Nouvelle économie de l'expérience: les champions 2.0 ne sont pas ceux du 1.0

Par Etienne Cointe et Mathias Virilli, France Télévisions, Direction de la prospective

“Les champions 2.0 ne sont pas les champions 1.0”, a déclaré Didier Renard, CEO de CloudWatt lors de la 8èmes Assises de la Convergence des Médias qui s'est tenu mercredi à Paris.

En témoigne le succès fulgurant de YouTube, qui incarne le mieux l’enjeu de distribution auxquels sont soumis les acteurs traditionnels de la vidéo qui doivent conduire une transition numérique et amortir leurs investissements.

Cette distribution 2.0 passe par un enjeu fort d’accessibilité et de référencement, alors que 79% du trafic Internet sera consacré à du contenu vidéo en 2018 (66% déjà aujourd’hui). En 2020, Ericsson prévoit que parmi les 50 milliards d’objets connectés prévus, 19 milliards le seront avec de la vidéo.

De nouveaux services pour de nouveaux usages

Déjà, les téléspectateurs adoptent de nouveaux usages autour de la vidéo. Avec 6,3 écrans par foyer en 2013 (contre 5,3 en 2007), 65% des téléspectateurs ont fait du multitasking la semaine passée, et 17% ont commenté des programmes sur les réseaux sociaux. Mais les acteurs présents à ces Assises sont convaincus que la télévision linéaire n’est pas morte, et qu’un modèle hybride de la vidéo se profile.

Pour les diffuseurs, la difficulté est d’articuler leurs offres payantes et gratuites. Contrairement aux modèles freemium proposés par Spotify ou Deezer dans le secteur de la musique, les acteurs télévisuels doivent intégrer diffusions linéaires et services délinéarisés. La diffusion antenne reste aujourd’hui un point d’ancrage nécessaire à l’émergence et au succès de nouveaux services et programmes.

Ainsi, plutôt que de craindre une cannibalisation par ces nouveaux services, une chaîne devrait plutôt les envisager comme une opportunité de prolonger ses contenus grâce à une qualité de service renouvelée et une expérience utilisateur plus adaptée. Hervé Mathé, professeur à l’ESSEC et président d’ISIS, a d’ailleurs parlé “d’économie de l’expérience” pour décrire la nouvelle organisation induite par la transition numérique.

Si la limite de la télévision de rattrapage est limitée ordinairement à 7 jours en France, elle a allongée à 30 jours au Royaume-Uni, et débloquée en Allemagne, rendant un programme disponible de manière illimitée. Emmanuel Gabla, conseiller du CSA, n’a pas hésité quant à lui à pointer l’exemple américain, affirmant que chez le voisin transatlantique, “ce sont les épisodes récents qui sont payants, et les plus anciens sont gratuits”.

Tandis que le CSA exprimait ses interrogations quant au financement de la télévision de rattrapage, à laquelle les adeptes du replay consacrent tout de même  1h33  par jour sur tous écrans confondus, les diffuseurs demandaient une régulation plus cohérente avec notamment un dégel de la fenêtre de diffusion. Il n’est pas anodin de voir le téléchargement définitif se développer (6% du CA d’Orange, 50% de la VOD d’Arte) quand on sait que la VOD est soumise à une chronologie des médias qui rend un film disponible 4 mois seulement après sa première diffusion.

TVR

La France a des atouts 

Malgré une compétitivité importante sur le plan international, Gilles Fontaine, directeur-adjoint de l’IDATE, se montrait toutefois confiant quant à la capacité de l’audiovisuel français à s’intégrer dans l’ère numérique. Deuxième mondiale en termes d’exportation de films et troisième pour ce qui est des animés, la France est dotée de solides atouts structurels.

Selon lui, la capacité du marché français à s’internationaliser à partir d’une situation de contrôle du marché national doit passer soit par les chaînes TV, pour qui l’enjeu est de contrôler les droits des programmes diffusés, soit par les producteurs, détenteurs des programmes pour qui il s’agit de pouvoir les distribuer.

Emmanuel Chain, CEO d’Eléphant, société de production de contenus audiovisuels, est aussi convaincu que la France a le potentiel d’avoir des champions nationaux dans ce secteur à l’instar de ses réussites dans le luxe ou l’œnologie. Pour illustrer son propos, il se base sur le fait que la fiction française a procédé à un fort renouveau qui permet aux séries françaises de battre les séries américaines en termes d’audience sur la quasi-totalité des chaînes françaises de la TNT. Hum ! A voir !!

Il considère par ailleurs que l’industrie française doit faire face à deux défis. Économique dans un premier temps, en garantissant l’indépendance et une "scalabilité" des productions françaises afin de produire plus, pour moins cher. International ensuite, en misant sur des programmes qui fonctionnent d’abord sur le marché local avant de s’exporter.

Autre symbole d’optimisme, Christophe Tardieu, directeur délégué général du CNC, mettait en avant le record historique des ventes des programmes audiovisuels français à l’étranger, estimées à 180 millions d’euros en 2013, bien que le prix unitaire soit en baisse. Ces ventes progressent sur tous les genres et s’exportent principalement en Europe de l’Ouest, avec un succès encore trop modeste sur le territoire asiatique. Concernant les films français à l’étranger, on observe davantage un tassement des ventes, qui s’élèvent tout de même à 440 millions d’euros en 2013. Le marché se révèle plus instable car dépendant de l’émergence de blockbusters français, dont le nombre varie selon les années. Et qui sont, il faut le dire, assez rares !!

Christophe Tardieu a également salué les mesures gouvernementales concernant l’attribution d’un crédit d’impôt pour l’audiovisuel, proposé afin de garantir l’attractivité du territoire français : sont éligibles les films français aux budgets inférieurs à 7 millions d’euros, les créations étrangères souhaitant tourner en France, les productions en langue française ou dans une langue régionale en usage en France et les films qui contribuent au développement de la création cinématographique française et européenne ainsi qu’à sa diversité.

L'audiovisuel français a ainsi des atouts sur lesquels s'appuyer pour être compétitif à l'ère numérique. Avec les nouveaux usages ont émergé de nouveaux services accompagnés de grosses interrogations économiques et légales.

Quoiqu'il en soit, les acteurs de la vidéo ont bien intégré qu'il s'agissait désormais d'offrir au spectateur la meilleure expérience possible, les incitant à travailler ensemble pour promouvoir la création française, côté production ou côté distribution. A ce propos, Eric Walter, secrétaire général d’Hadopi, a souligné l’intérêt du piratage comme “laboratoire d’usage permanent” offrant un aperçu des attentes des utilisateurs. Et une alerte !