Dans les Alpes, Tchernobyl a laissé des souvenirs de vacances

Dans les Alpes, Tchernobyl a laissé des souvenirs de vacances
Un agent des parcs nationaux dans le vallon des Sestieres, dans le parc national du Mercantour. Le 13/11/11 (DAMOURETTE/BNT/SIPA)

Trois décennies après la catastrophe soviétique, plusieurs secteurs des Alpes restent aussi radioactifs que des déchets nucléaires, alertent des scientifiques. Les autorités se veulent rassurantes.

Par Arnaud Gonzague
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Difficile de trouver plus majestueux à visiter, cet été, que le parc national du Mercantour et le Col de la Bonette-Restefond, deux joyaux des Alpes françaises. Plus dangereux aussi ? C’est ce qu’affirme une étude rendue publique ce vendredi 31 juillet par les experts de la Criirad (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité). L'association est certes connue pour ses positions antinucléaires, mais ses observations et alarmes s’appuient toujours sur un travail scientifique reconnu. Or, dans le cas des sites alpins, ce travail a de quoi inquiéter.

La Criirad note en effet que les deux lieux présentent un niveau de radiation au césium 137 - un métal radioactif produit par les centrales nucléaires – en moyenne "plus de deux fois supérieur à la normale". Dans certaines zones, le césium s’est même accumulé au point de représenter "des valeurs de plusieurs dizaines de fois, voire plus de cent fois, supérieures au niveau naturel".

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Mensonge d'Etat

L’association dit ainsi avoir prélevé dans certains échantillons de terre montagneuse une radioactivité dépassant les 100.000 becquerels par kilo (Bq/kg). "Soit des valeurs qui les apparentent à des déchets nucléaires", précise Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la Criirad. Les directives européennes considèrent en effet qu’au-delà de 10.000 Bq/kg (soit dix fois moins que dans les Alpes), il faut traiter la terre contaminée comme un déchet à part.

Mais d’où viennent donc ces isotopes toxiques ? Du passé. Ou plus précisément, d’un passé qui ne veut pas passer, celui de la catastrophe de Tchernobyl, le 26 avril 1986. La centrale ukrainienne avait explosé et répandu sur toute l’Europe son nuage délétère. L’est de notre pays, de l’Alsace à la Corse, avait été particulièrement servi en radiations, même si les autorités françaises avaient alors indiqué, par la voix du ministère de l’Agriculture, que "le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées" soviétiques (6 mai 1986). Un mensonge d’Etat dont, vingt-neuf ans plus tard, les mesures de la Criirad démontrent, si besoin était, l’énormité.

"La radioactivité que nous observons aujourd'hui est liée à 80% à l’accident de Tchernobyl, les 20 autres pourcents proviennent des retombées des essais nucléaires atmosphériques très antérieurs aux années 80", avance Bruno Chareyron. Mais pourquoi les massifs alpins seraient plus touchés que, par exemple, la banlieue lyonnaise ou les prairies alsaciennes ? A cause des précipitaions  d'abord. "Le degré de contamination est tout à fait corrélé aux précipitations, pluies et neige, qui ont eu lieu entre le 1er et le 6 mai 1986 [date du passage du nuage sur le territoire français, NDLR]. La pluie, comme la neige, rabat au sol les atomes radioactifs en suspension dans l’air."

Problèmes thyroïdiens, cancers

Le relief montagnard est aussi en cause : le césium 137 a pu tomber sur des surfaces enneigées et à la fonte des neiges, les particules dangereuses se sont accumulées sur un espace restreint (au bas des pentes), plutôt que de se répartir un peu partout, comme c’est le cas sur une surface plane. Or, c’est cette concentration qui est nocive pour les milliers de visiteurs baguenaudant chaque année dans les massifs du Mercantour. Ne faire qu’y passer reste bénin, mais "sur les points d’accumulation les plus contaminés bivouaquer quelques heures peut entraîner une exposition non négligeable susceptible d’augmenter les risques de cancer", prévient Bruno Chareyron. Il ajoute qu'"en 1986, outre le césium 137, étaient présents d’autres éléments radioactifs à plus courte durée de vie comme l’iode 131. Dans les parties du territoire national les plus touchées, de la Corse à l’Alsace, on sait que la contamination de certaines denrées alimentaires a pu être responsable d’une augmentation des pathologies thyroïdiennes."

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Ce n’est pas la première fois que la Criirad alerte les autorités sur la radioactivité des Alpes : en 1998, l’ONG avait déjà interpellé le ministre de la Santé Bernard Kouchner à ce propos, lui demandant d’informer les visiteurs pour qu’ils ne stationnent pas trop longtemps dans certains points et de retirer une dizaine de centimètre de terre des zones les plus contaminées. "Depuis 1998, rien n’a été fait", déplore l'ONG.

"Aucun enjeu sanitaire"

De son côté, l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a réagi aux affirmations de la Criirad, en publiant une "Note d'information" le 6 août. L'établissement public spécialisé dans les risques nucléaires confirme bien l'existence de "taches de contamination" dues à Tchernobyl et repérées dès 1988, mais il se veut rassurant : "Le scénario d’exposition externe le plus pénalisant est celui d’un randonneur qui resterait couché quelques heures sur un de ces points". Même dans ce cas, la contamination serait très faible, puisqu'elle correspondrait "à peu près à la dose reçue pour un aller-retour Paris-Marseille en avion".

L'IRSN indique également que "si une vache ou une brebis consommait, au cours de la même journée, de l’herbe provenant d’un ces points, l’augmentation de l’activité maximale du lait qui en résulterait (...) serait extrêmement fugace et n’aurait pas de répercussion sur l’ensemble du lait du troupeau." Bref, conclut l'Institut, "ces taches de contamination ne présentent aucun enjeu sanitaire".

Arnaud Gonzague

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