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Macron, cet obscur objet du délire médiatique

À 40 jours du premier tour de la présidentielle, le rouleau compresseur tourne à plein régime. Retour sur la fabrication redoutable d’un candidat qui attend qu’on lui serve l’Élysée sur un plateau.

C’était il y a un an, autant dire un siècle. À l’époque, le ministre de l’Économie commence à jouir d’une belle popularité dans les sondages. Lorsqu’il annonce, le 6 avril, la création d’En marche !, personne ne mise un sou sur l’avenir politique de ce nouveau mouvement. C’est pourtant le début d’une fulgurante ascension médiatique. Le lendemain, le couple Macron s’affiche main dans la main en une de Paris Match, fleuron du groupe Lagardère. « C’est le début du déferlement médiatique », nous explique le sociologue Philippe Riutort. « Les hebdos découvrent qu’il intrigue et fait vendre du papier. Alors la machine s’emballe. D’abord, autour du personnage, de sa vie privée, avant de s’intéresser à son projet », rappelle ce spécialiste de la communication politique (1). Le sourire éclatant de l’ex-associé de la banque Rothschild tapisse les kiosques de l’Hexagone et fait sauter les tiroirs-caisses des magazines people. « Là, c’est trop ! » fait mine de concéder le candidat, en septembre. « Ça me gêne, parce que ma démarche, elle est politique, elle n’est pas frivole ! » lance Emmanuel Macron lors de l’émission Questions politiques, avant de lâcher : « J’ai décidé de ne pas cacher ma vie privée… On a là aussi, comme sur l’argent, en France, un rapport traumatique à la vie privée. » Il vient de claquer la porte de Bercy, le 30 août. Le soir même, le JT de France 2 lui consacre une ouverture de vingt minutes ; TF1, une interview d’un quart d’heure. Le lendemain matin, son visage s’affiche en une de tous les quotidiens nationaux… la campagne du candidat, qui ne l’est pas encore officiellement, est lancée.

« Sa stratégie lui permet de susciter l’événement selon son propre agenda »

« Macron a su rapidement utiliser les médias à son avantage grâce à une grande maîtrise de sa communication et de son agenda », rappelle Philippe Riutort, à qui l’équipe d’En marche ! a confié qu’elle refuse neuf sollicitations médiatiques sur dix… « Sa stratégie de ne jamais communiquer par “ petites phrases”, de toujours imposer à ses interlocuteurs de jouer sur son propre terrain sur des formats longs et de ne pas commenter les campagnes des autres est très efficace. Elle lui permet de susciter l’événement selon son propre agenda, ce qui est déterminant dans une période électorale », analyse le sociologue. Idem pour le feuilleton des ralliements à sa candidature. Les équipes d’Emmanuel Macron négocient en coulisses le tempo, pour que la longue liste de ses nouveaux soutiens « nourrisse la bête » chaque jour.

« Et pourquoi pas lui ? » en une du Point. « La fusée Macron » et « L’homme de la situation » chez l’Obs, ou encore « La bombe Macron » pour l’Express… Au-delà de la saturation, c’est l’idolâtrie des grands médias « mainstream » qui interroge le pluralisme de la presse autant qu’elle enseigne sur le projet politique d’En marche ! En effet, depuis l’annonce de sa candidature, en novembre, les éditoriaux dithyrambiques le disputent à la fascination extatique, contribuant au fil des mois à la crédibilisation de sa démarche. L’ancien ministre de l’Économie se présente comme le candidat « antisystème », symbole de la modernité en politique ? Qu’à cela ne tienne, voilà que Laurent Joffrin, dans Libération, nous explique que l’ex-associé de la banque Rothschild, passé par les rangs de l’ENA, puis l’Inspection des finances, avant d’atterrir à Bercy, « fait souffler un zéphyr de nouveauté sur la vie politique ». Nicolas Beytout, dans l’Opinion, file la métaphore, sentant « un vent de fraîcheur » autour d’En marche ! Et Yves de Kerdrel, dans le Figaro, de respirer à son tour « le grand bol d’air frais » qu’amènerait Emmanuel Macron dans le débat public.

De nombreux soutiens parmi la poignée de milliardaires qui détiennent les médias

Le consensus médiatique est tel que même François Fillon et Marine Le Pen, qui n’ont pourtant rien à jalouser à leur concurrent en matière de surmédiatisation, commencent à s’inquiéter. La candidate d’extrême droite, qui doit elle aussi beaucoup à certains grands médias pour avoir crédibilisé sa « dédiabolisation » de façade, s’en donne à cœur joie, sur le refrain du complot médiatique. Une aubaine pour Macron. Car, quiconque, désormais, s’interrogera sur ses liens avec les grands patrons de presse sera accusé de complicité avec les délires du FN. Mais les faits sont têtus. Parmi la poignée de milliardaires qui détiennent désormais la quasi-totalité des médias français, nombreux sont ceux qui ont déclaré leur flamme au candidat d’En marche ! « J’apporte mon soutien sans la moindre restriction à Emmanuel Macron », a twitté Pierre Bergé, l’un des actionnaires du Monde, le soir de la primaire socialiste. « J’aime bien Emmanuel pour son côté volontariste et libéral », affirmait Xavier Niel dans une interview à Society en mai. L’Obs, un des titres phares de son groupe, a consacré pas moins de huit unes, en quelques mois, au candidat d’En marche ! Mais le bourrage de crâne médiatique et les scénarios politiques prémâchés ne font pas une victoire électorale. L’année 2016, des deux côtés de l’Atlantique, en a fait l’amère expérience.

(1) Auteur de Sociologie de la communication politique, La Découverte, et de la Politique sur un plateau, PUF.

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