VIDEO. Naufrage du «Thésée» : l'incroyable épave refait surface 250 ans après

    L'authentification du «Thésée», dont plusieurs morceaux viennent d'être prélevés pour la toute première fois, est imminente. Préservé dans un linceul de vase, ce joyau de la marine française coulé en 1759 au large du Croisic (Loire-Atlantique)

    VIDEO. Naufrage du «Thésée» : l'incroyable épave refait surface 250 ans après

      On l'appelle déjà le «Pompéi sous-marin» français : le Thésée, l'un des fleurons de la marine royale de Louis XV, coulé par les Anglais en baie de Quiberon en 1759, lors de la terrible bataille des Cardinaux, va-t-il enfin livrer tout ses secrets ? Une équipe de passionnés et de scientifiques vient pour la première fois de prélever à l'emplacement présumé de l'épave plusieurs morceaux de bois et de métal, ouvrant ainsi la voie à l'authentification formelle du navire.

      L'enjeu est énorme : les experts pensent en effet que ce «74 canons », flambant neuf au moment du naufrage, gît d'un seul bloc par 20 mètres de fond, dans un état de conservation remarquable. Il pourrait donc à terme être renfloué entier, une première en France pour un navire de cette époque !

      VIDEO. L'épave du Thésée sans doute au large du Croisic

      Une manÅ?uvre malheureuse et un fiasco naval

      Petit retour en arrière. Nous sommes en novembre 1759, en pleine guerre de Sept Ans entre la France et l'Angleterre. Le Thésée, 74 canons et 600 hommes, dernier fleuron de la marine, ainsi qu'une vingtaine d'autres vaisseaux français, quittent Brest et redescendent vers le Morbihan afin d'embarquer l'infanterie et de filer vers l'Ecosse, en vue d'un débarquement.

      Au large, la flotte britannique de l'amiral Hawkes repère l'escadre et décide d'aller au contact. Le 20 novembre, la bataille s'engage sur une mer démontée, en baie de Quiberon, au niveau des rochers des Cardinaux. Nettement moins expérimentée et dotée de moins bons navires, la marine française est littéralement décimée.

      De nombreux vaisseaux de ligne, trop endommagés, abdiquent, comme le Formidable, et le Héros. Le Redoutable est capturé et le Soleil-Royal, navire amiral, est sabordé avant de tomber dans les mains de l'ennemi. Pour compléter le tableau, le Juste disparaît dans l'embouchure de la Loire et le Superbe et le Thésée coulent sur place. Les conditions du naufrage de ce dernier, joyau de la marine, est le symbole même de ce fiasco.

      The Battle of Quiberon Bay, Nicholas Pocock, 1812 (National Maritime Museum)

      Alors-même qu'il n'a tiré -ni reçu - aucun boulet de canon, le vaisseau vire de bord précipitamment pour venir soutenir l'arrière-garde... sans avoir au préalable pris le soin de fermer les sabords de la ligne basse de batterie ! Au cours de cette manÅ?uvre serrée, le vaisseau passe au vent et gîte, laissant de gigantesques paquets d'eau entrer par ces ouvertures prévues pour faire passer les canons. Transformé en passoire, le vaisseau, absolument intact, coule droit en quelques minutes, et vient s'enfoncer dans une gangue de vase, par 20 mètres de fond...

      Une épave oubliée pendant 250 ans

      Les circonstances de ce funeste fiasco constituent paradoxalement, 255 ans plus tard, une formidable opportunité archéologique. Parceque ce bateau sans dommages, gisant dans un milieu de conservation optimal (sans chaleur, sans lumière et sans oxygène) n'est ni plus ni moins que le plus beau navire de guerre de la marine royale de Louis XV. Parce qu'il pourrait en dire long sur la construction navale à l'époque et sur la vie quotidienne des marins. Et parce qu'avait été embarquée à bord de l'argenterie et des verreries de grande valeur, en vue d'un dîner avec le ministre de la guerre, le duc de Choiseul.

      Mais au lendemain de la bataille, c'est un tout autre intérêt que ce navire trop facilement coulé suscite aux yeux de l'amiral Hawkes : ses 74 canons ! En effet, dans la débâcle, les Français ont saboté et incendié plusieurs de leurs navires, de sortes que les Britanniques n'ont pu s'emparer que de deux vaisseaux. Hawkes, informé du naufrage du Thésée, dépêche donc un officier hydrographe chargé de relever la position exacte de l'épave.

      Maquette d'un «74 canons» du même type que le Thésée (D.R.)

      Cette dernière ne sera finalement pas démembrée par les Anglais et tombera dans l'oubli...jusqu'en 2009. A l'époque, cela fait déjà une quinzaine d'années que le plongeur Jean-Michel Eriau, à l'origine de nombreuses découvertes d'épaves, a découvert l'épave du Superbe, autre vaisseau coulé lors de la bataille.

      Décidé à retenter l'aventure, il parvient à convaincre Jean-Michel Keroullé, président de la société d'Archéologie Maritime du Morbihan, de le rejoindre, et obtient une autorisation de la Drassm (Direction des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines du ministère de la Culture) pour une nouvelle session d'investigations sous-marine. En se basant sur le journal de bord du fameux hydrographe britannique, son équipe finit par accrocher le Thésée le 14 juin 2009, au dessus du plateau d'Artimon, à onze milles nautiques environ du Croisic et six d'Hoedic, grâce à un magnétomètre à résonance latérale. Les plongeurs ne peuvent toutefois rien voir, l'épave étant enfouie dans la vase.

      >EN SAVOIR PLUS : consultez le rapport de recherche de 2009 en cliquant ici.

      >ET POUR LES CONNAISSEURS : le rapport magnétométrique de juin 2009

      Des années d'investigations sous-marines...

      Mésententes, manques de financement... Il faudra attendre encore plusieurs mois pour que le projet se mette réellement en branle, sous l'impulsion de l'association «Bateau Thésée». Parmi ses membres, Marcel Mochet, plongeur et photo-reporter, et Daniel Perrin, communicant parisien et personnalité du monde de la mer. «Ma mission, c'était de trouver des financements », nous explique ce dernier, entré en scène en 2012. «Mais les sponsors demandent des preuves...»

      En juillet 2012, le Cassiopée, chasseur de mines de la Marine nationale, est envoyé sur place, au sud-ouest de l'estuaire de la Vilaine, et atteste de la présence de bois sous les sédiments. En septembre de la même année, l'André-Malraux, navire de la Drassm (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines), détecte également la présence de fer sur la zone. L'Haliotis, la vedette de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) vient également mouiller au dessus du fameux plateau d'Artimon. L'étude des chercheurs, consacrée aux sédiments, ne laisse quasiment aucun doute quant à la présence d'une épave.

      Mais «la seule preuve formelle qui permet d'authentifier un navire, c'est de récupérer soit le beaupré, une pièce unique, soit le nom du vaisseau, apparaissant sur la proue, soit un autre morceau, afin de l'analyser», indique Daniel Perrin. Cette opération nécessite la présence de représentants de la Drassm. Une étape cruciale que nos passionnés ont enfin pu franchir le week-end dernier, après avoir patienté pendant plus d'un mois, en raison d'une météo défavorable.

      Une simple planche qui en dit long

      Nous voilà donc rendus au vendredi 23 mai 2014. Notre équipe de passionnés, assistée par Atlantique Scaphandre, une société vendéenne spécialisée dans les travaux sous-marins, et accompagnée par Olivia Hulot, de la Drassm, entre «dans le dur». Des plongeurs, munis de fers à béton, sondent la vase dans le noir le plus complet. «Avec les crues de l'hiver, les alluvions ont dû s'accumuler au dessus de l'épave», fait remarquer David Bossard, patron de Scaphandre Atlantique, après deux jours de sorties infructueuses. La décision est prise d'utiliser des tiges plus longues et, le 26 mai, les plongeurs font mouche, où plutôt, «touchent du bois».

      Le 26 mai dernier - Olivia Hulot (G) chargée de mission au DRASSM, David Bossard (C), capitaine du navire de travaux sous-marins le «Miniplon» et Patrice Brunet, directeur de l'opération et vice-président du Yacht-Club de France (D) se concertent autour d'un plan d'un navire de guerre de 74 canon équivalent au «Thésée».

      La suceuse, un puissant aspirateur sous-marin, est amenée sur zone et crache des concrétions de bois et de fer. Sous une épaisse couche de sédiments et de vase, les plongeurs tombent enfin sur ce qu'ils étaient venus chercher : «une planche de bois de 10 cm d'épaisseur sur 40 de large, vraisemblablement façonnée par l'homme et dans un état de conservation exceptionnel», raconte Daniel Perrin. «On a beau rentrer l'ongle, il ne bouge pas, c'est comme du bois neuf, il est lisse», a également indiqué à nos confrères du Télégramme Jean-Michel Kéroullé.

      Le «sésame» est remontée à la surface pour analyse, ainsi que plusieurs nervures métalliques. Si l'identification imminente du Thésée ne fait désormais plus guère de doute, l'aventure est encore très loin de toucher à sa fin.

      Le 26 mai dernier - Olivia Hulot chargée de mission au DRASSM, observe deux pièces de métal recouvertes d'une gangue de vase et de sédiments amalguanés, remontées de l'épave du «Thésée» (Crédit : Marcel Mochet)

      Et maintenant ?

      Car une fois cette étape franchie, la recherche va laisser place à l'exploration proprement dite : l'identification et la mesure du contour de l'épave, de son volume et de ses éventuels points de fragilité. Le risque existe en effet qu'il se soit fissuré en touchant le fond. «Si le bateau est incomplet, on le remontera pièces par pièces», explique sans enthousiasme Daniel Perrin, persuadé, comme tous les membres de l'association «Bateau Thésée», que l'épave gît d'un seul bloc. Si leurs espoirs se confirment, alors s'ouvrira un chantier encore jamais mené en France, une opération à faire fantasmer n'importe quel archéologue sous-marin : le renflouement intégral du vaisseau.

      L'opération, longue et coûteuse, ne représente en revanche pas un véritable défi technique. Il s'agira en premier lieu de désenvaser l'épave en creusant une souille, un lit dans la vase, tout autour du vaisseau avant de le lever via, par exemple, un systèmes d'élingues et de ballons à hélium. Le vaisseau sera ensuite traîné sous l'eau jusque dans une cale sèche - dans laquelle l'eau de mer sera progressivement pompée â?? avant d'être aspergé d'eau douce, de polyéthylène glycol, calfaté et progressivement séché.

      Ou ça ? Rien n'est décidé mais une destination, très chère au cÅ?ur du ministre de la défense Jean-Yves le Drian, revient souvent : l'une des alvéoles de l'ancienne base sous-marine de Keroman, à Lorient (Morbihan), toujours en attente de reconversion. Chanceuse en tout cas sera la ville hôte de cette épave, un véritable jackpot touristique si l'on s'en réfère à l'expérience du Vasa. Ce galion suédois, coulé lors de son voyage inaugural au XVIIe siècle, et renfloué entièrement en 1961 (voire encadré), est devenu l'un des musées le plus visités du pays...

      La base sous-marine de Keroman, à Lorient (Morbihan), est l'un des endroits d'exposition envisagés pour l'épave, si celle-ci parvient à être renflouée (Crédit : Lorient.fr)