Avant même d'être le roi de la gâchette, James Bond reste aux yeux de beaucoup le roi du placement de produit. Depuis les années 1960, la franchise encaisse des millions de dollars de la part d'entreprises désireuses d'apparaître dans le même cadre que l'anti-héros britannique. Alcools (Heineken aurait déboursé 45 millions de dollars pour apparaître dans la main de Daniel Craig dans Skyfall, soit un tiers du budget du film), voitures, compagnies aériennes, mais aussi produits de luxe. Dans Casino Royale, un personnage demande au héros si sa montre est une Rolex, outrage visible auquel Daniel Craig répondra sèchement "Omega". Impossible de croire que, sans un chèque de la marque, la scène aurait figuré dans le script. Les exemples sont infinis. La marque de lunettes Vuarnet réédite actuellement son modèle de solaire 006 - aucun lien de parenté avec l'espion anglais -, rappelant au passage qu'elles furent portées par Alain Delon dans le film La Piscine. Aux Etats-Unis, malgré des produits basiques de qualité moyenne, la créatrice Tory Burch s'est façonné une image BCBG en habillant les personnages de la série "Gossip Girl". Aucun doute, la pratique est efficace. Mais il y a mieux.
Car payer pour placer une montre ou un costume, c'est travailler l'image de marque, la notoriété. Impossible de calculer les retombées de ventes réelles. Le produit est montré, et si le spectateur (consommateur) est intéressé, il doit effectuer un minimum de recherches pour débusquer les références du modèle et la boutique qui le vend. Or, bien souvent, un film a été tourné un ou deux ans (voire plus) avant sa diffusion, donc peu de chance de mettre la main sur la même chemise que son héros préféré. Certains ont trouvé un semblant de parade. Ainsi, la marque américaine milieu de gamme Banana Republic a conçu une collection capsule inspirée de la série "Mad Men", en collaboration avec la chaîne et les producteurs. Véritable succès, elle s'est transformée en licence. Une vache qui n'aura pas donné de lait très longtemps, la série s'arrêtant l'année prochaine... Autre exemple de coopération fructueuse, le site anglais Mrporter.com et la chaîne américaine USA ont organisé en 2012 un défilé et une boutique éphémère à New York, vendant des produits inspirés des costumes portés par les personnages principaux de la série "Suits", Harvey Specter (toujours en Tom Ford) et Mike Ross (plus décontracté). Le chausseur Christian Louboutin s'est, lui, inspiré du film Maléfique, sorti en mai, avec Angelina Jolie pour créer une paire d'escarpins éditée en série limitée et disponible le 20 octobre prochain. Une collaboration pour la bonne cause - les bénéfices sont reversés à une association caritative -, mais la plupart du temps l'objectif est bien évidemment commercial. Marques et producteurs contrôlent la mutation du spectateur en consommateur. Et ce n'est pas fini.
En début d'année prochaine sortira "Kingsman", réalisé par Matthew Vaughn (Kick Ass, X-Men : Le Commencement), avec Colin Firth, un film d'espionnage britannique (visiblement un créneau porteur). Mrporter.com a collaboré avec Vaughn et Arianne Phillips, la costumière du film, pour créer une garde-robe complète de soixante pièces portées par les acteurs lors du tournage, et qui seront mises en vente sur le site Internet. "La mode masculine a toujours été inspirée par les personnages principaux de films, mais c'est la première fois que les costumes ont été conçus avec l'idée d'être plus tard vendus aux spectateurs de ce film, explique Toby Bateman, directeur des achats du e-commerce. Vous pouvez littéralement être assis dans le cinéma devant Kingsman et acheter en même temps les vêtements sur votre smartphone." Au programme, lunettes Cutler & Gross, cravates et pochettes Drake's, chemises Turnbull & Asser, etc. "Je suis certain que dans la décennie à venir ce genre de partenariat va devenir la norme. Ce n'est qu'une nouvelle façon, plus efficace, de faire du placement de produit, estime Christopher Laverty, fondateur du site www.clothesonfilm.com. Le travail des costumières va devenir plus difficile, elles devront désormais satisfaire deux marchés : celui des clients du monde réel et celui, imaginaire, de l'histoire du film." Pour Arianne Phillips, qui a déjà travaillé sur le film A Single Man réalisé par le styliste Tom Ford, c'est une occasion incroyable de "transformer des costumes en une collection tangible, qui sera portée en dehors des studios de tournage, cela prolonge l'histoire". La marque française De Fursac serait en train de travailler sur un format similaire en partenariat avec Arte pour une série prévue fin 2016.
Avec cette initiative, le spectateur est pris par la main. Plus question de perdre un client potentiel, tombé amoureux d'une cravate mais pas au point de chercher son lieu de vente. "L'idée de porter la même chose que son héros ou acteur favori sera toujours séduisante. Mais est-ce que ça ne tuera pas la profondeur d'un film ? Penserions-nous encore aujourd'hui que Steve McQueen était cool dans Bullitt si une collection capsule avait été dévoilée à la sortie du film ?", s'interroge Christopher Laverty.
Ces relations entre mode et cinéma font émerger de nouvelles icônes du style qui, dans quelques années, rivaliseront peut-être avec Cary Grant, Lauren Bacall ou Monica Vitti. Actuellement en pôle position, l'acteur britannique Colin Firth, qui semble choisir sa filmographie en fonction du sex-appeal de ses tenues. Après le film à l'esthétique irréprochable de Tom Ford, il apparaissait dans Le Discours d'un roi, puis dans La Taupe et enfin Kingsman. Autre concurrent, Gary Oldman, qui tenait, lui, le premier rôle dans La Taupe, dont le directeur artistique n'était autre que le designer anglais Paul Smith. Côté femmes, la grande gagnante est sans aucun doute Tilda Swinton : une collaboration réussie avec Pringle of Scotland, un statut de muse de nombreux designers, une publicité Mercedes habillée par le créateur Haider Ackermann, un rôle dans Amore, coproduit par Silvia Venturini Fendi, de la famille détenant la marque du même nom, happenings à succès avec Olivier Saillard, directeur du Musée de la mode parisien Galliera... Le compte est bon.
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