2016 sera l’année du web 3.0

Qui se souvient du web 2.0 ? Cette appellation peut vous sembler terriblement ringarde, mais à une époque pas si lointaine, le débat faisait rage entre ceux qui pensaient qu’un jalon majeur du web avait été atteint et ceux qui s’en foutaient (cf. Web 2.0 : une première définition ?). C’était à la grande époque de la blogosphère, une époque où l’on prenait le temps de se poser des questions et d’ouvrir le dialogue avec les internautes. Depuis, nous avons assisté à la double révolution sociale et mobile. À peine avons-nous eu le temps de nous accoutumer aux micro-vidéos et autres snapchat streaks, que l’on nous explique qu’il faut passer à la réalité virtuelle / augmentée.

Le temps se contracte à mesure que l’innovation s’accélère. Du coup, nous n’avons plus le temps de prendre du recul. C’est bien dommage, car nous en sommes en train de vivre le passage d’un nouveau jalon majeur de l’histoire de l’internet, le web 3.0. Mais avant de chercher à définir ce qu’est cette troisième itération, commençons par résumer les précédentes étapes.

Du web 1.0 au web²

À l’origine, internet était un réseau utilisé par des scientifiques qui cherchaient à partager leurs travaux. De ce fait, le web 1.0 reposait sur la publication : le grand public découvrait un formidable outil de communication (les emails), d’information (les portails) et de travail (documents et formulaires en ligne). C’était le premier réseau planétaire, le global network.

Cette période a duré jusqu’au milieu des années 2000, puis sont apparues les premières plateformes sociales et interfaces de programmation (API pour Application Programming Interfaces). Nous avons alors utilisé le terme web 2.0 pour décrire les changements majeurs induits par ces technologies (notamment les APIs et interfaces riches) et ces nouveaux usages (les applications en ligne, les pratiques de partage et conversation). Vous avez peut-être l’impression que les fonctions sociales (commentaires, partage…) ont toujours été présentes, pourtant, je peux vous garantir qu’à une époque pas si lointaine, seuls les informaticiens et les initiés étaient en mesure de publier des choses en ligne (soit une infime partie de la population). La démocratisation des outils de publication et de partage a donc permis de recentrer le web sur ses utilisateurs, tandis que la généralisation des interfaces de programmation a grandement simplifié les échanges d’informations. D’un réseau descendant (des producteurs vers les lecteurs), le web était devenu participatif, nous étions passés à un web en mode lecture / écriture (le fameux Read / Write Web).

Plus récemment, celui qui était à l’origine du terme web 2.0 nous a proposé un nouveau paradigme du web pour décrire les différentes innovations dont il était le témoin : la convergence entre le web et le monde physique, le Web Squared. Autant tout le monde a pu constater la prolifération des plateformes sociales et des applications en ligne, autant les domaines d’application du web squared était, à l’époque, beaucoup plus complexes à appréhender. Pourtant, 6 ans après, il s’avère que Tim O’Reilly avait vu juste avec les concepts qu’il décrivait : le real-time web (informations et interactions sociales en temps réel), les information shadows (les données qui accompagnent chaque individu, objet, événement, lieu, transaction…) et les data ecosystems (les jeux de données liés entre eux).

Nous sommes en 2016, les échanges en temps réel sont la norme (notamment dans la publicité avec le real-time bidding) et les données sont la principale matière première (« data is the new oil« ), notamment celles fournies par les objets connectés. Personne ne vous dira le contraire, en revanche, si vous posez la question autour de vous, et il y a très peu de chance pour que votre entourage connaisse le terme web squared et puisse vous en expliquer les concepts sous-jacents. Ceci étant dit, il serait difficile de les blâmer dans la mesure où le rythme de l’innovation est devenu infernal : impossible de tout suivre, à moins d’y consacrer 2 à 3 h/j. Nous étions tellement occupés à ne pas nous faire distancer, que nous n’avons pas pris le temps d’analyser les changements en cours. Pourtant, ces innovations et changements sont en train de façonner nos futurs usages et de nous faire franchir un nouveau jalon : celui du web 3.0.

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Du web sémantique aux agents intelligents

Celles et ceux qui ont envie de se moquer peuvent s’amuser à chercher la définition du web 3.0 que j’avais publié en 2006, mais c’était il y a presque 10 ans, donc plus réellement pertinent. Ce qui est en revanche nettement plus intéressant est de constater que le consensus de l’époque est toujours valable : le prochain jalon du web sera franchi grâce à la sémantique, c’est-à-dire à l’analyse du sens.

Si l’on résume, les différents stades d’évolution du web nous ont permis de cataloguer :

  • les contenus qui sont maintenant parfaitement indexés par Google (auteur, date de publication, révisions, mots-clés…) ;
  • les individus dont les profils n’ont plus aucun secret pour Facebook et les acteurs des adtech (nom, prénom, coordonnées, centres d’intérêt…) ;
  • les objets qui sont à vendre (dont l’ensemble des caractéristiques sont disponibles) et ceux qui nous entourent (que l’on sait identifier, car ils peuvent communiquer de façon active ou passive).

C’est la sémantisation du web qui a permis ce catalogage systématique et exhaustif des contenus, utilisateurs et objets. Une fois cette étape franchie, il ne restait plus qu’à trouver le moyen de relier ces entités sémantiques entre elles, c’est ce que proposent les agents intelligents. Certes, ils ne sont pas nouveaux, car on en parle depuis des dizaines d’années, mais la montée en puissance des intelligences artificielles et des interfaces naturelles va leur donner une place prépondérante dans cette nouvelle itération du web, le web 3.0.

Au coeur de cette nouvelle révolution du web, il y a donc les intelligences artificielles, celles qui tournent 24*7*365 pour structurer l’information (les concepts sémantiques) et affiner les algorithmes d’analyse (avec le principe du machine learning). Ces fameuses intelligences artificielles dont on parle beaucoup en ce moment, notamment celles de Google (DeepMind AI just beat a human world champion at Go) et de Microsoft (Microsoft’s AI chatbot Tay learned how to be racist in less than 24 hours). Ne faites pas l’erreur de penser que les intelligences artificielles sont là pour remplacer les humains et prendre des décisions à leur place. Non, elles sont avant tout conçues pour nous aider au quotidien, notamment à améliorer notre comportement (Cortana now scans your emails to make sure you’re keeping promises et Avoid Tickets and Stay Informed with New Waze Speed Limits Feature).

Les intelligences artificielles et le machine learning sont les ingrédients essentiels du web 3.0, car ce sont eux qui permettent d’exploiter tous les services de conciergerie qui reposent sur des interfaces textuelles (Magic, Operator, Digit, Commersational, Pana… et récemment Prompt).

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L’exemple le plus emblématique de ces services est Facebook M, l’assistant mobile intégré à Facebook Messenger qui est en test depuis plusieurs mois et dont nous entendrons certainement parler durant la developer conference du mois prochain.

Et puisque l’on parle d’assistant mobile, il nous faut également évoquer ceux qui sont disponibles nativement sur nos smarpthones : Google Now pour Android, Siri pour iPhone et Cortana pour Windows Phone (cf. Siri, Alexa and Other Virtual Assistants Put to the Test). Signalons également Alexa d’Amazon qui est accessible à travers différents terminaux connectés (Amazon Echo: The Invisible Platform et Amazon Unveils Two New Voice-Control Devices: Amazon Tap And Echo Dot).

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Les agents intelligents disponibles sur nos smartphones incarnent donc la révolution que nous sommes en train de vivre : celle qui va nous permettre de pleinement exploiter les contenus et données, celle qui va nous simplifier le quotidien. Jusqu’à présent, le web était considéré comme un outil dont il fallait apprendre à se servir, mais les interfaces naturelles (textuelles ou vocales) vous permettent de libérer toute la richesse de ces nombreux services en ligne.

Tencent et Facebook à la pointe, Google et Microsoft en embuscade

Vous l’avez compris, la pierre angulaire de ce web 3.0, c’est le smartphone. Véritable pont entre nos univers numériques et physiques, les smartphones savent tout de leur propriétaire, et sont même capables de devancer leurs besoins ou envies. C’est d’ailleurs le prochain chantier des intelligences artificielles : offrir aux annonceurs et distributeurs une longueur d’avance. Mais pour le moment, nous en sommes encore à la phase d’intégration des services. En ce domaine, le chinois Tencent nous a montré la voie avec les innombrables services disponibles dans son application mobile Weixin. Facebook devrait lui emboiter le pas avec sa Messenger Platform, qui sera officiellement lancée le mois prochain.

Si nous pouvons facilement appréhender le potentiel de cette Facebook Messenger Platform, les réponses de Google ou Microsoft sont en revanche beaucoup moins lisibles. Nous savons que ces deux géants disposent à la fois des compétences, des moyens financiers et des canaux pour proposer une plateforme équivalente (Hangouts pour Google et Skype pour Microsoft). Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont extrêmement discrets (euphémisme).

Au final, que vous en ayez conscience ou pas, une bascule est bel et bien en train de se produire : petit à petit, nos usages basculent vers les smartphones, et plus spécifiquement vers les applications transparentes (les contenus et services disponibles à travers les assistants mobiles ou les messageries). Et nous n’en sommes qu’au tout début, mais nous auront l’occasion d’en reparler.

MàJ (30/03/2016) : Microsoft vient d’annoncer le lancement de sa Developer Platform pour permettre à n’importe qui de développer son assistant conversationnel (bot en anglais) sur les versions grand public et pro de Skype (Skype is giving devs tools to build their own bots).