livre. Ils appartiennent au planning d’édition au même titre que les illustrations ou la mise en page. Comme des petites mains dans la haute-couture, nous effectuons un travail de fourmi.

Quel est votre rôle sur le manuscrit ?

D’abord le comité de lecture vérifie que l’histoire est efficace, prenante et bien ficelée, que le texte est bon dans son contenu. Puis, le correcteur vérifie l’orthographe, la grammaire et la syntaxe. Mais aussi les lourdeurs, les répétitions, les formules incorrectes, les phrases bancales, le respect du niveau de langue, la concordance des temps… Quand il s’agit de traductions, on doit souvent rebâtir les phrases. Il faut également contrôler la justesse des références historiques, géographiques et la cohérence des détails. Par exemple, si l’action se passe en hiver, il vaut mieux éviter d’avoir la description d’un nid de rouge-gorge parce que c’est impossible ! Je dois parfois naviguer sur des sites spécialisés hyperpointus pour vérifier la précision des termes.

Quelle est la bonne méthode pour corriger autant de paramètres ?

On embrasse tout d’un seul coup d’œil ! En principe, il ne faut pas lire deux fois un manuscrit pour garder le recul nécessaire. En rouge, on effectue les corrections obligatoires (ponctuation, fautes, enrichissement typographique…)et au crayon de papier, on propose des suggestions à l’auteur qui est libre de les retenir ou pas et qui a de toute façon le dernier mot. Certains correcteurs ont tendance à sous-corriger, d’autres à surcorriger, c’est-à-dire « pinailler » sur tous les mots ! La méthode préconise aussi de se constituer une « charte de lecture » notamment pour les textes qui foisonnent de créations. (voir encadré). Cette liste sur laquelle est référencé le nom des personnages, leur âge, le nom des lieux […]est le gage d’unité du texte. En plus, elle sert de référence lorsqu’il y a plusieurs tomes, ce qui évite d’avoir à relire les précédents.

Quelles sont les principales qualités d’un correcteur ?

Avoir beaucoup d’autodiscipline, de la rigueur et une forte capacité de concentration. Les moments de grande fatigue sont fréquents le soir parce qu’il s’agit de concentration pure. Les correcteurs travaillent le plus souvent à domicile, dans un univers cloisonné, il faut donc ne pas avoir peur du silence, ni de la solitude. Bien sûr, il faut avoir un certain sens du texte et de la langue. Cela s’acquiert avec l’expérience, aujourd’hui lorsqu’un passage est mal écrit ou mal tourné, ça me chatouille ! Mais dans ce métier, il faut surtout se méfier de soi-même et ne pas trop se faire confiance !