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Le jour où j’ai cessé de m’informer

Angoissée par l’actualité, Isabelle Ducau, 43 ans, n’ouvre plus un journal ni n’allume une radio depuis un an. Elle raconte sa diète médiatique.

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Publié le 04 avril 2016 à 03h18, modifié le 10 avril 2016 à 15h06

Temps de Lecture 5 min.

« Je n’ai pas écouté les informations depuis un an ni ouvert un journal, encore moins regardé le 20 heures. Cette diète médiatique n’était pas volontaire, au départ. Elle s’est imposée dans un grand moment de stress. Mais, depuis que je me suis aperçue que j’étais plus sereine sans entendre les horreurs du monde à longueur de journée, je crois que je ne reviendrai pas en arrière. On me reproche de faire l’autruche ? On me dit :  “Au contraire, il faut s’engager, relever le défi !”  Ce n’est pas de la lâcheté. L’actualité m’angoisse, me déprime. Comment voulez-vous être utile à quoi que ce soit dans cet état ?

Je ne suis pas coupée du monde pour autant. J’ai su, par l’avalanche de « je suis Bruxelles » sur Facebook, qu’il y avait eu de nouveaux attentats. Difficile d’y échapper, de toute façon. C’était à l’aéroport et dans le métro, mais je ne connais ni les détails ni le nombre exact de victimes. Les attaques du 13 novembre 2015, c’est mon mari, abonné au Dauphiné libéré, qui me les a apprises. Là encore, je n’ai pas cherché à savoir plus que l’essentiel. Compter les morts, entendre ce que les terroristes avaient dit avant de tirer, ne m’apportait rien. Une émission qui m’expliquerait les raisons du comment on en arrive là m’intéresserait, mais je choisirais le moment pour l’écouter, car je ne veux plus subir les sujets anxiogènes.

« Avant, j’étais sur France Inter matin et soir. Je déposais ma fille à l’école à 8 h 30, puis je prenais la route avec la revue de presse. Suivait l’invité du jour. »

Le déclic fut un burn-out. Je suis pharmacienne, mère de deux enfants, responsable validation dans un laboratoire pharmaceutique de la région lyonnaise. Un poste à responsabilité – la production attend mon feu vert pour démarrer –, mais sans l’équipe suffisante pour l’exercer. J’ai craqué au printemps dernier. La FDA [Food and Drug Administration], l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments , devait nous inspecter deux mois plus tard. Quand j’ai pris le poste, j’avais demandé des renforts. La réponse a tardé à arriver.

Entre-temps, la charge de travail avait encore augmenté et j’ai dû finalement former une intérimaire. La direction avait en revanche programmé quatre inspections à blanc pour s’assurer qu’on tiendrait les délais. On avait du retard, mais ces journées passées à le pointer me ralentissaient d’autant. La veille du troisième contrôle fictif, l’intérimaire m’a lâchée. Le matin, je me suis effondrée. Je n’avais pas la force de faire face aux consultants. Mon médecin m’a arrêtée. C’était le 16 avril 2015. Il y a un an. C’est aussi le dernier jour où j’ai écouté un journal à la radio.

« J’écoutais encore la radio au moment de Charlie. Le jour de la marche, le dimanche 11 janvier 2015, j’ai même allumé la télé. Les images, ce jour-là, m’ont donné de l’espoir. »

Vu mon état, il y avait urgence à faire redescendre la pression. Couper les actus est la première chose qui m’est venue à l’esprit. Avant, j’étais sur France Inter matin et soir. Je déposais ma fille à l’école à 8 h 30, puis je prenais la route avec la revue de presse. Suivait l’invité du jour. J’arrivais juste avant le journal de 9 heures. Sur le chemin du retour, vers 17 h 30, les humoristes de “Si tu écoutes, j’annule tout” passaient l’actualité à la moulinette. A mesure que la pression augmentait au travail, mes compagnons de trajet ont changé, car je rentrais plus tard. Mais, dans tous les cas – Nicolas Demorand dans “Un jour dans le monde”, puis “Le Téléphone sonne” –, ça parlait actu, et j’étais ballottée entre les scandales politiques du moment, les guerres intestines des partis, ou les départs des jeunes en Syrie. Rien de bien réjouissant, donc.

J’écoutais encore la radio au moment de Charlie. Le jour de la marche, le dimanche 11 janvier 2015, j’ai même allumé la télé. C’est suffisamment rare pour être noté : d’ordinaire, je ne regarde que “Silence, ça pousse”, une émission de jardinage sur France 5, ou “Des racines et des ailes”, sur France 3. Les images, ce jour-là, m’ont donné de l’espoir. Quelque chose se passait : la France était unie, les terroristes avaient fait chou blanc. La routine a malheureusement repris le dessus. La gauche qui tape sur la droite, la droite qui tape sur la gauche, le FN qui souffle sur les deux. Or, entendre les uns critiquer les autres, je trouve ça démotivant, voire décourageant.

Le 7 janvier 2015, place de la République.

Eviter les actualités est devenu un réflexe. Si je tombe sur France Inter, je zappe. France Info, n’en parlons pas. Radio Isa, une radio locale, me convient, mais si le flash arrive, je bascule sur une musicale. A quoi bon savoir qu’il y a eu un braquage au tabac du coin ou qu’un grand-père au volant a reculé sur son petit-fils ? Un sujet m’intéresse ? Je me renseigne, mais je décide du moment. Cela change tout. Recevoir une mauvaise nouvelle en pleine figure quand on n’a pas l’énergie amplifie le mal-être. Depuis que je ne subis plus l’information, j’ai vraiment gagné en sérénité. Il y a quelques semaines, ma fille est rentrée avec trois quarts d’heure de retard. Avant, j’aurais craint le pire. Là, j’ai simplement pensé qu’elle avait eu un empêchement.

Toi aussi, fais une diète médiatique !, ai-je lancé, l’autre jour, agacée, à ma mère qui trouvait fou que je parte me promener seule dans le bois, ou que ma fille de 8 ans rentre à pied de chez sa copine alors qu’elle vit à deux maisons de la nôtre.

Elle va se faire enlever ! 

– Oui, et il y a des braquages au supermarché, tu ne vas donc plus faire tes courses ? Un chauffard pourrait aussi nous renverser sur le chemin de l’école, mais si je prends la voiture, je peux avoir un accident…

« Quand des enfants sont concernés, inévitablement, on se projette. On finit par voir le mal partout »

A penser constamment au pire, on ne vit plus. Les faits divers, j’avais commencé à ne plus les écouter depuis que j’étais devenue maman. Quand des enfants sont concernés, inévitablement, on se projette. On finit par voir le mal partout et par penser qu’il y a un danger à laisser sa fille rentrer du collège à pied.

Cette année détachée de l’actualité m’a redonné confiance en l’être humain. L’homme est aussi capable de grandes choses – il n’y a qu’à voir le documentaire Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent –, mais on ne le dit pas assez. J’ai un blog, Les carnets du bien-être, sur lequel je relaie quelques initiatives. A ma petite échelle, j’ai créé un média positif. Et à aucun moment, cette diète médiatique ne m’a mise dans l’embarras. Si je devais ne pas savoir de quoi on me parle, j’expliquerais simplement ne pas être au courant. On ne peut pas tout connaître. Une fois, cette année, je me suis quand même demandé si le premier ministre n’avait pas changé. Je suis allée vérifier : c’est toujours le même.

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