Que faut-il pour gagner une élection présidentielle (ou faire prospérer son entreprise) ? Une majorité d’électeurs ? Des sondages favorables, des journalistes conquis ? En réalité, rien de tout cela n’est nécessaire

Ces éléments sont tous les conséquences d’une seule stratégie, d’une seule méthode : le storytelling. Emmanuel Macron n’a pas été élu parce qu’il avait le meilleur programme, parce qu’il était le chouchou des médias ou parce que son opposante était particulièrement peu avenante.

Non. Emmanuel Macron avait juste une bonne histoire à nous raconter : celle que nous avions envie d’entendre.

Et que vous ayez voté pour lui ou non (vous l’aurez compris, cet article n’est pas un manifeste politique), il faut rendre à César ce qui appartient à César : Macron et son équipe sont des génies du storytelling. Ils ont compris la puissance d’une bonne histoire. Ils en ont exploité tous les leviers : et le candidat qu’on réduisait à un « pschtt » médiatique réside maintenant à l’Élysée.

Retour sur un storytelling imparable (et les leçons que vous devriez en tirer pour votre entreprise).

Pourquoi lui ?

Emmanuel Macron a longtemps été critiqué pour la publication tardive de son programme électoral. Cela ne l’a pas empêché d’être élu, et je ne crois pas que ses électeurs aient voté pour un programme politique ou économique.

Emmanuel Macron ne s’est pas non plus reposé, comme la plupart de ses concurrents, sur un parti politique fort et structuré, implanté dans la vie politique depuis des dizaines d’années. Ses électeurs n’ont donc pas voté pour lui par habitude, ou dans la continuité de leurs votes précédents.

Emmanuel Macron a été ministre, mais il était très peu connu avant le quinquennat de François Hollande ; la plupart de ses détracteurs (parmi lesquels certains de ses ministres actuels…) n’ont pas manqué de souligner son inexpérience. Ses électeurs n’ont donc pas fait le choix de l’expérience politique et de la stabilité, du statu quo non plus.

Mais comment Emmanuel Macron a-t-il pu se faire élire dans ces conditions ?
On se rappelle assez peu du contenu des premiers discours du candidat. Certains lui ont d’ailleurs reproché de n’être qu’une bulle médiatique.

En revanche, nous avons tous en tête l’image d’Emmanuel Macron qui conclut son premier grand meeting à la Porte de Versailles, hurlant la fin de son discours, visiblement exalté par une foule en délire. Et que ce dérapage ait été contrôlé ou non, les résultats en termes d’image ont été immédiats :

Et c’est tout ce qu’il faut pour commencer : faire en sorte que les gens se posent des questions. Ensuite, il suffit d’apporter les réponses qu’ils veulent entendre.

Emmanuel, un type comme vous et moi

Ce qu’il y a de bien avec le storytelling Macron, c’est qu’il est entièrement résumé sur la page de présentation de son mouvement En Marche !.

Et ce qui est vraiment frappant, c’est de voir à quel point il s’est appliqué à respecter la structure aristotélicienne du récit.

Emmanuel Macron nous déroule donc les huit étapes du récit selon Aristote, vite fait bien fait.

1. Le dispositif initial

« Je suis né à Amiens il y a 39 ans. J’ai été élevé par mes parents, médecins de service public tous les deux, aux côtés de mon frère et de ma sœur. »

Jusque là, tout va bien, on sait à peu près d’où vient le candidat et on est mis en confiance par un cadre familial visiblement stable et équilibré. C’est rassurant. En plus, à peu de choses près, on dirait presque ma famille : continue, tu m’intéresses.

2. La description des personnages

« Jusqu’à sa disparition récente, j’ai été extrêmement proche de ma grand-mère. Elle était principale de collège. Si ma réflexion et mon engagement politiques n’avaient qu’une origine, ce serait elle. »

Emmanuel, essaierais-tu de nous prendre par les sentiments ? Le candidat nous confie un détail intime sur sa vie personnelle. Ça lui donne du relief. Ça le rend humain. Et on continue de tisser le décor d’un cadre familial stable : deux parents médecins, une grand-mère principale de collège… « J’ai effectué ma scolarité dans ma ville natale. » Traduisez : « Je suis un type comme vous, je vous dis, moi je n’ai pas eu besoin de faire Louis le Grand pour réussir —mais je ne vise personne. »

3. La montée de l’action

« C’est parce que je crois au travail que je me suis inscrit en classes préparatoires et que j’ai tenu à passer ensuite les concours républicains. »

« C’est la raison pour laquelle j’avais commencé à monter ma propre entreprise avant de devenir ministre. »

Vous le voyez venir ? Il nous raconte gentiment comment, étape par étape, il a voulu devenir président. Oui, parce que c’est monté en lui tout doucement, comme une flamme sacrée qui commence par une braise (les classes préparatoires, une scolarité exemplaire) et qui se nourrit des expériences variées (secteur public et privé, il a tout vu). Et aujourd’hui, il est prêt. Mais prêt pour quoi, au juste ?

4. Le retournement de situation

« Et ma vie aujourd’hui, c’est d’abord un combat pour des valeurs que j’ai chevillées au corps. »

Après nous avoir fixé un décor stable et fourni des personnages attachants, Emmanuel Macron passe en mode combat : et il ne le fait pas par intérêt personnel, ni par pure bonté d’âme, non, il le fait parce qu’il a des valeurs chevillées au corps. Après le mec normal, nous commençons donc à voir notre héros se profiler.

5. La reconnaissance

C’est l’étape où le héros doit être confronté à un choix difficile qui lui permettra de s’élever et de triompher : et là, c’est un peu plus subtil. Il faut bien lire entre les lignes des « Valeurs » déclinées sur cette page, et c’est dans le paragraphe « Liberté » que se trouve l’étape de la reconnaissance.

« L’amour de la liberté, c’est donc ce qui m’a conduit à la philosophie. C’est ce qui m’a poussé à accepter la proposition du Président de la République, lorsqu’il m’a demandé de devenir ministre, alors même que la politique n’est pas le milieu d’où je viens. »

Alors là, chapeau bas. On a presque l’impression que François Hollande a dû supplier Emmanuel Macron de rejoindre son gouvernement.

De la grande philosophie, aussi : Macron se place dans la position du philosophe platonicien, qui est à la fois le seul à pouvoir gouverner et le seul à rejeter cette responsabilité, trop conscient du danger qu’elle représente. En gros, « Je me suis dévoué, mais je n’en voulais vraiment pas, je vous assure. S’il y avait eu plus compétent que moi, j’aurais certainement laissé ma place, d’ailleurs. »

Le point culminant

« Mais c’est pour ces valeurs, et pour permettre à chacun de les faire vivre pour soi-même, que je m’engage en politique. »

Traduisez : « Rien n’est encore gagné, je ne peux rien vous promettre à part mes compétences de banquier, mes diplômes de l’ENA, une famille stable, mon ancien poste de ministre et mes études en philosophie. Par contre, je suis prêt à aller au combat pour vous, à condition que vous votiez pour moi. » Comment refuser un deal pareil ?

La chute de l’action

Cette étape ne se déroule plus sur la page de présentation du candidat, et on la connait bien : il s’agit du débat qui a opposé Emmanuel Macron à son opposante du second tour, Marine Le Pen.

Après avoir imposé sa vision en se faisant élire au premier tour, l’ex-banquier a dû passer à l’étape suivante en déroulant son argumentaire de vente. Le chômage ? Je le réduirai avec des charges moins lourdes pour les entreprises. L’exemplarité de la vie politique ? J’en ferai une priorité en imposant certaines conditions d’accès à mes candidats aux législatives… et ainsi de suite.

Macron met en place tous les éléments qui lui permettront de continuer sa saga présidentielle.

Un peu comme quand vous regardez une série et que vous arrivez au tout dernier épisode de la saison. En général, les scénaristes font en sorte de répondre à toutes les questions posées dans le premier épisode.

Mais si la série a suffisamment plu au public, et qu’elle a rapporté assez d’argent aux annonceurs, les scénaristes se débrouillent aussi pour planter des éléments surprenants, inexplicables, un détail qui permettra de relancer toute la prochaine saison.

8. Le dénouement

Macron est élu, et c’est une image très présidentielle, grave et solennelle qui nous parvient. Comprenez : « Je ne serai pas un président comme les autres, les déj’ au Fouquet’s et les balades en scooter, très peu pour moi. Avec moi, ça va filer droit. »

Les ingrédients d’une bonne histoire : éthique, émotion et raison

D’autres épisodes, d’autres personnages de la campagne de Macron auraient pu être intégrés dans ce plan narratif, mais ce n’était pas nécessaire. Le storytelling du président a pour avantage d’être particulièrement lisible.

On y retrouve facilement les trois formes essentielles du discours, également définies par la rhétorique aristotélicienne : l’ethos, le pathos et le logos.

Revenons un instant à la page de présentation d’En Marche !. Le discours s’adresse à la fois à :

  • Notre sens éthique, moral (ethos)

« Car oui, je considère que le travail est une valeur. Parce que c’est la première source d’émancipation individuelle et parce que c’est le moyen le plus puissant de se libérer du déterminisme : c’est par le travail que l’on peut devenir celui ou celle que l’on a envie d’être. »

Emmanuel Macron ne veut pas seulement donner du travail aux Français : il croit profondément en la valeur du travail, et montre une foi indéfectible à son égard. C’est en même temps sa vision du monde, son éthique personnelle et la foi qu’il a voulu transmettre à ses électeurs.

  • Notre affect, nos émotions (pathos)

« Lorsque je regarde en arrière, je peux dire que j’ai eu de la chance. J’ai grandi dans un milieu aisé. »

« Enfin, il y a ma famille. Mon socle, mon refuge. Nos enfants et beaux-enfants, et nos sept petits-enfants. »

Nostalgie, amour paternel, reconnaissance envers les parents et les grands-parents… On en aurait presque les larmes aux yeux, non ? En nous parlant de sa famille, de son enfance, Emmanuel Macron nous renvoie à nos propres souvenirs d’enfance, aux liens qui nous rattachent à nos propres familles.

  • Notre capacité de raisonnement, notre logique (logos)

« J’ai fait l’ENA, je suis Inspecteur des Finances, j’ai travaillé dans une banque d’affaires, puis pour François Hollande durant la campagne présidentielle de 2012, et j’ai été à son service durant plus de deux années comme Secrétaire général adjoint de l’Elysée. J’ai été Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, avec passion, jusqu’à la fin du mois d’août 2016. »

Qui dit mieux ? En déroulant son C.V. de la sorte, Emmanuel Macron nous prouve par A+B qu’il est parfaitement compétent pour diriger notre pays.

Et si vous n’étiez toujours pas convaincu de la puissance du storytelling…

Regardez les deux défaites consécutives d’Hilary Clinton aux élections présidentielles américaines. La première défaite contre Obama est bien analysée par François Meuleman dans Storytelling, on va tout vous raconter (éditions Edipro, 2009) :

Aux « je suis une professionnelle, je connais bien mes dossiers et je vais vous expliquer pourquoi cela va mal et comment on peut reprendre les choses en main… » d’Hilary Clinton, [Barack Obama] opposa un discours tout autre : « Je l’avoue : j’en connais moins que madame Clinton mais moi, je fais ce qui est bon pour ma famille. Et je ferai ce qui est bon pour les États-Unis. »

Nous connaissons tous la suite. Mais le plus intéressant, c’est de voir à quel point la leçon est restée mal comprise par le clan Clinton. Au lieu de se nourrir de cet échec, Hilary a reproduit la même stratégie face à Donald Trump, pointant sans cesse son inexpérience et soulignant sa propre compétence.

Trump, lui, s’est contenté de se dépeindre comme un type normal, un peu comme l’Américain moyen, employant les éléments de langage les plus communs (« The best… », « The worst… », « A great… »).

Il a promis de gérer les États-Unis comme il a dirigé son entreprise : et le moins qu’on puisse dire, c’est que le bilan financier de Donald Trump parlait en sa faveur.

Il a parlé de choses concrètes : quoi de plus palpable, de plus rassurant, qu’un mur ?
L’idée d’ériger un mur pour stopper les flux migratoires à la frontière mexicaine est complètement absurde, on ne peut s’empêcher de sourire en y pensant.

Pourtant, c’est du concret : nous bâtissons tous des murs (ou des clôtures, ou des palissades) pour séparer nos maisons de celles des voisins, non ? Donald Trump a parlé de choses que les gens connaissaient ; mieux encore, il a parlé de choses que les gens ressentaient —comme le besoin de protéger sa propriété dans un monde de plus en plus instable, de plus en plus inquiétant.

Là encore, nous savons tous comment l’histoire se finit.

À vous de captiver votre audience : adoptez la méthode Macron

Pour résumer, il vous suffira de mettre en œuvre :

  • Une histoire complète, avec un point de départ, une montée en puissance, un retournement de situation, des péripéties, un point culminant, une chute et un dénouement ;
  • Un personnage plus vrai que nature, auquel vous donnerez du relief par petites touches (un détail intime, même s’il semble insignifiant à première vue, fera parfaitement l’affaire). Votre personnage doit permettre à votre lecteur ou à votre client de s’identifier facilement, grâce à des valeurs communes, des émotions partagées par une grande majorité de personnes (comme des souvenirs d’enfance, par exemple) ou un parcours honorable ;
  • Un discours multi-facettes : vous devez parler aux émotions de votre audience, autant qu’à sa capacité de raisonnement et qu’à son sens éthique. C’est peut-être l’exercice le plus difficile en matière de storytelling ; mais ces trois ingrédients sont absolument essentiels pour que votre histoire fasse mouche.

Mais avant toute chose… ayez la foi !

Que votre storytelling s’applique à une brosse à dents électrique, un coaching sportif ou des e-books sur la chasse aux canaris, vous devez absolument avoir foi en ce que vous vendez.

Il y a quelque chose qui relève de la magie dans le storytelling, comme il y a de la magie dans un film Disney.

Macron n’a pas seulement entretenu sa foi du travail et de la France en marche : il l’a portée fièrement et a réussi à la transmettre. Petit à petit, chaque personne à qui il avait transmis sa foi l’a transmise à quelqu’un d’autre : et la bulle médiatique s’est peu à peu transformée en véritable mouvement politique. Demandez aux électeurs de Fillon s’ils avaient foi en leur candidat… et regardez les résultats du candidat en question.

En réalité, votre expérience ou votre compétence ne vous aideront pas à séduire vos clients (mais elles vous aideront à les fidéliser).

Ce que les gens veulent, ce sont de belles histoires, c’est rêver un peu.

L’ère des experts est révolue : après tout, les financiers qui ont créé les conditions de la crise des subprimes américains étaient des experts de leur secteur, ce qui ne les a pas empêchés de priver des milliers d’Américains de leur foyer.

Les gens n’accordent plus leur confiance aux experts : ils préfèrent désormais les visionnaires, les rêveurs, ceux que Seth Godin appelle les « hérétiques » —à condition qu’ils aient un plan et la foi.

La façon dont vous racontez votre histoire ou celle de votre entreprise peut vous aider à vendre plus (et même à gagner une élection présidentielle). Qu’attendez-vous ?