États-Unis : le boulanger français qui valait 100 millions de dollars

Pascal Rigo a quitté la France pour ouvrir une chaîne de boulangeries en Californie. Elle a été rachetée 100 millions de dollars par Starbucks. Entretien.

Propos recueillis par

Pascal Rigo, fondateur de la Boulange, rêve désormais de bien faire manger l'Amérique.
Pascal Rigo, fondateur de la Boulange, rêve désormais de bien faire manger l'Amérique. © La Boulange / Starbucks

Temps de lecture : 5 min

Pascal Rigo est un boulanger star aux États-Unis. Originaire de la région bordelaise, ce Français a fondé La Boulange, une petite chaîne de boulangeries artisanales implantées au coeur de la Californie. En juin 2012, Starbucks a racheté La Boulange pour 100 millions de dollars. Le Frenchie Pascal Rigo est désormais à la tête du département nourriture de Starbucks et il rêve de faire bien manger l'Amérique. Entretien.

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Le Point.fr : À quand remonte votre amour pour le pain ?

Pascal Rigo : J'ai toujours adoré le pain et l'atmosphère des boulangeries. À sept ans, j'ai commencé à garnir les galettes des rois de crème frangipane. J'adorais être en compagnie des boulangers. Je les percevais comme de joyeux drilles. Si bien que je passais tous mes samedis après-midi le nez dans la farine. Et puis, l'odeur d'une boulangerie relève de la magie.

Pourtant vous avez fait des études de commerce...

Savoir faire du pain ne suffit pas. Je voulais comprendre le côté commercial de la boulangerie. En France, il y a de nombreuses lacunes dans la formation professionnelle des boulangers. Trop souvent, on oublie d'apprendre aux élèves l'art de bien gérer une entreprise. À la même période, j'ai fait mon apprentissage sous la houlette de M. Bernard Contraire, un compagnon du devoir, non loin de Bordeaux.

Vous montez votre première boulangerie à Los Angeles au début des années 1990. Pourquoi ne pas l'avoir ouverte en France ?

En voyageant aux États-Unis, j'avais constaté que le pain n'était pas terrible... Au même moment, les Américains commençaient à vouloir bien manger. Bread Only, ma première boulangerie, répondait à ce nouveau besoin. Nous ne vendions nos produits qu'aux professionnels. En moins de six mois, nous avions tous les plus grands hôtels et restaurants de la ville pour clients.

Après avoir revendu Bread Only, vous déménagez à San Francisco pour de nouvelles aventures...

En 1998, nous ouvrons la première boutique de La Boulange sur Pine Street. Le magasin est tout petit. Il n'y a pas de place assise. Dans l'arrière-boutique, le fournil tourne à plein régime pour fournir du pain frais à tous les hôtels du centre de San Francisco. Les débuts sont modestes. Je suis présent à tous les postes. Mais très vite des Français ont rejoint mon équipe. C'était important de travailler avec des gens qui avaient grandi avec les produits que nous proposions à nos clients.

Y a-t-il des produits dont les Français raffolent et que les Américains détestent ?

J'ai une anecdote marrante à ce sujet. Lorsque nous avons décidé de faire des cannelés, j'étais convaincu que nos clients n'en raffoleraient pas. Le cannelé a tout pour déplaire aux Américains : petit et brûlé. Aujourd'hui, nous en écoulons 4 000 par jour dans nos 22 points de vente. À l'inverse, je ne peux pas en dire autant du sandwich au magret de canard et aux pruneaux, et de celui à l'andouille... C'est très frustrant pour moi, car ce sont mes préférés.

En juin 2012, Starbucks rachète La Boulange pour 100 millions de dollars. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?

La Boulange était déjà une très belle entreprise avec mille employés et 65 millions de dollars de chiffre d'affaires. Mais grâce aux 10 000 magasins de Starbucks, nous allions pouvoir partager nos produits avec 45 millions de clients par semaine. C'est une opportunité extraordinaire que nous ne pouvions pas manquer. Je me demande simplement pourquoi ils ont attendu si longtemps pour me faire cette proposition.

Vous êtes aujourd'hui à la tête d'un département qui réalise deux milliards de chiffre d'affaires par an. À ce niveau-là, peut-on encore parler d'artisanat ?

À San Francisco, tout est fait au jour le jour dans nos boutiques. Les produits que nous fabriquons pour Starbucks sont surgelés dès leur sortie du four. Ils sont remis à température et servis chauds. Manger un pain au chocolat chaud, c'est une expérience que nos clients ne connaissaient pas. Et pour répondre à votre question, je préfère manger un très bon produit surgelé plutôt qu'un croissant fabriqué par un boulanger qui ne saurait pas le faire. Nous en revenons toujours au problème de la qualité.

L'obésité fait des ravages aux États-Unis. Est-ce un facteur que vous prenez en compte dans la conception de vos produits ?

C'est un problème complexe. Nous ne pouvons pas vendre la même chose à un charpentier du Midwest et à un client californien. En revanche, nous veillons à utiliser les meilleurs produits. L'année dernière nous avons acheté la totalité des framboises produites en agriculture raisonnée aux États-Unis. Du coup, la production de l'année prochaine va doubler. Nous essayons aussi de faire appel à un maximum de produits locaux. Mais notre future bataille, c'est celle de la malnutrition chez les enfants. Aux États-Unis, un enfant sur cinq ne mange pas à sa faim.

Vous avez accompli le rêve américain. Votre histoire aurait-elle été possible en France ?

En France, ce qui ne va pas, c'est le manque de flexibilité. Pourquoi plutôt que de taxer les entreprises à 70 % le gouvernement n'offre-t-il pas des points d'abattement fiscaux à celles qui créent des emplois ? Il y a aussi cette absence d'envie chez les investisseurs à prendre des risques. Sans l'investissement privé, je n'aurais rien pu faire. Aux États-Unis, il y a un état d'esprit exceptionnel, nous ne sommes pas sclérosés par la peur de nous planter. Si on se plante, on peut se refaire. En France, on est la risée de tout le monde.

Êtes-vous boulanger ou entrepreneur ?

Les deux ! En France, l'entrepreneur est forcément de droite et gagne beaucoup d'argent. Il y a des dizaines d'entrepreneurs de gauche qui ont plein de choses à dire. Récemment, j'étais invité pour donner une conférence à l'université de Stanford. Un étudiant m'a demandé ce qu'il fallait faire pour être un bon entrepreneur. La solution est simple : passion et compassion. Il faut être passionné par ce que l'on fait et comprendre ce dont les gens autour de vous ont besoin. Pour moi, c'est ça, la clef.

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Commentaires (34)

  • marguy06

    Nous voyons
    bien que la France n'est pas les USA, la réussite chez nous n'est pas apprécier l'argent gagné par le travail et tabou ne pas en parler si possible.
    L'esprit des années antérieures qui étaient contre le capitalisme perdure.
    La France a 60 ans de retard. Sur les USA et d'autre pays émergents. Merci à vous messieurs les gouvernants de continuer dans cette voix sans issues, elle nous sera fatale à terme.

  • Bibi Mac Aron

    On peut reussir dans la boulangerie et la patisserie dans des grandes villes ou la population est dense comme a Manhattan et a Houston mais dans le midwest c'est le desert. Les gens travaillent dans le centre ville et vivent en banlieu ou les enfants vont a l'ecole. C'est vraiment eparpille ici. Les bonnes patisseries sont toutes a Paris, pas a Sevres ! Ici vous avez juste deux minuscule patisseries Francaise, Vanille a Chicago et Gerard (Suisse en fait) a Lake Forest. En fait j'achete ma buche de Noel a Pierrot Gourmet qui appartient au Peninsula.

  • Bibi Mac Aron

    Lenotre s'est plante aux US avec des plats congeles dans les annees 80s. Big time. Il essaye toujours de vendre des croissants comgeles. Le probleme ici c'est que l'Americain ordinaire est radin avec la bouf. La patisserie et les plats mijotes c'est pas leur truc. On trouve les meilleurs patisseries dans des hotels comme Le Peninsula parce qu'ils ont des patissiers Francais -et bien sur les resraurants Francais de NY.