La vengeance d’un pseudo-hacker contre Rue89 vire au tragique

La vengeance d’un pseudo-hacker contre Rue89 vire au tragique

Depuis plus de deux semaines, Grégory Chelli, un pseudo-hacker « sioniste », agissant jusqu’ici en toute impunité à partir d’Israël, s’en prend par tous les moyens à Rue89, à certains de ses journalistes, et à leurs familles,...

Par Pierre Haski
· Publié le · Mis à jour le
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Depuis plus de deux semaines, Grégory Chelli, un pseudo-hacker « sioniste », agissant jusqu’ici en toute impunité à partir d’Israël, s’en prend par tous les moyens à Rue89, à certains de ses journalistes, et à leurs familles, avec des conséquences tragiques.

« Il n’y a pas mort d’homme », déclarait mercredi Grégory Chelli à Libération, comme pour minimiser l’impact de ses actes après le dépôt de plaintes et l’ouverture d’une information judiciaire en France.

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Cette phrase est choquante car la violence des actes du hacker franco-israélien a eu des suites tragiques que la famille de notre journaliste, visée par son harcèlement, n’avait pas voulu rendre publiques jusqu’ici. Nous les publions aujourd’hui, à sa demande, afin que chacun prenne la mesure de ce qui s’est produit.

Rappelons les faits et leur gravité qui ont justifié pas moins de cinq plaintes de la part du site et de ses collaborateurs. Depuis le 29 juillet, date de parution de l’article le concernant qui lui a déplu, ce pseudo-hacker connu sous le nom de « Ulcan » se venge avec les armes qu’il affectionne au quotidien : hacking, pièges téléphoniques, piratages. Les conséquences ont dépassé l’entendement.

Harcèlement

C’est surtout en s’en prenant aux parents de l’auteur de l’article, Benoît Le Corre, qu’il a franchi toutes les limites. Il a harcelé la famille de notre collaborateur à deux reprises, la première pour tenter de lui faire croire que leur fils était mort ; la seconde en piégeant la police qui a cru à un meurtre et a déboulé sans ménagement chez les parents à 4 heures du matin.

Cinq jours après, le père de Benoît faisait un infarctus. Il a été placé en coma artificiel afin de préserver son cerveau. Il le demeure encore aujourd’hui.

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En raison d’antécédents familiaux et d’une hyperactivité professionnelle, le père de Benoît était une personne à « hauts risques », selon les médecins. Mais il est difficile de ne pas faire le lien avec le stress éprouvé les jours précédent cet infarctus. Selon un des réanimateurs, « on ne peut pas clairement établir une corrélation entre le stress et l’infarctus, mais on a envie de dire que ce n’est pas étranger ».

Il ne s’agit pas ici d’établir une relation de cause à effets, mais il est indéniable qu’un stress maximal a été infligé à cette famille. Chacun pourra juger de la violence des procédés employés auprès de personnes dont le seul « crime » est d’être les parents d’une personne visée (méthode totalitaire s’il en est).

« J’appelle avec son téléphone »

Lorsqu’il appelle les parents la première fois – il s’en est vanté sur les réseaux sociaux –, Ulcan se fait passer pour un policier :

« Madame Le Corre, c’est la police, la 1ère DPJ (Département de la police judiciaire). Concernant votre fils Benoît, il a eu un accident. Il est décédé, il a été agressé suite à un article il y a quinze minutes. J’appelle avec son téléphone. Il a reçu une lame au niveau de l’intestin. Vous lui connaissiez des ennemis ? Je suis Daniel El Rojo, vous pouvez appeler à la DPJ, poste 47. C’est pas moi qui l’ai tué. Vous devez venir avant 23h30 pour voir le corps, si vous avez une adresse e-mail, je vous envoie les photos du cadavre. Il a crevé. »

Face à la méfiance des parents, il change de registre :

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« Vous savez ce qu’on va faire, je vais appeler vos voisins pour dire que vous êtes un pédophile, j’en ai rien à foutre, tu dis à ton fils d’enlever l’article. Je connais votre adresse. Je vais te faire une réputation de malade. Appelle ton fils de pute de fils, je vais dire à tes voisins que tu mets ton zizi dans les animaux et les enfants. Je veux que ton fils fasse de moi un superhéros dans son article, qu’il m’encense, tu peux porter plainte, je suis au-dessus des lois, j’encule la police. C’est pas la police qui te sauvera. »

Mais ce n’est rien à côté de ce qui les attend 48 heures plus tard. Benoît dîne avec ses parents pour oublier l’incident téléphonique. Ceux-ci rentrent chez eux, en région parisienne. Ils coupent la ligne téléphonique avant de se coucher, pour éviter toute mauvaise surprise d’Ulcan.

« Ce qu’ils cherchaient, c’était un corps »

La mère de Benoît raconte :

« Vers 4 heures du matin, on a entendu la sonnette. Au début on ne voulait pas ouvrir. Puis on s’est habillés, et on est allés jusqu’à l’interphone. La personne s’est présentée comme un commandant de police. Thierry a lâché le bâton qu’il avait pris l’habitude de mettre au pied du lit depuis le début de cette histoire. Il a ouvert la porte. J’ai été frappée par le dispositif. Plusieurs policiers, avec leurs boucliers, nous mettaient en joue avec leurs armes. C’était une vraie séance de cinéma dans le quartier. Ils sont tous entrés dans la maison. On a eu beau demander plusieurs fois ce qui se passait, on ne nous a rien dit. Un à un, les policiers revenaient et disaient “RAS”. Ce qu’ils cherchaient, c’était un corps. »

Le hacker avait appelé le commissariat de Dammarie-les-Lys, en Seine-et-Marne, et, se faisant passer pour le père (en utilisant le logiciel Crazy Call qui permet d’appeler avec le numéro de téléphone de la personne), avait annoncé qu’il avait tué femme et enfant.

Rappelons que vendredi dernier, peu avant minuit, il a refait la même chose à mes dépens, en faisant croire aux policiers que je venais de tuer ma femme et m’étais retranché chez moi avec une arme.

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« Opé Benoît Le Corre »

L’auteur de l’article, Benoît Le Corre, a lui aussi subi les foudres du pseudo-hacker : il a été couvert d’injures d’une rare violence dans un entretien téléphonique aussitôt mis en ligne.

Dans le même temps, l’homme s’en est pris au site. Les deux premiers jours, il parvient, à le paralyser quelques heures par des attaques par « Déni de service » (DDOS). Depuis, il s’en est pris quasiment quotidiennement au site sans parvenir à ses fins.

Que ce soit en s’en prenant au site ou à ses journalistes, il s’agit d’une tentative d’intimidation d’un média inadmissible et qui est vouée à l’échec. C’est le sens du message de solidarité que les rédactions des groupes Le Monde et Nouvel Observateur (auquel appartient Rue89) ont signé ensemble dimanche, et auquel Libération s’est joint mercredi.

Le site de la CGT Radio France hack par Ulcan
Le site de la CGT Radio France hacké par Ulcan - capture

Le « militant sioniste », comme il se décrit sur son compte Twitter, tire sur tout ce qui bouge. Rien que mercredi, le site de la CGT-Radio France a été hacké, et celui de Libération attaqué après que le journal a consacré deux pages à « Ulcan », avec un dessin qui lui a semble-t-il déplu...

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Cet ancien membre de la Ligue de défense juive (LDJ, extrême droite), tient également un site de tchat vocal, une sorte de cour dont il est le roi.

On peut ainsi l’entendre parler de ses « Opé Benoît Le Corre » ou « Opé Rue89 », comme il aime les appeler. En venant sur son tchat, on pouvait l’entendre appeler en direct le commissariat de Besançon, à 2 heures du matin, pour un canular téléphonique aux conséquences potentiellement fâcheuses. Ou appeler le commissariat du Xe arrondissement pour envoyer la police chez moi.

Il est connu des services de police français

Né dans le XVIe arrondissement de Paris, il est connu des services de police français : il a été condamné en 2006 et 2009 pour « violence commise en réunion » et « dégradation ou détérioration du bien d’autrui ».

Il habiterait aujourd’hui loin de la juridiction française, à Ashdod, en Israël. Sur le bureau du Procureur de la République, les plaintes à l’encontre de Grégory Chelli s’empilent. Lui-même est persuadé que son lieu de domicile, en Israël, le protège de toutes formes de jugements.

Et pourtant, son changement de ton, mercredi auprès de Libération puis dans une vidéo d’auto-justification sur YouTube ce jeudi, montrent qu’il commence à s’inquiéter. Il y a de quoi. Même en Israël, le pays qui pourrait être sensible à sa posture musclée, qui voudrait d’un défenseur du sionisme qui s’attaque à des parents pour leur faire croire que leur enfant est mort ?

Pierre Haski
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