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Europe de la Défense : le cas de la brigade franco-allemande

Le chef de l’État français a réuni lundi 6 mars 2017 à Versailles un mini-sommet européen avec l'ambition de donner un nouveau souffle à l'Union européenne autour d'une véritable relance de l'Europe de la Défense. Concrètement, il s'agit de bâtir une "coopération structurée" réunissant les États membres de l'UE "qui veulent aller beaucoup plus loin" sur la Défense. C'est ainsi l'occasion de faire le bilan de la brigade franco-allemande (BFA) créée le 13 novembre 1987 au sommet de Karlsruhe conjointement par le président de la République française et le chancelier allemand - sa montée en puissance s'étant effectuée sur 5 années avec tout d'abord la création de son état-major le 1er janvier 1992 à Müllheim. 

La mission de la BFA est de pouvoir intervenir dans l’ensemble des opérations de maintien de la paix (OMP) et de la sécurité sous couvert de l’ONU, de l’OTAN, ou de L’UE avec des capacités d’interventions suivantes :

  • Forces d’entrée en premier « Initial Entry Force » du Corps Européen (Eurocorps) ;

  • Réaction rapide de l’UE en cas de crise majeure (European Battle Group » - EU BG) ;

  • Force de réaction rapide de l’OTAN en cas de crise majeure (Nato Response Force (NRF) ;

  • Engagement sous état-major national.

La composition de la BFA (prés de 6 000 personnels1 dont environ 60 % d'allemands et 150 personnels civils) qui met en évidence que les 2 seules unités binationales sont son état-major (EM) et son bataillon de commandement et de soutien (BCS), est la suivante :

Type d'unités de la BFA

Type d'unités

Garnison

EM de la BFA (incluant des éléments belges et espagnols)

 

 

 

 

Binationale2

 

 

 

 

Mülheim (Allemagne)

BCS

BCS - compagnie d'état-major de la BFA3 (CEM)

BCS - escadron de commandement et de logistique4 (ECL)

BCS - compagnie d’approvisionnement5

BCS - compagnie de transport6

BCS - compagnie de maintenance7

1er régiment d'infanterie

 

Française

Sarrebourg (France)

3éme régiment de hussards (cavalerie blindée de reconnaissance)

Metz (France)

Jägerbataillon 291 (infanterie et reconnaissance)

 

 

Allemande

Illkirch-Graffenstaden (France)

Jägerbataillon 292 (infanterie anti-chars)

Donauschingen (Allemagne)

Artilleriebataillon 295 (artillerie)

 

Stetten am Markt Kalten (Allemagne)

Panzerpionierkompanie 550 (génie)

L'équipement opérationnel des unités de la BFA est différent selon leur nationalité comme suit :

Équipement

Servis dans les unités allemandes

Servis dans les unités françaises.

Armement individuel

Fusil automatique (allemand) : HK G-36

Fusil de précision (allemand) : G22, G28

Mitrailleuse (allemande) : MG 3 et 4

Pistolet (allemand) : P1, P7, P8

Lance roquette (allemand) : Panzerfaust 3

FAMAS (français)

Fusil de précision (français) : FR F2

Mitrailleuse : MAG 58 (belge) et AANF1 (française)

Pistolet (français) : PAC MAC 50 et PAMAS G1

Lance roquette (français) : LRAC de 89m/m devant être remplacé par l'ATCS 4 suédois

Armement collectif

Mortier de 120 m/m (israelo-espagnol et allemand) servi au niveau du bataillon

Mortiers de 81m/m (français) servi au niveau de la compagnie

Véhicule blindé transport de troupe

BOXER (germano-néerlandais) remplaçant le Tpz (transportpanzer) Fuchs

VAB français devant être remplacé par le véhicule blindé multi-rôles « Griffon » livré au mieux à partir de 2018.

Véhicules légér blindé de reconnaissance

Fennek (allemand)

VBL (français)

Tenue intégrée du combattant

système GLADIUS (allemand) en cours de livraison depuis 2015.

système FELIN (français) opérationnel depuis 2010.

De plus, il est à noter que les unités de la BFA bénéficient d'un soutien national8 dans de nombreux domaines : fonctionnement des bases, RH, habillement, médical, alimentation, MCO, munitions...) Cette situation n'est pas susceptible de faciliter son engagement opérationnel et suppose la projection d'effectifs de soutien non négligeables.

Le coût annuel du fonctionnement de la BFA peut être estimé entre 200 et 300 millions d'euros et dont les soldes des militaires peuvent être estimées sur la base certaines sont les suivantes :

  • solde indiciaire (hors primes, indemnités et pensions)9 de ses personnels en tenant compte du rapport de la Cour des comptes de septembre 2013 qui met en évidence que le coût allemand est supérieur de 30% à celui de la France :

  • administration générale et soutien courant = environ 7 millions d'euros,

  • infrastructures en régime courant = environ 10 millions d'euros répartis entre 40 % pour la France et 60 % pour l'Allemagne,

  • fiscales relatives à l’exonération de la TVA pour les prestations fournies par la France au Jägerbataillon 291 (accord de procédure du 26 février 1962, modifié le 15 juin 1990).

Les missions opérationnelles (entraînement et engagement) de la BFA s'effectue :

  • sur des champs de manœuvre allemands et français mais selon des cycles opérationnels de formation et de projection différents entre les armées de terre des 2 pays même si leurs états-majors arrêtent les décisions relatives à la planification de son instruction,

  • à partir d'une langue qui est de plus en plus l'anglais alors qu'à ses débuts les échanges se faisaient en allemand et en français,

  • à partir de la mise en œuvre des systèmes de transmission et d'information nationaux qui suppose la réalisation d'interfaces dont la maintenance dépend de leurs évolutions respectives,

  • selon des conditions d’ouverture du feu différentes : unités françaises au seul cas de légitime défense - unités allemandes en cas d’atteinte à un bien,

  • sur la base de législations nationales et de politiques diplomatiques différentes qui sont les suivantes :

 

Allemagne

France

Législations nationales

- loi fondamentale (Grundgesetz) précise dans son article 87 : « hormis le cas de défense, les forces armées ne doivent être engagées que dans la mesure où la loi fondamentale l'autorise expressément », et son article 26 qui interdit des actes « en vue de préparer une guerre d'agression »,

- la loi du 18 mars 2005 précise les conditions d'autorisation et de contrôle parlementaire10 des engagements en OPEX (base juridique, durée prévue, effectifs concernés, coût et financement, opérations pour lesquelles une autorisation n'est pas nécessaire (action humanitaire notamment) et opérations de faible intensité qui pour lesquelles une procédure d'autorisation est simplifiée) 

la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (article 3511) précise que le président de la république en tant que chef des armées peut décider seul l’engagement des forces armées, le Parlement n’étant appelé à se prononcer que sur la prolongation de l’intervention que 4 mois après la décision initiale mais sans vote.

Politiques diplomatiques

 

Priorité aux missions de maintien de la paix, de sécurité, d'assistance opérationnelle et logistique, et humanitaires dans le cadre de l'OTAN, de l'UE et de l'ONU

Engagement au titre d'accords de défense bilatéraux dans des opérations de contre-insurrection (Afrique) tout en particpant à différentes missions multinationales (OTA, UE et ONU)

C'est ainsi que les engagements en OPEX des unités de la BFA concernent :

  • en grande partie des opérations de maintien de la paix (OMP) comme en Bosnie (dés 1997), Kosovo (dés 1999), Macédoine (dés 1999),

  • de façon ponctuelle des missions de sécurisation comme en Afghanistan (en 2004),

  • des actions de formation de militaires des armées locales (Afghanistan dés 2009 et Mali dés 2014).

Cependant, l'Allemagne et la France restant libres d’engager en OPEX leurs unités opérationnelles de la BFA ont privilégié leur projection dans leurs zones de responsabilité12 à l'exception de l'EM de la BFA et une partie de son BCS (notamment les CEM et ECL) qui a armé des postes de commandement binationaux au sein de la SFOR (Bosnie), de la KFOR (Khosovo) et de la FIAS (Afghanistan).

Conclusion

Ainsi, cette BFA pourrait être un des piliers de la politique européenne de défense sous réserve :

  • de l'engager en tant que grande unité en OPEX,

  • de rationnaliser ses procédures d'engagement (cycles de formation et d'entraînement collectifs et individuels, langue parlée, systémes de transmission...),

  • d'uniformiser son soutien opérationnel et courant et ses dotations en matériels en s'appuyant notamment sur leur obsolescence13 et leur efficience14 à partir d'une juste répartition entre les 2 pays.


Prendre aussi en compte les rapports de la Cour des comptes sur les conditions d'engagement opérationnel de la BFA souvent limitées et contraignantes qui ont été mis en évidence dans les rapport de 2003, 2008 et 2011. Et au sein du Parlement français : avis du député, M Georges Mothron, du 9 novembre 2011, rapport du député, M Jean-Marc Roubaud, le 22 novembre 2011, compte rendu n° 15 du député, Monsieur Georges Tessier, du 9 novembre 2011, rapport n° 404 du sénateur, M Jean-Marie Bockel, le 22 février 2012, qui ont été établis au titre du projet de loi n° 3813 autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale relatif à la brigade franco-allemande, et plus récemment le compte rendu n° 72 de la députée, Mme Patricia Adam, du 23 juin 2015.

1Dont environ 1 350 personnels affectés l'état-major de la BFA et à son BCS.

2Commandées à tour de rôle tous les 2 ans comme chef et second par un officier allemand et/ou français.

3Mission : installation et sécurisation du PC de la BFA et mise en œuvre de ses moyens de communication.

4Mission : mise en œuvre des moyens du PC du BCS, ravitaillement en munitions et carburant et MCO du matériel du BCS.

5Mission : ravitaillement des unités françaises et allemandes de la BFA en articles techniques de toutes spécialités.

6Mission : transport de matériel et de carburant au profit des unités de la BFA .

7Mission : soutien technique des matériels allemands de la BFA.

8Allemagne : un organisme civil = Bundeswehrverwaltung et France : différents services interarmées : SIMMTer, SSA, SEA, SCA, SIMu...

9Confer le bulletin n° 81 de l'observatoire économique de la défense de juillet 2016 pour la solde indiciaire mensuelle des militaires français.

10Exemple : le gouvernement allemand a sollicité l'autorisation du Bundestag avant d'envoyer des forces armées pour participer à la FINUL (volet maritime) au Liban (vote du 20 septembre 2006) ou aux opérations en Afghanistan (2001).

11Mis en œuvre pour les OPEX : Afghanistan (sept 2008), Tchad, Centrafrique, Côte d'Ivoire, Liban et Kosovo (janv 2009), Libye (Juillet 2011), Mali (avril 2013).

12En Afghanistan, les unités allemandes ont été déployées à Mazar-e-Charif et les françaises en Kapisa et à Surobi.

13Exemples : LRAC de 89m/m, mitrailleuse AANF1, VAB.

14Exemples : BOXER, mortier de 120m/m français RTF1, systéme FELIN.