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Dossier XY2/2 « Aucun programme génétique ne voue les femmes à faire le ménage ni les hommes à être chefs d’entreprise… »

Entretien Anne-Emmanuelle Berger

Par 

Publié le 30 avril 2014 à 11h27, modifié le 19 août 2019 à 14h55

Temps de Lecture 3 min.

Anne-Emmanuelle Berger est directrice de l’Institut du genre au CNRS, professeure de littérature française et détudes de genre.

Qu’est-ce qui distingue les notions de sexe et de genre ?

La notion de sexe est supposée renvoyer au biologique, tandis que la notion de genre se référerait aux rapports sociaux entre hommes et femmes. Mais les études de genre font l’objet de positions hétérogènes. Certains chercheurs qui travaillent à l’articulation de la biologie et des sciences humaines et sociales pensent qu’il est indispensable de maintenir les deux notions de « sexe » et de « genre ». D’autres affirment que tout est « genre » : en matière de division et de hiérarchie des « sexes », tout serait une question d’histoire, de socialisation, de culture.

Mais peut-on nier la part du biologique dans les comportements liés au sexe ?

Non, ce serait absurde. A l’évidence, certains registres de comportements, certains rapports au corps ou à la sexualité sont en partie déterminés par des traits biologiques – comme le taux de testostérone. Mais nous sommes aussi des êtres humains, des êtres parlants. Ce qui fait l’humain, c’est l’interaction constante et réciproque entre des processus biologiques et des processus de socialisation, de façonnage par les cultures. Le biologique n’implique pas la fixité des rôles et des destins.

La première tentative de distinction entre sexe et genre a une origine médicale…

En effet. Dans les années 1950, un endocrinologue américain, John Money, s’intéressait aux individus « intersexuels » (on disait « hermaphrodites ») : des personnes qui naissent avec des caractéristiques sexuelles anatomiques, gonadiques et hormonales qui ne coïncident pas. Le schéma binaire « masculin-féminin » ne pouvait rendre compte de la sexuation de ces individus.

Peu après, des médecins-psychiatres ont commencé à travailler sur le transsexualisme. Il s’agit, ici, de personnes qui naissent avec une conformation sexuelle homogène, mais considèrent appartenir à un genre différent de leur sexe de naissance. Face à ces cas de disjonction manifeste entre sexe et genre, il fallait bien séparer ces deux notions.

Les études de genre n’ont-elles pas aussi une racine liée à la pensée féministe ?

La pensée féministe est une manière complémentaire d’affirmer la nécessité de distinguer sexe et genre. Elle montre qu’on ne peut justifier les hiérarchies sociales ni les inégalités de traitements entre hommes et femmes par des différences biologiques. Aucune programmation génétique ne voue les femmes à faire le ménage ni les hommes à être chefs d’entreprise ! Et si l’on compte seulement 20 % de femmes professeures à l’université en France, ce n’est ni pour des raisons génétiques ni pour cause d'insuffisance cérébrale. En revanche, il existe une longue histoire et une longue mémoire culturelles : on s’inscrira plus facilement dans tel domaine si l’on est homme, dans tel autre si l’on est femme.

Que nous apprend la littérature ?

Autant la structure sociale est normative, autant la littérature bouleverse ces normes. Si le monde social reste un monde où les hommes dominent, si les plus grands héros de l’histoire sont des hommes, les plus grands héros de la littérature sont… des femmes ! Prenons l’exemple des Lettres persanes, où dès 1721, Montesquieu met en scène une héroïne protoféministe, Roxane, qui mène la révolte du sérail. D’une extraordinaire modernité, cet ouvrage remet en cause la pensée politique occidentale, qui a fondé l'exercice de la politique jusqu’au XXe siècle. Aristote avait théorisé la distinction entre la sphère domestique – où le maître de maison, le « despote », règne sur femmes, enfants et esclaves – et la sphère politique, celle des « hommes libres ». Mais Montesquieu déconstruit cette opposition, montrant que le despote en politique est justement celui qui traite les citoyens comme il traite sa famille – et qu'à l'inverse, la sphère domestique est hautement politique.

Comment expliquez-vous la virulence des détracteurs des prétendues « théories du genre » ?

Je déplore tout ce qui se dit autour de la prétendue « théorie du genre » et les critiques sur ce qui se fait à l’école : c’est de l’ordre de l’hystérie, de l’instrumentalisation de l’opinion publique ! En France, on s’aperçoit aujourd’hui de l’existence de ces questions, soulevées il y a plus de quarante ans. Il est vrai que ce domaine d’études est reconnu depuis peu comme un domaine scientifique de plein droit, plus facile à attaquer. Il y a aussi un effet de réaction à ce qui a été accompli depuis deux ans pour faire avancer les choses en matière d’égalité entre les sexes et les sexualités.

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