Pour le PDG de Carrefour, la transition numérique "c'est passer de Lascaux à Basquiat"

Orange et son Digital Society Forum organisait le 3 février une table ronde sur les transformations de l'emploi à l'heure du numérique.

L'occasion pour Georges Plassat, PDG du groupe Carrefour, de livrer une vision iconoclaste, à la fois enthousiaste et prudente, de la transformation numérique.

Métaphores aquatiques, culturelles et sportives à l'appui.

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Pour le PDG de Carrefour, la transition numérique

Entre art, philosophie, sociologie et économie… le PDG de Carrefour, Georges Plassat, a un point de vue plutôt iconoclaste sur la transformation numérique. Le patron du numéro deux mondial de la grande distribution, un groupe de 382000 salariés et 12000 magasins, s'est exprimé sur le sujet aux côtés de ses homologues de Accor, Orange, Leetchi ou Blablacar. Il était l'invité d'une table ronde organisée par le Digital society forum d’Orange le 3 février 2016 sur le thème : “quelles transformations de l’emploi à l’heure de la révolution numérique”.

 

Défigurer les talents conservateurs

Interrogé sur le défi que le numérique représente pour un groupe comme le sien, il a commencé par qualifier la période actuelle d'extraordinairement intéressante, employant une étonnante mais très parlante métaphore culturelle. “C’est comme si on était passés de la grotte de Lascaux à Basquiat, a-t-il estimé. Et la peinture contemporaine a l’air de vouloir défigurer les talents les plus conservateurs… Mais en réalité, quand on a longtemps regardé Basquiat, on a du mal à regarder de nouveau les peintres flamands…” Un avis plutôt tranché sur l'art autant que sur le numérique, façon de dire qu'il est bien difficile de ne pas être fasciné par cette économie, même quand elle menace une entreprise traditionnelle, comme Carrefour ?

 

Profiter de la transformation numérique pour redéfinir le travail qualifié

Quand on lui parle transformation du travail, automatisation, robotisation, le patron de la grande distribution avance qu'il faut voir le robot comme un autre nous-même. "Et comme cette transformation du travail est encore devant nous, on regarde cet autre nous-même avec beaucoup d’inquiétude.” Mais il est une notion un peu plus concrète qui surgît quand on parle de robotisation que Georges Plassat apprécie peu. Il s'agit de la distinction entre travail qualifié et non qualifié.

 

Selon les économistes présents à la table ronde, le numérique conserverait ainsi les emplois très qualifiés d’un côté, très peu qualifiés de l’autre, provocant la disparition de tous les emplois intermédiaires. “On parle de robots qui remplacent les travailleurs manuels, en quelques sortes, a résumé le PDG. Et ce faisant, on dévalorise ce type de travail. Je crois qu’il faut profiter de la transformation numérique pour redéfinir ce qu'on appelle des emplois qualifiés. Et le jour où l'intelligence artificielle remplacera l’intelligence tout court, on verra sans doute les "intellectuels" commencer à s'intéresser au sujet de l’emploi."

 

Une question de psychologie bien plus que de technologie

La patron de Carrefour s'inquiète aussi de cette disparition massive des emplois intermédiaires prédite par les observateurs du numérique pour une autre raison. "Nous allons entrer dans une démocratie directe car tout le monde aura accès à une quantité considérable d’informations, a-t-il estimé. Tout le monde va aller chercher ces informations, les gens vont se connecter entre eux." Georges Plassat voit dans ce phénomène habituellement considéré comme positif une "dispersion considérable des idées et des points de vue ".

 

"Si on n’a plus du tout de niveau intermédiaire, de gens qui canalisent, qui rassurent, on risque d'être dans une démocratie directe d’une grande violence, a-t-il précisé. Mais je suis convaincu que la psychologie va s’emparer du numérique. Et c'est une grande chance."

 

Des effets de miroir et des effets de surprise

Le patron de Carrefour l'a répété : "le numérique est une révolution technique, certes, mais surtout psychologique. Et c'est ce que l'on doit faire comprendre à tout le monde."  Le constat vaut pour les entreprises. "On me parle de livraison à domicile, a-t-il relevé, interrogé sur la concurrence d'Amazon. Mais quand j’étais enfant, on livrait le lait sur le palier de notre appartement tous les matins. Les commandes se faisaient par téléphone, par fax, …" Rien de nouveau – ou presque- du côté du produit, du service, de la technologie, en quelques sortes. En revanche, pour Georges Plassat, le changement, c'est que le numérique rend les entreprises beaucoup plus transparentes. Elle les connecte avec leur environnement, et "pire que tout, avec elles-mêmes. Et cela provoque des effets de miroir, des effets de surprise."


Georges Plassat a assuré ne pas se sentir pas menacé. "Mais nous sommes lucides," a-t-il cependant tempéré. Reprenant une expression de Stéphane Richard, le PDG d'Orange, il a confirmé ressentir le numérique comme une "invasion". Et pour le patron de Carrefour, c'est un phénomène qui est aussi purement économique et financier. Le numérique, selon lui, se qualifie lui-même et s'auto-prédit un grand avenir, attirant les capitaux à lui. Et puis il y a les Gafa... Autant de phénomènes qui entrainent avec eux le reste de l'économie. Pas question pour Carrefour d'être le poisson mort qui se laisse entrainer par le courant, ni le poisson vivant qui fini toute de même mangé par le squale... Une double métaphore aquatique pour signifier que Carrefour ne compte pas se laisser submerger par l'invasion, tout en restant prudent ?...

 

La rupture des frontières territoriales

Pour Georges Plassat, quoiqu'il en soit le numérique est à l'origine de deux changements d'importance pour Carrefour. Le premier, c'est la rupture des frontières. "Nous venons d'un métier extrêmement territorial. Or, le numérique introduit le concept d'extra-territorialité des entreprises." Le PDG a rappelé que son groupe dispose de plusieurs formats de magasins : supermarchés, hypermarchés, petites surfaces de proximité, qui répondent à des fonctions différentes. "Notre client peut passer de l'un à l'autre comme il l'entend. Mais avec le digital, désormais, il passe une commande à distance pour se faire livrer chez lui ou peut décider de passer quand même en magasin. Nous pouvons aussi le solliciter pour aller chercher un produit sans savoir précisément dans quel type de surface il ira aller le chercher." Deuxième changement introduit par le numérique, le client a désormais accès, face à son écran, à toute les offres disponibles sur le marché.  "Cela ouvre le champ à de nouvelles méthodes de concurrence que nous n'avions pas anticipées, avoue Georges Plassat. Sur des critères objectifs. Et de nouveau, comme la robotisation, cela génère des peurs."

 

Tenter des passes dans le vide, à la brésilienne

"Tout va consister à comprendre mieux le client," a-t-il cependant estimé. Pas au point de suivre toujours sa voix, pour autant. Le patron de Carrefour estime que ce sont les apps qui seront la clé de cette meilleure compréhension de ce que veut le client. Il s'agira de lui apporter une réponse qui lui convient, mais à laquelle il ne s'attend pas forcément, ce qui devrait permettre au groupe de se différencier. "C'est passionnant. C'est comme la passe dans le vide inventée par les footballers Brésiliens ! Le principe, c'est d'envoyer le ballon à un endroit où il n'y a pas de joueurs... En regardant, on peut se dire que c'est idiot, mais assez rapidement quelqu'un s'empare du ballon, et là... Dans la transformation numérique, certains vont s'emparer du ballon plus vite que d'autres."

 

Des résistances AU NUMERIQUE SALUTAIRES 

Reste que Georges Plassat ne veut pas confondre vitesse et précipitation. Il a ainsi exprimé son souhait que les collaborateurs de Carrefour développent une capacité critique face au numérique. "Les résistances qu'on rencontre dans nos entreprises face à ces transformations sont assez salutaires, a-t-il ajouté. Elles régulent la vitesse de transformation et nous permettent de ne pas entrer dans une espèce d’échappée diabolique dans laquelle on perdrait tout contrôle." Le patron de Carrefour regrette la tendance à appliquer la vitesse des flux du numérique à tout le monde. "Il faut accepter l'idée que cette transformation incroyablement rapide et puissante subisse quand même des blocages, des ralentissements. Même si pour les dirigeants d’entreprise c'est pénible ! " Pour le PDG, le numérique ne doit pas devenir une religion comme il semble en prendre le chemin.

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