Paris, XVIe arrondissement, un après-midi de mars. Quatre personnes attendent sur le trottoir pour visiter un 2 pièces et les visites se succéderont ainsi tous les quarts d’heure. Une location? Non, une vente. Dans la capitale, les petites surfaces sans défaut mises en vente à prix raisonnable partent presque comme des petits pains. Les indécis voient les biens leur filer sous le nez. Et c’est la même chose pour les appartements familiaux, les acheteurs veulent profiter des taux de crédit qui sont encore très bas et ils se décident vite. «En douze mois, le prix moyen au mètre carré dans la capitale a progressé de 5,1 % pour atteindre un nouveau sommet, près de 700 € plus élevé qu’en 2015», estime Laurent Vimont, président de Century 21. Les prix caracolent à des sommets. À Paris, selon MeilleurAgents, ils ont été multipliés par 4 en vingt ans dans le Xe arrondissement (de mars 1997 à mars 2017), par 3,7, voire plus, dans les Ier, IIe, IIIe, IXe et XVIIIe, et par 2 ou 2,5 dans le XVIe, le VIe et le XVe.

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En régions, certains marchés sont aussi en pleine effervescence. Bordeaux est notamment dopé par la liaison en deux heures avec Paris et les prix s’emballent. L’année a bel et bien commencé sur les chapeaux de roue. Résultat, à Paris, l’offre de biens à vendre baisse. «Nous n’avons plus que 10 mandats par agence en moyenne», confie Yann Jehanno, directeur exécutif du réseau Laforêt.

Les prix ont retrouvé leurs plus hauts

«Les prix ont retrouvé leurs plus hauts ou en sont proches à Paris, Lyon, Bordeaux, Rennes, Toulouse, Nantes et Montpellier», explique Sébastien de Lafond, cofondateur de MeilleursAgents. Selon lui, les seules grandes villes qui n’ont pas encore rattrapé leurs plus hauts historiques sont Marseille (- 13,5 % sur son plus haut), Lille (- 4,9 %), Nice (- 3,4 %) et Strasbourg (- 5 %) ; les autres sont peu ou prou au sommet.

Le soleil brillerait-il donc sur toute la France de l’immobilier? «Non, il y a vraiment deux marchés, celui des grandes métropoles, et des petites et moyennes villes», indique Yann Jehanno. Dans les petites villes, en campagne, loin des grands axes de transport routier ou ferré, la France de l’immobilier s’endort. Comme la France tout court. Les petites villes, les pans de territoire qui n’ont pas de bassin d’emploi se désertifient et leur immobilier s’abîme. Faites le test, regardez sur un site d’annonces immobilières les maisons que vous pourriez acheter pour 50 000 ou 80 000 € dans nos régions, vous risquez d’être surpris. Toutes ne sont pas des ruines, loin de là: elles se situent seulement là où la demande n’existe pas. «En régions, il y a beaucoup de maisons à vendre qui ne trouveront jamais preneur, peut-être faudra-t-il en détruire un jour une partie», avance un promoteur. Voilà pour l’envers du décor. Celui de la France désertée. Dans les villes où les Français travaillent et vivent, c’est l’inverse: le marché accélère, les écarts se creusent. Acheter un appartement est presque devenu à la mode!

«La remontée lente des taux d’intérêt ne décourage pas les acquéreurs ; au contraire, elle déclenche les achats de ceux qui ne veulent pas laisser échapper l’opportunité de s’endetter aux taux actuels. On ne sent pas pour l’instant l’effet ralentisseur qui caractérise habituellement les années électorales», explique Stéphane Theuriau, président du directoire de Cogedim. Les acheteurs peuvent encore bénéficier de taux de crédit très bas, même s’ils ont un peu remonté ces derniers mois. «Ils ne veulent pas rater cette fenêtre», résume Yann Jehanno. Les prix aussi sont en légère hausse. Mais ces taux qui commencent à se tendre confortent les acquéreurs dans leur analyse qu’acheter aujourd’hui est une bonne idée. «Les taux étant au plancher, ils ne peuvent que remonter», rappelle Didier Le Menestrel, président de La Financière de l’Echiquier qui regrette, lui, que les particuliers se tournent encore aussi massivement vers la pierre et aussi peu vers la Bourse.

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Crédit Photo : ARNAUD ROBIN/LE FIGARO MAGAZINE

«2016 a vu l’arrivée de primo-investisseurs, ces ménages locataires qui profitent pour leur premier achat des taux bas et du Pinel pour investir dans l’immobilier locatif. C’est une première étape dans la constitution de leur patrimoine immobilier», remarque Nordine Hachemi, PDG de Kaufman & Broad. La pierre rime aussi de nouveau parfois avec résidence secondaire. Dans les lieux de villégiature, le marché s’améliore et certains en profitent pour s’offrir un pied-à-terre à des prix en baisse. «Les propriétaires ont enfin compris que s’ils voulaient vendre, il fallait qu’ils pratiquent des prix raisonnables et certains acceptent des négociations importantes, explique Alexander Kraft, président de Sotheby’s International Realty France-Monaco. Un Américain vient d’acheter pour 10 millions d’euros une propriété près de Cannes et a obtenu une remise de 25 %.» Une marge de négociation envisageable aussi, selon lui, pour certains biens de moindre valeur.

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L’impact de l’élection présidentielle sur les achats

L’élection présidentielle laisserait-elle alors de marbre les acteurs de l’immobilier? Les ménages en tout cas continuent à être actifs sans trop se poser de questions, persuadés que si les taux remontent ils ne pourront plus s’acheter un appartement ou une maison aussi grands ou aussi bien placés. Ils font donc comme si l’élection ne changeait rien. Même calcul pour ceux qui investissent en vue de leur retraite dans un objectif patrimonial. D’autres hésitent. «Dans l’immobilier de bureaux, les investisseurs internationaux regardent avec circonspection la campagne électorale et attendent les législatives et la fin de l’été pour prendre position», note ainsi François Bertière, président de Bouygues Immobilier. «2017 est une année à risque, note Laurent Vimont. Rappelons-nous qu’en 1981, la présidentielle avait gelé pendant quatre mois le marché.»

«Au Mipim(le salon de l’immobilier de Cannes, ndlr), après une année 2016 exceptionnelle, la grande inquiétude des professionnels anglo-saxons portait sur la possibilité d’un Frexit en cas d’élection de Marine Le Pen qui pourrait geler le marché, faire baisser les prix et provoquer un exode des forces vives», ajoute Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France et Monaco, pour qui le marché immobilier aujourd’hui euphorique devrait bientôt entrer dans un cycle plus raisonnable. Certains dispositifs sont en sursis. «2017 est une année charnière, explique Olivier Bokobza, directeur général du pôle Résidentiel de BNP Paribas Immobilier. Avec l’arrêt possible du Pinel et du PTZ renforcé à la fin de l’année, les ménages s’empressent de profiter de ces dispositifs tant qu’ils sont là.»

Crédit Photo : ARNAUD ROBIN/LE FIGARO MAGAZINE

Les Français ont renoué avec leur placement de toujours, la pierre. Ils s’en étaient détournés lorsque Cécile Duflot avait ostracisé les propriétaires pour «défendre» les locataires. Aujourd’hui, Emmanuel Macron oppose la pierre et les investissements productifs, il veut concentrer l’ISF sur l’immobilier et favoriser la Bourse face à la pierre. «Il ne faut pas oublier que l’immobilier est un secteur qui a une très grande sensibilité, un message peut avoir des effets psychologiques importants même si les mesures fiscales envisagées ne sont pas forcément désastreuses», rappelle François Bertière.

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Les professionnels sont satisfaits du Pinel qui fonctionne bien pour l’investissement locatif (il doit prendre fin en décembre) et du PTZ qui soutient la demande des primo-accédants. «Il faut maintenir ce qui permet à l’épargne privée de financer la construction de logements», plaide François Bertière, pour qui il serait «suicidaire» de casser le mouvement. «On ne construira pas les logements dont on a besoin sans l’épargne privée. Il faut protéger le cadre fiscal actuel qui fonctionne», ajoute-t-il. Espérons que l’équilibre retrouvé entre propriétaires et locataires sera également préservé. L’encadrement des loyers s’étendra-t-il au-delà de Paris et de Lille? C’est une des questions qui se posent. «Lorsqu’on leur demande quelle doit être la priorité du futur gouvernement sur le logement, les Français citent la fiscalité. La baisse de la taxe d’habitation remporte une large adhésion. Si cette piste était suivie, il faudrait trouver une façon de compenser cette baisse de moyens pour les collectivités territoriales», relève de son côté Bernard Cadeau, président d’Orpi. Que la présidentielle puis les législatives mettent ou non un coup d’arrêt à la frénésie du marché, les professionnels ne croient dans aucun scénario à une forte hausse des prix.

Et ils souhaitent des dispositifs stables. «Pour s’engager dans de grands projets, viabiliser du foncier, la profession au sens large a besoin d’une certaine visibilité, c’est important car notre secteur emploie beaucoup de main-d’œuvre», ne manque pas de rappeler Olivier Bokobza.

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