Vers un modèle de crowdfunding à la française

L'audacieuse réglementation du financement participatif orchestrée par Fleur Pellerin n'a rien à envier à ses cousines américaines ou britanniques. De quoi faire de la France un modèle de l'économie alternative... Par Mehdi Ouchallal et Stéphanie Roy, avocats spécialisés en capital investissement.

Le crowdfunding, qui consiste en la rencontre (quasi)directe entre l'épargnant et l'entrepreneur, en écartant les intermédiaires traditionnels du financement, est-il en passe de devenir un nouveau catalyseur de croissance et de développement ? 

Les prévisions de croissance de ce secteur laissent penser qu'il dépassera le cadre de la seule finance solidaire et pourrait redéfinir les fondements des modes de financements de l'économie réelle.

Ce phénomène récent accentue le foisonnement des projets innovants, paradoxal mais logique en période de crise : les jeunes talents, boudés par les grandes sociétés en réductions d'effectifs, s'expriment dans l'entrepreneuriat.

 

La crise et la pression des PME 

La période de crise que les pays occidentaux traversent a vu grandir une double défiance : d'une part, celle des épargnants envers les offres classiques d'épargnes, dont les acteurs sont souvent jugés responsables de la crise, et d'autre part, celle des acteurs classiques et monopolistiques de la finance, dépositaires officiels de l'épargne, envers les PME jugées trop risquées.

Une impressionnante montée du phénomène crowdfunding a alors été observée : poussées à contourner les circuits traditionnels de financement, les start-ups et PME, en mode 2.0, sollicitent directement l'épargne via Internet. Certaines y ont trouvé non seulement les financements recherchés, mais aussi, par un effet collatéral vertueux, un vecteur marketing de leur projet entrepreneurial : l'investisseur d'aujourd'hui sera le client de demain. D'aucuns parlent même de ce phénomène comme ayant transformé la consommation : autrefois passive elle peut désormais être active.

Un obstacle : la réglementation

Ce contournement par le web, naturel dans de nombreux secteurs de l'économie, s'est heurté en matière financière à de puissants obstacles réglementaires dont les régulateurs de la finance sont les gardiens. La banque et la finance sont des métiers à risque qui, selon la réglementation en vigueur, doivent être réservés à des experts agréés, le plus souvent sous peine de sanctions pénales.

Ainsi en est-il de l'exercice pour les plateformes de l'activité d'établissement de paiement, de prestataire de services de paiement ou d'intermédiaire financier en placement de titres financiers, mais également de la violation du monopole bancaire pour les prêteurs, et de l'offre au public de titres financiers sans visa du régulateur pour les entreprises levant des fonds en capital. Autant dire qu'en pratique, toutes ces opérations sont strictement réservées aux professionnels de la banque et de la finance.

Une poussée des acteurs du crowdfunding

Nous avons alors assisté en peu de temps à une poussée des acteurs du crowdfunding, relayée par une presse attentive, qui s'est fait l'écho de la cause de la finance participative et de ses vertus principalement en matière de création d'emplois et de richesses, dans une période où les courbes de la croissance et du chômage n'esquissent aucun sourire.

Cet effet médiatique, en plus de nourrir le flux d'investisseurs internautes, a fini par bénéficier d'une oreille favorable des responsables politiques. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Italie et enfin, en France, des travaux ont été amorcés sur ce sujet pour offrir au crowdfunding un espace de développement.



Une brèche dans la réglementation 

En France, faisant suite aux assises de l'entrepreneuriat en avril 2013 et à une consultation publique pour une nouvelle réglementation, Fleur Pellerin a annoncé, le 14 février 2014, les principes d'un nouveau régime pour la finance participative, instaurant des statuts spécifiques allégés pour les plateformes et autorisant les entreprises à lever via cet outil jusqu'à un millions d'euros par an : ces assouplissements constituent une véritable brèche dans la réglementation bancaire et financière.

Les acteurs traditionnels de la banque et la finance ont accordé peu d'intérêt à ces récents développements. Beaucoup d'entre eux jugeant les volumes d'investissements peu significatifs et leurs marchés non concernés par ce nouvel outil de financement, assimilé à du micro-crédit. Le phénomène du crowdfunding, désormais systémique, en ce sens qu'il établit une connexion directe de l'économie avec l'épargne va toutefois rapidement prendre ses lettres de noblesse auprès de ces acteurs traditionnels, dans un cadre règlementaire favorisé et encore en évolution, avec un soutien politique marqué et d'attractifs et florissants projets à financer.

 

La France, un espace d'essor du crowdfunding ?

Le crowdfunding est à ce jour bien moins développé en France que dans les pays anglo-saxons, mais plusieurs indices laissent penser que la France constituera un espace géographique favorable à l'essor de cette nouvelle finance.

Tout d'abord, les Français sont les champions de l'épargne et les PME françaises tiennent un rang plus qu'honorable dans les secteurs innovants. La réforme sur le crowdfunding aura ainsi pour vertu de permettre la connexion entre ces deux mondes.

Par ailleurs, il existe en France une culture institutionnelle de l'investissement en PME, accentuée par l'incitation fiscale à investir en PME instaurée par la loi dite TEPA (travail, emploi, pouvoir d'achat). Les sociétés de venture capital françaises sont parmi les plus foisonnantes et performantes en Europe. De même, certaines banques et sociétés d'assurances mutualistes françaises affichent leur politique de proximité avec le tissu des PME. La mise en place de synergies pourra apporter leurs expertises sectorielles aux secteur de l'equity crowdfunding (plateformes d'investissements en actions) et du lending crowdfunding (plateformes d'investissements en prêts), notamment en matière d'analyse de rentabilité et de risques dans la sélection de dossiers à présenter aux internautes, ainsi qu'en matière de savoir-faire dans la relation entre l'entrepreneur et ses prêteurs ou investisseurs-actionnaires, auxquels il faudra apprendre à vivre ensemble au sein du capital d'une société.

De leur côté, les fonds de capital-investissement et les banques de proximité sauront une fois de plus s'adapter à l'économie de demain et aux besoins de ses acteurs. En effet, leur positionnement privilégié dans le financement et le refinancement des PME les place en première ligne pour identifier bons nombre des projets ainsi que les synergies qu'ils recèlent. La mise en place d'un cadre économique et juridique de qualité satisfaisant aux équilibres entre les intérêts et les risques des investisseurs, des PME et des plateformes sera un gage de développement de partenariat pérenne en la matière. De ces synergies pourrait découler un modèle de crowdfunding à la Française.

 

Une réforme audacieuse et avant-gardiste

Enfin, la réforme telle qu'annoncée par le gouvernement français est en elle-même la plus audacieuse tant en Europe que dans le reste du Monde. Tout en imposant des garde-fous tenant à la transparence en matière de frais, la bonne information de l'épargnant sur les risques encourus et la modélisation d'un processus interactif permettant de guider l'investisseur dans son choix d'investir en fonction de ses objectifs et de sa situation personnelle, c'est la réglementation qui posera le moins de barrières à l'entrée pour l'investisseur (aucun plafonnement d'investissement exigé selon les ressources de l'internaute, contrairement à ce qui sera prévu aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni), pour l'entreprise qui souhaite lever des fonds (aucune condition d'activité cantonnée à certains secteurs, contrairement à ce qui est prévu en Italie) et pour les plateformes de crowdfunding (aucun minimum en fonds propres requis, hors cas spécifiques d'encaissement de fonds). Il en ressort qu'il est fort probable, non sans que cela ne soulève de nouvelles problématiques  réglementaires transfrontalières, que la France attire tant les entreprises que les épargnants étrangers : la particularité bien connue d'Internet étant d'ignorer les frontières.

 « Faire de la France un Pays pionnier du financement participatif ». Tel était l'objectif affiché par Bercy le 14 février dernier. Ce positionnement avant-gardiste s'inscrit sans surprise dans une certaine culture française qui nourrit l'espoir de bâtir un modèle économique et financier alternatif fondé sur un subtil équilibre entre le développement de l'esprit entrepreneurial, d'une part, et la participation et la solidarité, d'autre part.

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Commentaires 6
à écrit le 04/04/2014 à 13:02
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Si l'on va bien "Vers un modèle de crowdfunding à la française", pourquoi s'obliger à utiliser un terme exogène pour le désigner ? Encore un bel exemple d'usage anglo-servile ! :-(

à écrit le 03/04/2014 à 19:16
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Preter directement de l'argent c'est bien .Mais sur quels criteres ? Il faut etre quand meme un peu de la partie pour investir directement dans une entreprise car la vrais question ,c'est la garantie du capital.Bien sur en bourse le capital n'est jam...

à écrit le 03/04/2014 à 16:09
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il suffit de voir les rizieres ,plantees de riz immergés les poissons tilapias sont la pour manger les larves de moustiques ,les canards broutent les algues et autres phytoplanctons ,au final ....du riz ,des canards ,des poissons et souivent en plus...

à écrit le 03/04/2014 à 15:04
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un superbe terrain de jeu pour les arnaqueurs de tout poil. Je ne donne pas deux ans avant qu'un scandale d'escroquerie à plusieurs millions n'explose.

le 04/04/2014 à 16:58
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Que des optimistes. Et ce nouveau moyen de transport : "l'aviation", vous pensez que cela va marcher?

à écrit le 03/04/2014 à 12:08
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Quid des acteurs grand public actuels comme KissKissBangBang and co, qui dénaturent les vrais intérêts du crowdfunding, pour en faire un outil sans grand intérêt et où la plateforme ne prend aucun risque tout en encaissant les commissions. Vraiment ...

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