Fait-il bon travailler dans une « entreprise agile » ?

Fait-il bon travailler dans une « entreprise agile » ?

Depuis 5 ans, la majorité des grandes entreprises françaises cherche à devenir des « entreprises agiles ». Quel est l’impact de cette lame de fond sur la qualité de vie au travail ?

Des méthodes agiles à l’entreprise agile

Mises au point depuis 30 ans, les méthodes agiles sont largement répandues dans les activités de développement logiciel. Les termes étranges de « scrum » ou de « sprint » font partie du vocabulaire courant des développeurs du monde entier. Le principe est d’en finir avec les mois passés à rédiger des cahiers des charges exhaustifs, puis les mois à développer un logiciel, avant de s’apercevoir des écarts considérables entre besoins et réalisations. Les cycles deviennent courts, le client donne du feed-back en permanence, le développement se fait par petits blocs qui peuvent être mis en service avant finalisation globale de la solution logicielle. Tout est fait pour réduire l’excès de formalisme et renforcer le pragmatisme.

Puis une nouvelle idée est apparue : appliquer au reste de l’entreprise le concept d’agilité. Dans un environnement toujours plus complexe et incertain, l’entreprise cherche à gagner en rapidité dans l’exécution de ses mouvements. L’idée majeure de « l’entreprise agile » est de renforcer la capacité à réagir à l’imprévu et accélérer la mise en œuvre des projets stratégiques. L’ennemi devient la rigidité des processus, la lenteur des circuits de décision, les freins aux initiatives. Les réponses prennent la forme d’équipes à taille humaine et auto-organisées, d’un renforcement de la subsidiarité, de managers positionnés comme « coachs » plutôt que directifs, et de la diffusion d’outils collaboratifs. 

Deux formes d’entreprise agile : la bonne et la mauvaise...

Dans une partie des entreprises que nous rencontrons, l’agilité est organisée : une réflexion globale est menée sur la taille des équipes, la formulation des objectifs, le rôle des managers, les niveaux de décision, etc. Dans cette configuration, assez fidèle à l’idée de départ, c’est bien l’organisation qui doit progresser dans sa capacité à produire de l'agilité.

Cette configuration est le plus souvent une excellente nouvelle en termes de qualité de vie au travail, car elle en réunit les ingrédients clés : des capacités de décision locale, du soutien à l’autonomie, du sens, de la visibilité sur les contributions, des feed-back réguliers.

Mais plus fréquemment, nous observons une dérive : l’agilité commence à être présentée comme un état d’esprit, qui doit être porté par chacun. Rapidement, elle devient une caractéristique individuelle. On passe de l’entreprise agile à l’individu agile. L’entreprise fait l’économie d’une réelle évolution de son organisation et de son mode de management. On tombe alors dans l’incantation (« soyez agiles ») et dans le jugement de valeur (« vous manquez d’agilité »). Ce jugement de valeur est d’autant plus facile que le concept d’agilité n’a pas, en langue française, de contraire socialement acceptable. Si vous n’êtes pas agile, vous êtes « engourdi », « mou » ou « lourdaud ». La référence à votre supposée agilité est de plus en plus souvent utilisée pour légitimer une exigence d’adaptabilité, une rapidité d’exécution, des contradictions dans les priorités. Évidemment, cette injonction d’agilité faite aux individus ne rend jamais l’entreprise plus agile.

Dans cette configuration, l’agilité est une très mauvaise nouvelle en termes de qualité de vie au travail, car elle en réunit les facteurs de dégradation : perte du sentiment d’accomplissement, perte de sens, doute sur sa valeur, charge mentale, compétition entre collègues.

Notre conseil : utiliser la qualité de vie au travail comme une boussole

Les démarches d’agilité atteignent leurs objectifs si et seulement si l’entreprise adopte une approche organisationnelle de ce sujet. Quand c’est le cas, la qualité de vie au travail s’améliore. Quand ce n’est pas le cas, elle se dégrade.

En d’autres termes, si votre démarche d’agilité s’accompagne de difficultés remontées par les équipes sur le niveau d’exigence, la charge de travail ou plus globalement le stress, ce peut-être le signe que vous êtes partis dans la mauvaise direction (l’injonction d'agilité), et que vous n’atteindrez pas vos objectifs d’agilité.

 

 

Eric Wursteisen

Strategic Adviser, Culture hacker, organizations efficency

7y

Intéressant constat. Mais avant de dire mauvaise entreprise agile, c'est la transition vers l'agilité globale d'entreprise qui se doit d'être surveillée de près. Ce qui caractérise votre mauvaise entreprise agile est principalement une transition inachevée, où les gens ont été laissés pour compte après une formation agile de base globale. ce manque d'accompagnement montre que ceux voulant implementer l'agilité à grandeur n'ont eux même pas compris les valeurs de celle-ci. Une organisation ne devient pas

Effectivement, "l'injonction d'agilité" serait même source de rigidité et de cristallisation de comportements stéréotypés en tout environnement professionnel ! Je le pense tout au moins.

Christophe Lepeltier

Vice President Operations APAC at Hempel A/S

7y

So true...I love this article

Eric Solal

Digital transformation and IT innovation

7y

L agilité implique une transformation de fond y compris des valeurs de l entreprise , pas uniquement de son vocabulaire

très bon article, après les dérives du Lean mal digéré, on risque la crise de foi (non pas de faute d'orthographe ici ;-)) avec une mauvaise application de l'agile...

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