"Il faut découpler croissance économique et consommation de matières premières", affirme Philippe Varin

La deuxième édition du World Materials Forum s’ouvre à Nancy le 9 juin, avec pour objectif d’identifier les solutions, technologiques ou organisationnelles, qui permettront de réduire l’intensité en matières premières de la croissance économique. Philippe Varin, président du conseil d’administration d’Areva après une carrière chez Pechiney, Corus et PSA, préside ce "Davos des matériaux".

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L'Usine Nouvelle - Comment est née l’idée d’un "Davos des matériaux" ?

Philippe Varin - La classe moyenne de la planète va doubler dans les 20 prochaines années. La tension que l’on observe aujourd’hui sur le CO2, on l’aura pour des raisons analogues sur l’eau, mais aussi sur les matériaux. Ces dernières années, on était dans une discussion de peak des commodités. La ponction sur les matières de la planète due aux voitures, télévisions, tous les produits que la classe moyenne utilise, est forte. L’année dernière, le travail a consisté à évaluer cette tension. Et historiquement, on n’a pas forcément payé les externalités, c’est-à-dire toutes les conséquences environnementales de l’extraction de matières. Nombre de problèmes sont donc encore devant nous.

Qu’attendez-vous de cette deuxième édition du World Materials Forum ?

Cette année, on va aller un cran plus loin. En amont, nous avons effectué une recherche avec McKinsey et le BRGM sur la rareté des matériaux. On a pris trois commodités de base (le minerai de fer, le cuivre et l’aluminium) et des métaux non-ferreux et mineurs (le nickel, le manganèse, le lithium, le vanadium, le cobalt, l’indium) et on a regardé pour chacun la criticité de la balance offre / demande. Bien sûr, la tension récente est due au super-cycle chinois, qui ne va pas se reproduire demain matin, malgré la croissance de l’Asean, de l’Inde et de l’Afrique. Donc on n’est pas très inquiets sur la rareté généralisée des matériaux, pour un certain temps. Mais il peut y avoir des tensions momentanées sur certains, liées à des changements technologiques ou à des événements politiques. Le germanium, le bismuth et même l’antimoine sont à 70% produits par la Chine. Il faut que les industries qui utilisent ces matériaux trouvent des solutions.

Grâce à quels outils ?

La première question est celle des leviers que l’on peut manipuler pour arriver à une augmentation de l’efficacité des matériaux, afin d’atteindre un découplage entre la croissance économique et la consommation de matière. Il existe nombre d’indicateurs qui ne donnent pas satisfaction pour l’action, comme la consommation matière d’un produit. Un iPhone [version 5c] pèse 132 grammes. La quantité de matière à extraire pour sortir ce produit, c’est 70 kilogrammes. Plus complexes, les analyses du cycle de vie sont aussi plus complètes mais il n’y a pas de norme.  Chaque entreprise a pratiquement les siennes, qui servent à justifier dans les rapports de responsabilité sociale et environnementale (RSE) qu’on a une bonne équation environnementale. Puis on a les indicateurs macro-économiques, comme l’intensité en matériaux sur le PIB. Notre travail consiste à identifier les bons indicateurs de ce « less and longer ». Par exemple le taux d’utilisation des produits. Les voitures ont un taux d’usage de 5%, les avions 60%. Donc tout ce qui aide à la mobilité efficace a un fort potentiel de réduction de l’intensité matières. Ensuite viennent les déchets produits sur la chaîne de production. Chez les constructeurs d’avions, le ratio buy to fly [achat de matériaux sur produit fini] est de l’ordre de 10, ce qui fait beaucoup. Ensuite, il y a des indicateurs sur la durée d’utilisation du produit, qui peut évoluer en remplaçant des pièces pour le maintenir dans la durée.

Quels sont, alors, les leviers d’action ?

Ils sont de deux ordres. Soit technologiques - fabrication additive, allègement -, soit liés à l’organisation des marchés. Si on maintient mieux les voitures, les avions et même les bâtiments, par exemple grâce à des capteurs, on a un gain potentiel conséquent. Cette année, on montre comment l’internet des objets, le digital, les capteurs à bas coût, sans énergie, qui se multiplient sur la supply-chain automobile, chez Faurecia par exemple, peuvent avoir un impact. Dans la construction, dont la supply-chain est l’une des moins efficaces, il y a aujourd’hui un mouvement de normalisation grâce au BIM [building information modeling]. Ce n’est pas uniquement de la science des matériaux, c’est aussi toute la digitalisation des process. Et l’autre volet portera sur les marchés dans trois secteurs : mobilité, construction et emballages. Si on se met à optimiser l’usage des voitures, avec des véhicules à conduite de plus en plus automatique, ou du partage, qu’est-ce qui est le plus efficace entre des dispositifs de ce type et des transports en commun ?

N’est-ce pas se tirer une balle dans le pied, pour un constructeur auto, de travailler sur ces sujets ?

Ont-ils le choix ?  Se tirer dans le pied de manière défensive n’est pas non plus une solution pour le long-terme.

L’impression 3D apparaît comme une piste évidente pour réduire les déperditions de matière dues à l’usinage ?

Sur la 3D, effectivement le potentiel est très important. Mais on est un peu embêtés parce que c’est à la fois évident que quand on fait de la fabrication additive pour un produit avec beaucoup de vide on réduit l’usinage, mais la performance des procédés a encore un potentiel d’optimisation important. Surtout en fabrication. En maintenance, la société Beam fait du 3D pour rechaper les ailettes de turbines usagées. Si vous ajoutez des métaux avec un plasma sur une pièce déposée sur un robot 5 axes, vous rechargez l’ailette au point d’en refaire une neuve. Vous pouvez rechaper des filetages aussi. Dans les plastiques et les céramiques, c’est aussi en train de démarrer.

Quels sont les nouveaux matériaux ou les autres changements prometteurs de modèles de production vers une utilisation plus vertueuse des ressources ?

Il y a toutes les poudres, liées à la 3D mais aussi au frittage. Puis le développement des nano-matériaux, des couches minces. Et il y a un très grand dynamisme des nouvelles formulations d’alliages, porté par la simulation. Enfin, les polymères et la fibre de carbone. Nous allons aussi parler de piles à combustible et de batteries, car ce qui limite la capacité d’une batterie c’est l’anode. Donc de nouvelles formulations pour remplacer le cuivre. Les nouveaux composites, comme les polymères techniques, les thermoplastiques recyclables, font de gros progrès. Autre exemple sur les matières, les nanotubes de carbone dans l’aluminium pour remplacer le cuivre.

Les recycleurs semblent souvent dépourvus face à l’évolution des alliages et des composites. Peut-on, aujourd’hui, se permettre de penser de nouveaux matériaux sans penser, en amont, à leur recyclabilité ?

C’est un gros sujet, car on progresse énormément sur la performance des matériaux multicouches, par dépôt de couches minces, les nanomatériaux… Mais, effectivement, on dégrade considérablement leur recyclabilité. Il y a  72 éléments de la table de Mendeleïev dans le portable avec lequel vous m’enregistrez, et le taux de recyclage doit être de 1%. Dans certains cas, il faut faire moins sophistiqué pour recycler plus, dans d’autres le gain d’efficacité justifie peut-être la moindre recyclabilité.

Propos recueillis par Myrtille Delamarche

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