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Les raccourcis de la CGT sur la grève des cheminots suédois

Pour défendre leur mouvement, les cheminots grévistes se réfèrent à leurs homologues suédois... dont la situation est en réalité très différente.

Par , et

Publié le 17 juin 2014 à 16h46, modifié le 19 juin 2014 à 09h55

Temps de Lecture 4 min.

Les cheminots et contrôleurs de la SNCF en grève, le 15 avril, à la gare Perrache de Lyon.

Au huitième jour de la grève SNCF, et bien que sous les feux croisés du gouvernement et de la CFDT, la CGT n'est pas disposée à cesser son mouvement. Interrogé mardi 17 juin au micro d'Europe 1 sur les motifs de la grève, que deux Français sur trois disent ne pas comprendre, l'ancien secrétaire national de la CGT-Cheminots Didier Le Reste en a appelé à l'exemple suédois... au prix de quelques approximations.

Ce qu'il a dit

Pour que les Français comprennent ce qui se passe, traitez la grève des cheminots suédois : deuxième semaine de grève dans la partie méridionale parce qu'ils en sont à des étapes suivantes de la réforme dont nous discutons aujourd'hui en France. Le projet gouvernemental avise quoi ? L'arrivée de la concurrence privée en force sur les rails, et ça ne règle pas le problème de la dette colossale, 44 milliards d'euros ! L'opinion publique suédoise revendique à 70 % le retour au monopole public !

Pourquoi c’est plutôt faux

En effet, 250 cheminots suédois, employés du groupe français Veolia (qui opère une partie du rail suédois depuis la fin du monopole de l'opérateur d'Etat) sont en grève depuis le 2 juin 2014, à l'appel du syndicat Seko.

Du guichetier au conducteur, ils protestent contre la perspective d'être limogés puis réembauchés avec de nouvelles conditions de travail plus précaires (ils seraient intermittents, payés à l’heure), rapporte le site The Local. Veolia, dont l'actionnaire majoritaire n'est autre que l'Etat français, via la Caisse des dépôts, souhaite en outre embaucher des travailleurs temporaires durant l'été.

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Que réclament les grévistes suédois ? Selon Valle Karlsson, du syndicat Seko, ils ont « deux demandes claires » pour stopper la grève :

  • Que Veolia s'engage sur un quota maximal de travailleurs temporaires ;
  • Qu'un an d'emploi temporaire conduise à un emploi permanent.

« Il est acceptable d'utiliser des travailleurs intérimaires, explique M. Karlsson, mais pas durant des années, même si c'est nécessaire, nous ne voulons pas cautionner les abus que Veolia commet. » « Nous ne voulons pas que cela devienne la norme pour le marché du travail suédois », ajoute Erik Sandberg, le porte-parole du syndicat.

Bref, on est ici assez loin des revendications de la CGT-Cheminots. Le conflit porte sur un opérateur (français) et sur les conditions de travail qu'il impose.

La fin du monopole d'Etat décidée depuis longtemps

Le sondage brandi par le syndicaliste français, maintenant. Il est issu des travaux de deux chercheurs, Jenny Björkman et Bjorn Fjaestad, qui ont mesuré, par une série de questions, le bilan que les Suédois tiraient des privatisations dans leur pays. Effectivement, ils sont 70 % à se dire favorables au retour d'un monopole d'Etat sur les chemins de fer, un score qui monte à 84 % chez les personnes âgées et à 81 % chez les habitants du nord du pays.

Mais là encore, M. Le Reste mélange beaucoup de choses. Le projet de réforme du gouvernement français contre lequel les cheminots font grève ne prévoit en effet pas de libéralisation ou de fin du monopole d'Etat : celui-ci est décidé depuis bien longtemps.

Un livre blanc, en 1996, puis des « paquets » de directives en 2001, 2002, et 2004, ont déjà prévu la fin progressive des monopoles des compagnies nationales, d'abord sur le fret, puis sur le transport de voyageurs. Ces directives ont requis la séparation des activités de la SNCF.

Une libéralisation imposée par Bruxelles

En France, le monopole de la SNCF sur le fret international n'existe plus depuis 2003, celui sur le fret intérieur depuis 2006. Et depuis 2009, le transport international de voyageurs est déjà ouvert à la concurrence (ligne Thello Paris-Venis et Paris-Rome, par exemple). Seul demeure pour le moment le transport intérieur, qui reste une exclusivité de la SNCF.

Mais ce monopole prendra fin en 2019. Non pas seulement en France, mais partout en Europe, pour les lignes de TGV, selon les souhaits de Bruxelles. La réforme contre laquelle les syndicats se mobilisent anticipe cette ouverture et prévoit notamment la subdivision en trois ensembles de la SNCF. Mais elle ne porte pas en soi contre l'ouverture à la concurrence.

En février, les députés européens ont mis un frein aux visées libérales de la Commission : contrairement à ce que cette dernière souhaite, les parlementaires n'ont pas interdit la collaboration entre les opérateurs ferroviaires (la SNCF en France) et les gestionnaires des infrastructures (Réseau ferré de France). Le tout, avec la bénédiction du ministre français des transports, Frédéric Cuvillier, qui a estimé que la réforme ferroviaire avait « impulsé une démarche » en Europe, moins radicale que celle préconisée par Bruxelles.

Ouverture du marché dans cinq ans

Mercredi matin, sur France Inter, Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT, dénonçant « la préparation de la privatisation du transport ferroviaire dans notre pays », afirmait que la France peut légalement désobéir à Bruxelles sur la libéralisation du rail :

L'Europe l'a prévu mais l'Europe ne l'impose pas, c'est une décision nationale qui relève de l'Assemblée nationale. La recommandation d'un quatrième paquet ferroviaire, prévu par la Commission européenne, impose au gouvernement de prévoir la possibilité d'une ouverture à la concurrence. Elle n'a jamais décidé qu'il fallait ouvrir à la concurrence. La France pourrait s'opposer à l'arrivée de concurrents privés et décider de conforter le service public dans notre pays, de gérer le réseau et ceux qui roulent sur le réseau.

En fait, l'ouverture du marché aux tiers sera imposée à partir de 2019 : d'ailleurs, pour exister, les holdings ferroviaires devront recevoir le satisfecit de Bruxelles sous peine d'être privés de pénétrer d'autres marchés.

En clair, les holdings (des sociétés faîtières regroupant diverses participations, comme la SNCF) seront défavorisés car les transporteurs ne participant à aucune holding pourront pénétrer le marché français du rail, tandis qu'une entreprise comme la SNCF ne bénéficiera pas forcément de la réciproque.

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