Donner du sens à la science

Rogue Princess

Rogue Princess

04.01.2017, par
Après le décès de Carrie Fisher, la philosophe Sandra Laugier nous explique pourquoi la princesse Leia, que l'actrice incarnait dans la saga Star Wars, restera une figure emblématique de la culture populaire.

Comment expliquer la peine et le sentiment de perte personnelle que nous sommes si nombreux-ses à ressentir, apprenant la mort de Carrie Fisher ? L’actrice et écrivaine était une icône de la culture populaire depuis son rôle de Princesse Leia, aux côtés de Harrison Ford (Han Solo) et Mark Hammill (Luke Skywalker), oui, cela fait 40 ans – elle en avait 20 – dans l’épisode inaugural de la saga Star Wars – réintitulé ensuite Episode IV : Un nouvel espoir.

Au sens autobiographique, Star Wars c’est d’abord, pour moi, cette trilogie des années 1977-1983, magnifiquement écrite, et dont le charme, au-delà de la guerre contre l’empire, était dû en grande partie à la relation style très « comédie romantique » entre Leia et Han, à l’humour particulier des robots C3PO et R2D2 et de leurs homologues non-humains tels Chewbacca, et à l’exigence morale que traduisait « la Force », « l’Alliance rebelle ».

Star Wars - Carrie Fisher
Carrie Fisher dans Star Wars : Episode IV - Un Nouvel Espoir, en 1977.
Star Wars - Carrie Fisher
Carrie Fisher dans Star Wars : Episode IV - Un Nouvel Espoir, en 1977.

L’attachement au personnage de Leia, renforcé par la vision de sa naissance puis de son vieillissement,  porte la dynamique de la saga.

On les retrouve tous dans l’épisode VII, sorti en France il y a un an. Leia y est bien présente, non pas, comme elle l’imaginait en plaisantant dans une interview avant le tournage, « en maison de retraite intergalactique », mais toujours combattante, générale à la tête de la rébellion contre « Le premier ordre », hérité de l’Empire. Elle retrouve son vieux compagnon, Han Solo, l’un et l’autre ayant pris de l’âge mais c’est curieusement le plus touchant (la féministe Carrie ne s’est pas privée d’ironiser sur la différence de pression sur les hommes et les femmes en ces circonstances). Ce n’est pas spoiler que de rappeler que Han Solo meurt dans l’épisode VII, tué par le fils méchant que Leia et lui ont enfanté, Kylo Ren. La mort de Carrie Fisher, l’actrice, est aussi un adieu à un personnage-clé de la saga – différent mais comme écrit.

Leia est une figure extraordinaire, que l’on peut suivre ainsi depuis sa naissance (à la fin, terrible, de l’épisode III, « La revanche des Sith ») jusqu’à la maturité, dans le VII. Les jumeaux Leia et Luke, progéniture de Padmé Amidala et d’Anakin Skywalker, naissent au moment même de l’enfermement d’Anakin – carbonisé par son combat contre son maître Obi-Wan– dans l’armure de Dark Vador, et de la mort de Padmé (Natalie Portman). La présentation solennelle des deux bébés à l’écran, et à Obi-Wan (Wikipedia nous apprend c’est le même « acteur » qui a été utilisé pour ces deux plans) crée la transition entre la première trilogie (I-II-III), et la seconde déjà existante, les connectant par un lien naturalisé –  et affectif, bon nombre des spectateurs connaissant déjà les personnages de Luke et Leia.

Un modèle pour des générations de filles

On sait que dans le scénario, entre les deux premières trilogies, les deux jumeaux Leia et Luke sont séparés et grandissent dans la discrétion, dissimulés à leur père. On retrouve Leia à 20 ans, incarnée donc par Carrie Fisher, dans « Un nouvel espoir » et dans toute la « seconde » trilogie. Puis 40 ans après dans le VII. L’épisode VIII, où elle est présente, est déjà filmé. L’épisode IX devra sans doute se passer d’elle. Mais il est clair encore une fois que c’est l’attachement au personnage, renforcé par la vision de sa naissance, puis par celle de son vieillissement, qui porte la dynamique de la saga.

On a souvent critiqué le côté viriliste de Star Wars, dominée par ses héros masculins : Anakin, Luke, Obi-Wan, Han Solo. Leia a joué dans cet univers un rôle de modèle (role model) pour des générations de filles, noble et combattante, spirituelle, résistante… et sexy (ah, le bikini en or de l'épisode VI) sans être une superwoman ni une Jedi. Comme quelques années plus tard la Buffy de Buffy contre les vampires, elle a ouvert la voie à une héroïsation proprement féminine, affichée comme idéal élevé mais accessible à toutes. Ce côté combattante « ordinaire » se retrouve dans la Leia de l’épisode VII. Dans la nouvelle trilogie (VII-IX) s’exprime clairement la volonté de diversité qui était celle de Lucas depuis le début de Star Wars. L’héroïne principale du VII, Rey, est une jeune fille, son compagnon de route un jeune garçon noir. Mais c’est le personnage de Leia qui reste la figure féminine emblématique de la saga.
 

Leia a ouvert la voie à une héroïsation proprement féminine, affichée comme idéal élevé mais accessible à toutes.

Car c’est encore sur le visage singulier de Carrie Fisher (reconstitué avec les photogrammes de l’actrice à 20 ans) que se clôt le nouveau film « parallèle » Rogue One, dont l’action se situe juste avant la seconde trilogie, avec l’équipée d’un groupe de rebelles allant dérober les plans de l’Etoile de la Mort, arme de destruction massive mise au point par l’Empire et mise à l’essai dès le début de l’épisode IV dans une scène traumatique. Là aussi, au-delà de l’explicitation d’un élément du fameux générique du IV, défilant sur l’écran en lettres jaunes, l’effet est de renforcer les liens, dans la saga et donc à la saga. Je pense aussi à l’incrustation touchante et anachronique du visage de Hayden Christensen, l’Anakin des épisodes II et III, dans la scène finale et festive du Retour du Jedi. Et c’est d’autant plus bouleversant, au lendemain de la mort de Carrie Fisher, de voir ce visage de la princesse en clôture de Rogue One, prononçant le dernier mot du film : Hope,  l’espoir..

Rogue One, ou le sacre des combattants ordinaires

Pas de rébellion sans espoir, répètent à l’envi plusieurs personnages de Rogue One. Ce film, apparemment sans prétention, dépasse sans doute en puissance l’épisode VII qu’on a pu accuser d’être un peu trop un remake du IV. On y voit s’y constituer, là encore autour d’une jeune femme, Jyn, un petit groupe de rebelles qui se sacrifiera jusqu’au dernier dans la lutte contre l’Empire. Le film rend hommage, d’une certaine façon, aux invisibles et aux seconds couteaux, dont les actions ont permis la victoire de l’Alliance rebelle sur le côté obscur. Pas de Jedi dans Rogue One (apparemment ce sera une caractéristique de cette série « parallèle ») mais des combattants ordinaires, humains et robots, portés par une Force en quelque sorte démocratisée, qui renaît à travers ses formes faibles jusqu’au « nouvel espoir ». C’est aussi par une belle palette de seconds rôles (encadrés des guest stars Forrest Whitaker et Mads Mikkelsen) que se singularise ce film, qui aligne toutes sortes d’acteurs pas (encore) connus, et remarquables (encore que je ne doute pas que Riz Ahmed et Felicity Jones soient les stars de demain). Et c'est un film qui, pour une fois dans la série, est fini, sans suite possible, par le sacrifice des personnages, tous « secondaires ».
 

Star Wars - Rogue One
L'actrice Félicity Jones dans "Rogue One A Star Wars story", sorti en 2016.
Star Wars - Rogue One
L'actrice Félicity Jones dans "Rogue One A Star Wars story", sorti en 2016.

Le second rôle, c’est l’élément clé de la culture populaire.

Et qu’est-ce qu’un second rôle, justement, sinon celui.celle qui porte un film (d’où l’expression supporting actor/actress) et dont la présence, même lacunaire, marque durablement le spectateur ? Qu’on pense à l’importance de tant de personnages secondaires de Star Wars et l’impression que nous font les héros, pourtant sans lendemain ni postérité, de Rogue One. Le second rôle, c’est l’élément clé de la culture populaire, là où elle nous éduque à voir que le plus important est parfois le plus modeste, le moins visible ; où un personnage apparemment mineur s’inscrit durablement en nous.

Et je ne peux m’empêcher de penser à la carrière post Star Wars de Carrie Fisher, souvent négligée en comparaison de la glorieuse trajectoire d’un Harrison Ford, et faite de seconds rôles parfois oubliés ou ratés. Bien sûr, il y a eu les aléas personnels, princesse restée rebelle et décalée à vie, rogue – représentante d’un anticonformisme réjouissant et toujours hollywoodien. Carrie Fisher n’a comme actrice jamais atteint la notoriété et la gloire de la princesse Leia ; elle était une légende sans être une star. Il y a eu aussi l’écrivaine,  l’activiste politique. Mais cette série de rôles « secondaires » ou de moments de conversation, que ce soit dans les Blues Brothers, Quand Harry rencontre Sally…  jusqu’au récent Maps to the Stars de Cronenberg où elle joue son propre rôle, dessine aussi une trajectoire singulière, profondément inscrite en chacun.e des fans de Star Wars et dans la culture populaire occidentale dont elle restera une figure emblématique.
  
  
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
 

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