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Des enseignants toujours aussi mal formés : que faire face à ce scandale tranquille ?

Lycée Lakanal, 92330 Sceaux. Céline Nadeau/Flickr, CC BY-SA

Face au bilan de la dernière réforme de la formation des professeurs (cf rapport Comité de suivi de la Loi de refondation de l’École), de nouvelles politiques scolaires s’imposent. L’enjeu est de taille : la société a changé, les élèves ont changé, les modes d’accès aux savoirs aussi. Une formation renouvelée des professeurs s’impose. Dans ce début de campagne aucun candidat n’aborde la question Il est grand temps de former autrement les enseignants, et donc de les recruter autrement.

En France, former les enseignants ne va pas de soi dans une tradition universitaire où la possession de connaissances disciplinaires attestée par la possession d’un niveau de diplôme a longtemps été jugée comme suffisante, l’autorité du Savoir faisant office de compétence pédagogique. Pour réformer la formation, il faut d’abord réformer le concours et l’architecture d’ensemble.

Réformer le concours de recrutement un préalable indispensable

Le concours de recrutement est un levier essentiel, jamais utilisé par les politiques frileuses menées.

PROPOSITION 1 : Pré-recruter les enseignants à bac + 2 en proposant un concours avec des épreuves mixtes pour proposer ensuite une formation en alternance et permettre une présence accrue d’adultes dans les établissements scolaires.

Proposition 1.1

Seul un recrutement précoce dès l’année de L3 permet d’allier une formation disciplinaire et une formation professionnelle. Les candidats à l’issue de leur L2 présenteraient un concours mixte dans les épreuves et les savoirs. Ce pré-recrutement permettrait une véritable formation en alternance, en M1 et M2 sous forme de stages (rémunérés). Il s’agit d’une formation universitaire en L3.

Proposition 1.2

Lycée Lakanal, 92330 Sceaux. Céline Nadeau/Flickr, CC BY-SA

À tous les niveaux de l’enseignement, de l’école maternelle au lycée, un concours de recrutement « mixte » associant épreuves théoriques et épreuves d’enseignement. Certes, un professeur est d’abord quelqu’un qui a une bonne maîtrise des savoirs à enseigner dans les différentes disciplines d’enseignement. Mais cela ne constitue qu’un préalable.

Il ne suffit pas de savoir pour savoir enseigner. Il faut donc introduire des épreuves pratiques. Nécessitant des stages pratiques (accompagnés) dans les établissements scolaires, ces épreuves se déclineraient d’une part en une série d’interventions en L3 (cours, travaux pratiques, travaux dirigés, séances informatiques, accompagnement scolaire…) devant des élèves, et d’autre part en entretiens évaluant ces interventions. Plusieurs leçons étalées dans le temps permettraient à la fois une meilleure évaluation de la candidature et des capacités de progression du candidat au fur et à mesure de ces leçons.

Proposition 1.3

Lycée Lakanal, 92330 Sceaux. Céline Nadeau/Flickr, CC BY-SA

Le concours doit aussi associer des savoirs disciplinaires, des savoirs « transversaux » issus des sciences humaines et sociales (sociologie, philosophie, anthropologue, sciences de l’éducation, psychologie) mais aussi des didactiques (didactique de la lecture, didactique de la physique ou didactique du français, etc.) et des pédagogies. Le métier d’enseignant devenu plus complexe, nécessite la mise en œuvre de compétences de haut niveau qui dépassent les seuls savoirs disciplinaires habituels : des savoirs scientifique, didactique, pédagogique, éducatif, institutionnel, psychologique, sociologique, philosophique.

Des épreuves théoriques écrites ou orales dont les coefficients seraient aussi importants que les coefficients des épreuves portant sur les disciplines d’enseignement s’imposent, et imposent une véritable révolution de la pensée en éducation. Un véritable travail de fond sur le recours au numérique qui ne doit être ni anecdotique, ni systématique, mais qui doit s’inscrire dans une réelle compétence de jugement sur la pertinence des usages.

Car dans notre culture scolaire et universitaire, cela ne va pas de soi.

Proposition 1.4

Lycée Lakanal, 92330 Sceaux. Céline Nadeau/Flickr, CC BY-SA

Un concours de recrutement associant épreuves individuelles et épreuves collaboratives serait le préalable à cette autre manière d’enseigner et de concevoir l’enseignement. Si le travail collaboratif des enseignants est un impératif, lié aux mutations des contextes culturels et sociaux d’enseignement, le concours doit prévoir une épreuve collective où le processus même du travail de groupe est évalué. Les modalités variables selon la discipline d’enseignement, consisterait en une tâche à élaborer en commun : proposer un TD sur une thématique, évaluer un travail d’élève, définir les objectifs pédagogiques d’une leçon, proposer des exercices adaptés aux besoins des élèves… L’objectif serait d’évaluer les compétences au travail de groupe : à entendre les objections, à écouter l’autre, à organiser la répartition des tâches…

Proposition 1.5

Le concours destiné au corps spécifique de professeurs de collège comporterait en outre des épreuves dans deux disciplines principales : lettres-histoire ; lettres-anglais, mathématiques-physique, etc.

Former autrement

Ces nouvelles modalités de concours de recrutement proposées imposent une nouvelle architecture de la formation des professeurs qui répondent à de nouveaux enjeux. Une véritable formation professionnelle des enseignants, associée à une « universitarisation » de cette formation des enseignants doit être couplée à une formation en alternance réelle sur le terrain.

Lycée Lakanal, 92330 Sceaux. Céline Nadeau/Flickr, CC BY-SA

C’est à dire avec une dimension d’accompagnement au quotidien et pas une immersion dans le « demerdesiesich ». Dans aucun modèle de formation en alternance de n’importe quel métier, on n’ose jeter les formés sans filet, sans mentor au quotidien, sans référent de compétences clairement identifié, et sans référentiel d’adossement.

Il faut apprendre à enseigner. Le compagnonnage auprès d’enseignants expérimentés peut constituer un apport mais il ne peut, en aucun cas, se suffire à lui-même. Le métier de professeur ne s’apprend pas simplement « sur le tas ». Avec l’hétérogénéité croissante des publics scolaires, avec les mutations de la forme familiale et des modes de socialisation contemporains, avec la multiplication des modalités d’accès aux savoirs, le métier d’enseignant est devenu plus complexe et nécessite une formation longue ancrée sur les savoirs de recherche.

Comment se construisent les inégalités scolaires ? Comment organiser le travail des élèves ? Comment gérer l’hétérogénéité des classes ? Comment dialoguer avec les familles ? Comment contribuer dans sa classe et dans l’établissement à la démocratisation de l’accès aux savoirs ? Comment prendre en compte les difficultés sociales et psychologiques de certains élèves ? Comment fonctionne un cerveau ? “

Autant de questions et bien d’autres sur lesquelles des savoirs sont produits et devraient nourrir la formation professionnalisante des enseignants. La formation des professeurs doit articuler disciplines d’enseignement, didactique, pédagogie et sciences humaines et sociales. Elle doit aussi se concevoir comme une formation en alternance seule à même de confronter très tôt les futurs enseignants aux contraintes du métier tout en développant les moyens d’observer et d’analyser des situations d’enseignement-apprentissage.

PROPOSITION 2 : une formation mixte de deux ans en alternance

Proposition 2.1

Il s’agit d’une formation en alternance. Dés la réussite au concours en fin de L3, la formation est prise en charge conjointement par l’université et par l’État employeur dans le cadre de stages, accompagnés et en responsabilités en deux ans ; elle permet à la fois l’obtention d’un M1 et d’un M2 et une véritable formation professionnelle longue.

Proposition 2.2

Lycée Lakanal, 92330 Sceaux. Céline Nadeau/Flickr, CC BY-SA

Il s’agit d’une universitarisation de la formation professionnelle qui ne se réduit pas à l’acquisition de connaissances dans les savoirs d’enseignement. Ces connaissances sont bien sûr indispensables… mais elles doivent être nourries de réflexivité et des savoirs de la recherche : par exemple, s’interroger sur les finalités et l’évolution de la discipline, sur les enjeux sociaux ou culturels de sa discipline, sur les relations de celle-ci avec les autres disciplines, sur la dimension civique de tout enseignement sur l’organisation d’un établissement scolaire. Il faut du temps pour mener une réflexion plus générale, ou encore un approfondissement sur les fondements épistémologiques ou gnoséologiques de tel ou tel élément de connaissance, pour intégrer les éléments de la didactique de sa discipline, ou encore se former à la psychologie de l’éducation ou à la sociologie de l’éducation…

Proposition 2.3

Tout professeur stagiaire en préparant son master devra nécessairement participer à un travail de recherche, activité facilitée par les projets collaboratifs menés entre enseignants et chercheurs. Ces projets s’intégreront obligatoirement dans l’emploi du temps de tous les professeurs dans le cadre de la formation continue. La formation par la recherche donne aux professeurs les éléments pour prendre du recul et analyser leur enseignement. La participation à une vraie recherche liée à une question vive en éducation doit être prévue.

Proposition 2.4 : une formation continue

La mise en place des projets collaboratifs en établissements scolaires permet la mise en œuvre d’une formation continue qui nourrit la recherche et s’en nourrit. Le métier de professeur s’apprend sur plusieurs années (c’est un métier dit d’expérience). Après la formation initiale intégrative, la formation continue doit permettre d’accompagner par des périodes de stages en université et à l’ESPE la première année en responsabilité. Enfin, une offre de formation continue au plus près des réalités des établissements d’enseignement devrait exister en complément de cette formation et être articulée avec la recherche et ses résultats, permettant à tout professeur de s’adapter aux mutations de la société.

Proposition 3 : organiser la collaboration de formateurs complémentaires

Proposition 3.1

Lycée Lakanal, 92330 Sceaux. Céline Nadeau/Flickr, CC BY-SA

Les équipes d’encadrement des formations sont constituées par plusieurs professionnels. Les enseignants qui accueillent dans leurs classes les stagiaires doivent être formés et avoir la responsabilité de l’accompagnement sur le terrain. Ils sont reconnus à ce titre. Les tuteurs ne sont pas les évaluateurs. Ceux-là interviennent dans un cadre d’évaluation différent. Les formateurs de l’ESPE interviennent en conseil dans les classes. Tous les intervenants se retrouvent dans un conseil de l’accompagnement, pour construire et partager une culture commune, qui évite les tiraillements entre perspectives théoriques et mise en œuvre pratique.

Proposition 3.2

Tout au long des trois années de formation, l’évaluation continuée est constituée en regard d’un référentiel de compétences. Celle-ci combine l’auto- positionnement du stagiaire, la guidance de l’enseignant qui accueille dans sa classe, les évaluations des formateurs.

Proposition 3.3

Faire en sorte que formellement dans la formation, les mouvements d’éducation populaire dans leurs diversités, participent à la formation des futurs enseignants.

Proposition 3.4

Faire vivre par les futurs enseignants durant les trois années de formation, d’autres expériences professionnelles en entreprise, dans les collectivités territoriales, ou structures sociales, de sorte de connaître la diversité des réalités sociales des élèves.

Lycée Lakanal, 92330 Sceaux. Céline Nadeau/Flickr, CC BY-SA

Voilà une proposition : sa caractéristique principale est de s’inscrire dans une durée longue. Dans aucun métier on ne peut faire croire qu’en quelques semaines, on construit les conditions d’une expertise professionnelle. C’est donc la responsabilité des politiques, mais également de tous les acteurs de s’imposer un devoir de cohérence. Cela a un prix. Celui de la démocratie.

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