Ce n’est pas à la créativité qu’il faut former nos étudiants, mais à l’innovation

Former nos étudiants à être plus créatifs, ça semble une une bonne idée, n’est-ce pas? En fait, non, loin s’en faut: la créativité ce n’est pas l’innovation, or c’est d’innovation dont ont besoin nos entreprises, pas de créativité.

Les grandes écoles ont fini par s’apercevoir qu’elles ne formaient pas exactement des cadres créatifs et innovants. Cette prise de conscience a entraîné la création d’une multitude de programmes tous plus originaux les uns que les autres pour développer la créativité des étudiants. Les approches varient, mais elles reposent en général sur la création d’un lieu dédié, des interventions de spécialistes venant d’horizons différents, et divers exercices permettant de générer des idées nouvelles et de « sortir du cadre ».

L’hypothèse, cependant jamais explicitée, est que de telles démarches vont développer la capacité créative des étudiants, et qu’une fois au sein de l’entreprise, ils pourront plus facilement développer des idées nouvelles et alimenter l’innovation.

Or, les entreprises ne manquent pas d’idées. Où que j’aille et dans n’importe qu’elle entreprise, il suffit que je passe dix minutes avec n’importe quel employé pour générer dix idées originales sur ce que son entreprise devrait faire. Le vrai problème qu’ont ces entreprises, c’est de transformer ces idées en réalisations, en produits, services et méthodes nouvelles. Leur vrai problème, c’est que par leurs modes de managements, elles tuent méticuleusement toutes les bonnes idées de leurs équipes. À quoi bon en générer plus dans ce cas? Mettre l’accent sur la créativité, c’est mal situer le problème, et donc s’empêcher de le résoudre.

Et de fait, la créativité ce n’est pas l’innovation: Comme le remarque mon confrère Frédéric Fréry, « il s’agit d’une confusion habituelle : la créativité c’est avoir des idées, l’innovation c’est transformer des idées en factures ». La créativité, c’est en effet une qualité d’ordre psychologique; l’innovation est affaire de management. « La créativité, » disait Einstein, « c’est l’intelligence qui s’amuse ». C’est important de s’amuser, mais ça n’a pas grand chose à voir avec l’innovation. On peut donc avoir des managers très créatifs mais totalement incapables, par leur comportement quotidien, d’encourager l’innovation au sein de leurs équipes ou même qui l’inhibent complètement. On voit aussi des cadres tellement créatifs qu’ils perturbent leurs équipes et n’arrivent à rien faire avancer. On voit également la nécessité d’associer des créatifs et des managers moins créatifs pour que l’innovation aboutisse (la division du travail, ça vous dit quelque chose?)

La différence entre créativité et innovation est bien illustrée par la tragédie du PARC, le centre de recherche de Xerox, qui a inventé certains des concepts les plus importants de l’informatique d’aujourd’hui, dont la souris et l’interface graphique, mais n’en a jamais commercialisé aucun et a vu d’autres acteurs, dont fameusement Apple, en tirer parti. Combien d’entreprises ont multiplié les séminaires post-its dans une station de ski ou un Chateauform sans aucun résultat probant?

On peut donc prévoir que tous ces programmes de créativité subiront le même sort que leurs ancêtres des années 70 lorsque la London Business School a, la première, fit suivre des cours de design à ses étudiants: on enrichit la palette culturelle, mais il n’y a pas d’impact, et le programme disparaît progressivement, victime de la mode managériale suivante (entreprise libérée, digital, etc.)

Pour rester sur le plan pédagogique, j’ai connu la même difficulté avec le Programme IDEA lancé par EMLYON et l’école Centrale de Lyon et que j’ai co-dirigé à son lancement. Basé sur le Design Thinking, IDEA avait pour vocation de former des innovateurs dans un monde complexe. IDEA était souvent vu comme un programme de créativité alors qu’en fait il s’agit d’un programme de management, dont la créativité n’était que l’une des facettes. L’objectif réel était de former des étudiants capables d’appréhender leur environnement, de le comprendre, de lui donner un sens et de le transformer. C’est pour cela qu’il est important de mobiliser plusieurs disciplines dans la formation, et notamment l’art, mais l’important est de garder une optique managériale. Or le programme restait souvent vu comme un programme de créativité, et c’est ainsi qu’il fut présenté un article du Monde, malheureusement, qui soulignait que la créativité était le nouveau crédo des grandes écoles.

En innovation, tout repose en fait sur la capacité à mobiliser les parties prenantes d’une situation donnée pour les faire avancer vers une solution souhaitée. Loin d’être affaire de créativité, l’innovation est un processus social. C’est à la conduite de ce processus social, et donc à l’intelligence de ces situations, qu’il faut former nos étudiants plutôt qu’à la consommation de post-its de toutes les couleurs dans une salle avec des chaises à roulettes.

L’article du journal Le Monde: La créativité, nouveau credo des grandes écoles. Voir aussi l’article de Frédéric Fréry: Pas d’innovation sans management !

Février 2018: Le Monde récidive avec un entretien de James Dyson qui reproche aux écoles de ne pas former à la créativité: O21. James Dyson : « Les écoles manquent à leur raison d’être en n’apprenant pas à être créatif »

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37 réflexions au sujet de « Ce n’est pas à la créativité qu’il faut former nos étudiants, mais à l’innovation »

  1. La confusion est fréquente entre les 2 termes, créativité et innovation. De plus le mot « créativité » est souvent associé à un imaginaire « gadget », quand l’innovation souffre elle parfois d’un excès de sérieux et de bureaucratie. Quand j’aborde ces 2 sujets je fais la distinction entre ce qui est du ressort de la compétence et de l’apprentissage ( la créativité) et ce qui est du ressort du résultat perçu par l’environnement ( l’innovation).

  2. Bonjour,

    En premier lieu, je tiens à vous remercier pour cette passionnante lecture, aussi bien les réflexions menées dans l’article que dans les commentaires.

    Etant actuellement étudiant en Master de Psychologie du travail, je réalise une recherche universitaire sur la Créativité Managériale.
    Je recherche donc un grand nombre de managers pour répondre à mon questionnaire afin de faire avancer la recherche sur ce concept encore trop méconnu.

    Il m’est donc apparu pertinent de vous demander votre aide, au vu du thème de l’article et des commentaires.
    Auriez-vous donc l’extrême gentillesse de répondre à ce questionnaire et de transmettre ce lien aux managers que vous connaissez ?

    http://www.surveyjm.esy.es/limesurvey/index.php/942942?lang=fr

    Je vous communiquerai par la suite, avec grand plaisir mon mémoire universitaire, regroupant les résultats de cette étude.
    Sans trop en dévoiler avant la passation du questionnaire, je peux vous dire que notre étude compte répondre à une question fondamentale qui est l’enjeux du débat dans les commentaires.

    Merci d’avance pour votre aide précieuse.
    Je reste bien évidemment ouvert à toute discussion sur le sujet de la créativité et de l’innovation, à laquelle je pourrai possiblement apporter des informations tirées des avancées de la science dans ce domaine.

    Bien cordialement,

    Thomas AAKRA
    th.aakra@gmail.com
    Étudiant en Master de Psychologie du Travail, des Organisations et du Personnel
    Université Paris 5 Descartes

  3. OUI et… (comme on dit en créativité): ce qui manque aussi c’est un réel esprit d’exploration (qui est différent du « dominant spirit » de planification et de « diminution des risques » – Exploitation). L’entrepreneur explore, tente d’acquérir des connaissances pour essayer de valider ou invalider ses hypothèses de travail.
    Si je reprends les principes de l’effectuation chers, entre autres, à Philippe Silberzahn, il faut se fixer un niveau de risque donné et tenter de créer une source de valeur dans cet espace d’incertitude !
    Dans les « big corporates », tout le monde définit un objectif unique, donné et tout ce qui fait sortir de cette objectif « fixe » est considéré comme une « erreur de trajectoire », et c’est à proscrire!
    … Et la sérendipité dans tout ça? Et les fameux « pivots » dont on parle dans les milieux autorisés (pas sur un terrain de handball, ni dans les cabinets de dentiste! :-))

    Pour revenir sur les « idées », mon expérience des grandes entreprises m’a maintes fois prouvé que les entreprises ne sont pas en déficit d’idées, mais de courage pour les mettre en œuvre (cf. la définition d’un risque acceptable).

    J’ai aussi tendance à penser que parfois (toujours?… trop souvent…), on se jette trop rapidement sur les solutions comme la misère sur le monde, sans forcément remonter au problème auquel elles répondent: or, « une bonne solution à un mauvais problème, est une mauvaise solution »!!
    … Passons-nous suffisamment de temps à définir le vrai problème, ou la vraie problématique?…
    -> citation Oussama Ammar n°1: « à TheFamily, nous ne regardons plus les solutions proposées par les entrepreneurs. De toute façon, ils vont pivoter 17 fois et arriver à une solution qu’ils n’imaginaient pas!… Nous regardons la qualité du problème! »

    Par ailleurs, en ce qui concerne le marketing, je renvoie à la citation d’Oussama Ammar n°2: « le marketing ne transforme pas un mauvais produit en bon produit, il transforme un produit inconnu en un produit connu »!… CQFD 🙂

    PS: Les positions d’Oussama sont peut-être un peu caricaturales, mais c’est « caricature contre caricature » !

  4. Opinion personnelle … qui la partage ?
    Mon expérience dans ce domaine (créativité/innovation) est dans l’agriculture de précision, basée sur l’application de résultats scientifiques pluridisciplinaires.
    Je cotoie depuis qq temps les startups (sensées faire l’innovation) de ce domaine et j’y constate un problème lié aux acteurs : des entrepreneurs sans expérience scientifique et des ingénieurs généralistes sans réelle expérience scientifique (recherche). Les premiers tentent à tout prix de trouver une solution à commercialiser et font du marketing à l’extrème, les seconds cherchent tous à proposer une solution simple avec analyse « originale » d’un type de données. Tous aboutissent à des solutions partielles qui ne peuvent pas contenter les clients mais au final, l’esprit marketing domine. Par ailleurs, ces acteurs se partagent les subventions diverses et engendrent un esprit de défiance de la part des clients. Dès lors, proposer des solutions innovantes devient très compliqué, mais c’est un autre problème.
    Il me semble que dans une entreprise, pour qu’il y ait innovation, il faut
    – les idées (existantes, mais pas une réponse rapide à un problème trop rapidement énoncé, cf. Christophe Lecante d’Izi’nov https://goo.gl/9RlBYG),
    – la volonté (un service dédié et non, par exemple, les idées tous azimuths de personnes souhaitant « changer de job » au sein de l’entreprise),
    – la confiance (même si les premières tentatives ne sont pas à la hauteur des résultats escomptés)
    – le budget (ce qui rejoint en fait la confiance car on accordera un budget s’il y a confiance dans l’efficacité de l’approche) … d’où une prise de risque considérée importante. Ici, il faut que les différents acteurs soient persuadés d’avoir mis les bonnes personnes aux commandes.
    Je pense que le manque de confiance est le plus souvent responsable du non engagement dans la voie de l’innovation/la créativité.

  5. Tout à fait d’accord avec Isabelle sur la nécessité de former les étudiants à travailler en équipe. C’est à mon sens l’un des objectifs principaux d’un cours de créativité. Autre objectif : former des managers/animateurs dont la mission est de transformer les post-it en plan d’actions concrètes. Pour cela, je trouve que le Business Model Canvas est un outil très efficace.

  6. Merci pour cet article, je trouve intéressant d’envisager l’innovation comme une finalité concrète d’un processus créatif ou pas. Dans l’article cité plus haut : http://www.cegos.fr/actualites/dossiers-thematiques/innovation-creativite/Pages/difference-reativite-innovation.aspx
    l’auteur envisage l’innovation comme le résultat d’un processus de raffinement séquentiel. J’aime particulièrement les processus qui permettent le réunification des concepts et je considère pour ma part que une des causes de l’échec en innovation est justement cette séquentialité. Je préfère de loin les processus parallèle du type Fail Fast de spotify.
    Où les idées sont systématiquement confrontées aux réalités environnementales de l’entreprise. Concrètement, on essaye de les faire échouer le plus rapidement possible pour ne garder que celle qui survivent au processus de sélection naturelle. C’est à tel point, que l’entreprise n’essaye même plus de choisir entre deux options ou de dépenser de l’argent pour étudier le marché potentiel d’une idée, mais réalise de manière limitée l’intégralité des choix et apprend de ses erreurs.
    Une idée qui ne trouve pas de « sponsors » internes n’est pas poursuivi, une idée qui rencontre un intérêt interne est tout de suite maquettée et envoyer au « casse pipe » dans un environnement réel mais protégé (limite en taille de population concernée, en effet de bord potentiel…) les erreurs , feedback reçus servent à préparer une nouvelle version qui sera déployée sur un plus grande population et sera comparée au solutions déjà en place pour voir si elle amène de nouveaux usages et de nouvelles possibilités… Si c’est le cas l’effort est continué.
    Cela part du constat, qu’en environnement complexe et incertain, seul l’utilisateur final peut déterminer si une idée est bonne et si les solutions proposées sont en phase avec les besoins.
    En gros, on se retrouve avec un processus de production orienté en permanence sur l’innovation. Pour que cela soit possible il faut bien sûr changer complétement le regard de l’erreur ou de l’échec en entreprise.
    Il faut aussi que la structure permettent ce type de liberté interne et de prise d’initiative. Un petit article sur le sujet :
    http://www.ekilium.fr/articles-coaching-professionnel-formation-toulouse/entreprise-liberee-le-droit-a-lerreur/
    Je pense personnellement que si nous voulons développer l’innovation en entreprise il faut autoriser l’initiative, l’échec et arrêter les évaluations internes. Beaucoup d’usages innovants créés par des startup n’ont pas trouvé de support de financement via les circuits traditionnels (banques/ business angels …) qui utilisent des modèles d’évaluation de l’innovation séquentiels (business models, étude de faisabilité …) et ont par contre rencontré leurs usagers avec un réel succès ce qui a conduit par la suite à des évaluations ou rachats à des prix astronomiques (snapchat, blablacar, Airbnb…)

  7. en fait, le grand souci auquel on se confronte, surtout en France, c’est le « savoir travailler ensemble » des personnes, des métiers, des personnalités différentes, de savoir construire à partie de points de vue différents et de disciplines différentes – La pensée complexe n’est pas « enseignée », et effectivement, même dans les formations de design thinking, la pensée divergente , le « oui…et », la posture d’Avocat de l’Ange ne sont pas travaillées – Dans les approches agile non plus d’ailleurs – Ce n’est que dans les approches créatives que j’ai personnellement trouvé cette énorme valeur ajoutée de savoir fonctionner en fertilisation croisée, de savoir accueillir les idées de ses collaborateurs et d’avoir le courage de prendre le risque du nouveau !
    Nous semblons effectivement en phase avec les effets terribles du creative ou de l’innovation « washing » , avec cette injonction paradoxale qui aboutir à « faisons du nouveau mais surtout ne changeons rien  » – El l’attente magique qui se cache souvent derrière les formations à la créativité comme seule voie pour changer la culture de l’entreprise à l’égard de la créativité et de l’innovation aboutit bien souvent au creative bashing !!! « on les a formés et pourtant rien n’a changé » , donc on jette – alors on va essayer un autre gadget à la mode « innovation games », design thinking, lean, approches agile, lego serious play , … jusqu’à ce qu’à nouveau on soit bien déçu !!

    Merci de vos commentaires en tous cas –

    1. oui c’est exactement: l’exaltation du moment où l’on imagine des choses et où l’on prend le temps de les concevoir, puis le retour au bureau le lundi matin et puis plus rien. Il y a aussi ces concours d’innovation qui mobilisent des dizaines de collaborateurs, qui se terminent par une belle cérémonie où le PDG vient exprimer son admiration pour le travail réalisé, et où aucune suite n’est donnée. Je partage également le constat qu’il est très difficile de faire travailler les différents métiers ensemble. La vraie question reste de savoir comment on traduit la créativité en résultats concrets…

      1. En offrant une liberté d’action, en considérant l’ entreprise non comme un arbre dans sa totalité mais seulement comme des racines nourricières (qui ne déterminent pas à l’avance la manière dont les branches se développerons dans l’écosystème. ).
        Perdre en grande partie la maîtrise mais nourrir ….
        Comme avec un enfant

      2. Heureusement, il est des entreprises où former à la créativité a des effets notoires – Je reviens d’une formation dans une équipe formée il y a 2 ans aux approches d’animation créative – Se sont joints au groupe des personnes n’ayant pas participé à la formation deux ans auparavant – Je redoutais l’hétérogénéité du groupe . Quelle n’a pas été ma surprise de réaliser que l’essaimage en interne a tellement bien fonctionné que les participants nouveaux étaient totalement dans le bain et avaient pu eux aussi expérimenter de nouvelles façons d’animer leurs projets, de mobiliser les acteurs internes et externes ! Mieux, la vision de l’organisation (une association du secteur de l’ESS) intègre désormais la dimension de l’intelligence collective et de la créativité comme leviers de transformation personnelle des personnes accompagnées, alors que jusqu’à présent, ils privilégiaient l’accompagnement individuel – Ouf! Cela fait du bien – On se sent utile !

      3. Je pense qu’une des difficultés pour passer de la théorie à la pratique tient dans le sous-développement du management transversal. J’ai un métier (Chef de Projet) qui permet de s’affranchir de la hiérarchie et de travailler directement avec l’acheteur, l’automaticien, la R&D, la production, la SAV etc… sans passer par la hiérarchie et je vois très bien la difficulté de ceux qui auraient certainement de bonnes idées mais qui n’arriveront jamais à franchir le cap de leur propre hiérarchie, ne serait-ce que pour en tester la validité. Alors, passer de manière ascendante par leur propre hiérarchie puis faire que la liaison se fasse avec la hiérarchie des personnes concernées (liaisons managériales) puis redescendre dans cette dernière, je ne vous en parle même pas.
        D’autre part au sein d’un même service la collaboration directe entre individus pour passer de la théorie de l’idée à la pratique est souvent vue par le manager comme une organisation concurrentielle à son management.
        Une autre des raisons est la nécessité de posséder des compétences pluridisciplinaires (ou de se les adjoindre facilement en mode collaboratif) pour pouvoir dès le départ apporter un chiffrage estimatif crédible car il faut certes passer de l’idée à la facture mais aussi penser à l’EBITDA.

  8. @ philippe
    ok 1 : « l’entreprise ne manque pas d’idées  » (pourquoi pas ) ; mais quelque fois quand mème de bonnes idées… (pertinentes, innovantes tout en étant simples et facilement applicables par exemple) et au bon moment!
    ok2 : « l’entreprise a besoin d’innover et pas simplement d’avoir des idées ». Certes, sauf que pour faire aboutir une innovation il faut souvent faire preuve d’une sacrée dose de créativité. Et la, avoir une culture de créativité est appréciable comme le souligne Isabelle. En précisant de « vraie » créativité, c’est à dire bien déployée dans ses différentes composantes ( curiosité, ouverture-fermeture, synthèse, pragmatisme etc).
    ok3 : « une grande innovation ne débute pas nécessairement par une grande idée ». ok, mais contrairement à ce qui est annoncé je ne vois pas que ce soit le noeud du problème!! Sans aller à parler de syllogisme, il faudrait tout de mème préciser, pour valider cette assertion, où « débute » la « grande » innovation. Car au commencement, comme partout, tout est petit, mème la future « grande innovation ». Et c’est peut etre à coup de moyennes bonnes idées successives qu’à la fin de son parcours de transformation, cet amalgame d’idées sera enfin reconnu comme une grande innovation. Après avoir été nourri dans son « incarnation » (cf @ emmanuel) de l’apport constructif d’une succession de moyennes bonnes idées rendue possible… par la culture préalable de la Créativité qu’a défendu Isabelle et que j’approuve.
    Enfin, je ne percois pas de querelle sémantique dans cette réflexion qui me semblerait plutot du domaine opérationnel.
    Je vois plutot un piège sémantique dans la formulation de l’appel « à se focaliser sur le noeud du problème » .
    Cette focalisation est sans doute une grande idée. Mais qui se trouve hélas dépouillée de son potentiel de créativité (nécessaire à la conduite de l’innovation comme on l’a dit ) à la fin mème de son expression (en fin de phrase), quand la teneur du noeud évoqué est précisée.
    Si c’est de ce type d’idée à la créativité hyper furtive dont l’entreprise ne manque pas, on comprend que l’innovation ait parfois du mal à prendre corps … et qu’il est impératif de renforcer la culture de la créativité. Nous sommes bien d’accord.

    1. Passionnante discussion! Je dirais qu’il est impératif de s’interroger sur les causes profondes qui font que les idées, grandes ou petites, sont étouffées par l’organisation avant-même de songer à en produire de nouvelles. Je ne remets nullement en cause l’intérêt des démarches de créativité, je dis simplement que le problème est managérial. J’appelle cela le syndrome du lundi matin: pourquoi, une fois retourné au bureau plein d’idées le lundi matin, nous replongeons dans l’opérationnel et remettons la mise en oeuvre de nos idées à plus tard? Pourquoi les idées nouvelles font-elles l’objet d’une hostilité systématique du corps social?

  9. Merci pour cet excellent article.
    Je partage ces points de vus que de l’idée à l’innovation .. il n’y a pas qu’un pas.. bien au contraire.

  10. @ Philippe
    J’ai hâte de lire votre réponse au commentaire d’Isabelle que de mon point de vue je trouve emprunt de bon sens et de réalisme. Merci pour cet échange.

    1. @structi
      Tel que je le comprend, le différent est surtout lexical : Philippe fait une lecture stricte du mot « créativité » (=avoir des idées), la ou Isabelle en fait une lecture large (=avoir des idées et les mettre en pratique).

      La définition du TILF penche plutôt pour Isabelle : « CRÉATIVITÉ, subst. fém.Capacité, pouvoir qu’a un individu de créer, c’est-à-dire d’imaginer et de réaliser quelque chose de nouveau. ».

      Le constat de Philippe, c’est qu’on forme beaucoup à être créatif dans le sens « générateur d’idée » – alors que c’est très facile – et bien peu à être « innovant » : « Transformer les idées en factures ». (A noter la très bonne formation HEC Challenge+ qui s’occupe précisément de donner à des porteurs d’idées les bases nécessaires à leur mise en place).

      En fait, je crois qu’il manque un mot en Français. Je pense qu’il faudrait le forger à partir d’incarner : Représenter une notion abstraite sous une forme matérielle et visible.

      Bien plus que des créatifs, il faut donc former des incarnateurs : des personnes capables de partir d’une idée pour la rendre matérielle et visible.

      1. Merci Emmanuel, très bon point. Surtout éviter la querelle (…) sémantique et se focaliser sur le noeud du problème: la mise en pratique d’idées, d’une part, et d’autre par le fait qu’une grande innovation ne débute pas nécessairement par une grande idée.

  11. Il semble que vous ayiez une vision excessivement restreinte et étroite de ce qui se cache derrière ce mot « créativité » et donc derrière une « formation à la créativité » – Non, la créativité ne peut se résumer à sortir quantité d’idées disruptives. La créativité comprend plusieurs facettes:
    – un état d’esprit fait de curiosité, de regard sur le monde orienté « solutions » et non problèmes, de persévérance, de pensée « complexe », de prise d’initiatives, de proactivité, …
    – un mode de fonctionnement individuel et collectif, qui suit une pulsation systématique entre pensée divergente ( ouvrir son cadre de pensée, prendre en compte la réalité sous toutes ses facettes, produire des possibles sans préjugés ) – et pensée convergente ( faire le tri pour retenir les pépites en fonction du contexte) – C’est un véritable apprentissage d’un « savoir travailler ensemble »
    – une méthodologie en plusieurs phases permettant de clarifier la situation de départ, identifier le vrai challenge, produire des idées, les sélectionner en fonction de critères préalablement identifiés, développer les pistes de solutions pour transformer les idées en projets de changement ou d’innovation, et identifier les modalités d’implémentation et d’acceptabilité par le contexte dans lesquelles elles vont s’appliquer , afin de préparer à la meilleur prise de décision .
    – une posture au quotidien et un climat d’équipe permettant de soutenir prise d’initiative, accueil des idées, désirs d’innover, transformation des erreurs ou échecs en apprentissages, qui sont effectivement des composantes managériales clefs propices à l’innovation ( voir les travaux de Teresa Amabile sur les pratiques managériales propices à la créativité organisationnelle débouchant sur une culture innovation)…
    Pour intervenir en milieu étudiant, je peux affirmer que les étudiants ont bien besoin de tout ceci: formatés la plupart du temps par une éducation où il y a une réponse juste à tout problème, nourris de préjugés, focalisant sur la première idée venue, se souciant peu de se mettre dans les baskets des usagers, des décideurs, des producteurs ou des vendeurs, ayant été formés dans des dynamiques compétitives de production individuelle et non dans des dynamiques de production de groupe coopératives et en intelligence collective, cet apprentissage des modes de fonctionnement créatif est une réelle valeur ajoutée à leur cursus de formation, nécessaire pour qu’ils puissent se projeter comme des innovateurs ou des « intrapreneurs ».

    Il est de mauvaise foi de ne donner aux formations à la créativité qu’une image de « consommation de post-its de toutes les couleurs dans une salle avec des chaises à roulette » et de ne la confiner que dans la génération d’idées.
    La créativité pratiquée dans les années 70 dans des séminaires à la campagne avec des créatifs « hors sol » produisant des centaines d’idées sur paperboard (les post-its n’existant pas à l’époque) ont bien évolué – En rester à cette image d’Epinal est bien méconnaître les apports des différentes méthodologies structurées, la pratique d’une « créativité intégrée » mêlant divers services concernés au sein des entreprises et leurs managers, les recherches sur le climat organisationnel créatif propices à une culture d’innovation.

    Si j’apprécie généralement vos réflexions au sein de votre blog, je suis très déçue de votre vision pleine de préjugés et d’a priori sur la créativité. Dommage!

    1. Bonsoir Isabelle,

      Je suis complètement en phase avec toi sur la complexité réelle de ce qui est derrière le domaine de la « créativité » et/ou innovation (j’y reviendrai plus loin) et réduire ce domaine au remplissage de post-its (fussent-ils numériques) est peut-être un peu restrictif, je te l’accorde.

      Mais quand j’entends encore dans les grandes entreprises réduire l’innovation « à avoir des idées »… « qu’il faut protéger », et finalement réduire l’innovation à l’idéation, je partage un peu le point de vue de Philippe sur la nécessité d’arrête de penser l’innovation et de la mettre en œuvre pour créer de la valeur. Les entreprises ne sont pas en déficit d’idées, mais en déficit de courage pour bousculer le status quo.
      Après tout la publicité des années 70 « en France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées » est symptomatique!

      Je ne suis pas sûr que les quelques heures de créativité vont permettre de transformer un esprit que toutes les autres matières normalisent autour de dimensions analytiques (Ken Robinson dit à raison que l’éducation tue la créativité). Certes c’est un bon début, mais comme on voit de plus en plus d’innovation washing ça et là, dans les écoles ou les entreprises, à la mode « Méthode Coué », où l’on confond « faire de l’innovation » avec « être innovant » (c’est tout le problème de la vie en fait entre l’être et le paraître!), je me demande dans quelle mesure, on n’est pas là sur un entretien du catalogue des injonctions paradoxales! Et c’est un peu comme cela que je lis les propos de Philippe.

      Néanmoins, dans la description très large que tu fais du domaine de la créativité, je retrouve des éléments pris dans le design thinking, dans le travail collaboratif, l’entre/intrapreuriat, les makers, … Je ne suis pas sûr que « tout se résume à la créativité ».
      Par exemple, en me souvenant des discussions que j’avais eues avec une collègue designeure, il me semble qu’elle m’avait dit qu’elle n’avait jamais eu de cours spécifique sur la créativité (si je me trompe, désolé!).
      Si je reprends les éléments du MOOC « effectuation » de Philippe Silberzahn, je ne vois pas de qualités de créativité nécessaire pour être entrepreneur, qui en ce moment, semble le métier à la mode !

      Finalement, vous avez tous les 2 raison (ou tous les 2 tord en étant « chapeau noir » !…).

      Ce qui est sûr c’est que l’innovation et la créativité ne sont pas la même chose. Je le retrouve d’ailleurs dans ces posts avec lesquels je suis assez en phase:
      http://www.cegos.fr/actualites/dossiers-thematiques/innovation-creativite/Pages/difference-reativite-innovation.aspx
      http://trendemic.net/definition-creativite-innovation.html

      1. Merci Edouard, je ne saurais répondre mieux. Il ne s’agit d’élargir son acception et y mettre tout le processus d’innovation derrière pour sauver le soldat « créativité », mais juste de dire que le problème des entreprises n’est pas un manque d’idée, mais une incapacité à mettre ces idées en pratique. C’est donc bien une affaire de management.

  12. Excellent article qui montre le travail qui reste à faire pour faire passer les entreprises françaises du « monde des idées » au « monde des actions ». On voit encore trop souvent cette confusion dans des débats stériles autour de la « protection des idées », alors que tous les entrepreneurs savent qu’une idée ne vaut rien, c’est dans l’exécution que tout se joue… Du concours Lépine à la Silicon Valley le chemin est encore pavé d’obstacles culturels!

  13. Tout à fait d accord avec ce point de vue. J ai vu aussi l article du Monde et il m a aussi bcp interpellé.
    L innovation reside bien dans le fait de realiser les choses et non pas uniquement d en avoir l idee.
    Nos grandes ecoles ont forme des generations d esprits retifs au risque, a l innovation et a l entreprenariat. C est d ailleurs auusi une caracteristoques de leurs etudiants. Ce n est pas un hasard si on voit des ecoles de 2eme ligue remonter ds les classements qui prennent en compte le nb de startups ou d entrepreneurs… on ne forme pas de la meme maniere un entrepreneur et un gestionnaire ds une grande entreprise.

  14. Cela rappelle aussi beaucoup les écrits de Norbet Alter: « L’innovation ne se réduit jamais à une bonne idée. C’est un processus, qui se joue pour l’essentiel dans l’appropriation de la nouveauté par ceux qui auront à la mettre en œuvre. » ou encore les remarques de E.Ries & S.G. Blank qui notentque les start up échouent rarement par manque de produits (idées) mais plus par manque de client (marché).

    1. Mais les idées ne s’arrêtent pas à la conception de produits ! On peut (on doit ?) avoir des idées en marketing, en mode de commercialisation, en redéfinition de segmentation clients, plus généralement sur le business model.

  15. Je vous rejoins sur la différence entre créativité et innovation. Je digresse volontairement de ce sujet pour revenir à l’article que vous citez, publié par le journal Le Monde.
    Le vrai paradoxe des écoles d’aujourd’hui est de vouloir « former » à la créativité comme à l’innovation d’ailleurs… alors même qu’il s’agit là d’une approche qui se veut sortir des sentiers battus… Amener une méthodologie, une organisation autour d’un concept qui se veut en soi disruptif ou unique, je l’entends parfaitement… Fournir des outils facilitant la transformation d’une innovation en business, je signe des deux mains.
    La créativité comme l’innovation, quant à elles ne se décrètent pas, elles se vivent au jour le jour et naissent d’une réflexion solitaire ou partagée autour d’un produit ou d’un service considéré comme manquant ou imparfait… Mais j’imagine qu’il s’agit là du versant marketing mis en avant par nos écoles…. A votre disposition pour échanger…

  16. Excellent article, comme d’habitude. Je t’invite à l’envoyer au Monde pour un droit de réponse, et ne pas rester à distance avec ton papier qui en faut bien des dizaines publiés par des canards à l’honnêteté intellectuelle et la pertinence douteuses.

  17. Une des conséquences de cette primauté de la créativité sur l’innovation est à mon sens la sortie d’un nombre faramineux de gadgets. C’est « le concours Lépine » devenu une grande industrie futile, à la fois gâcheuse d’énergie, de ressources et de talents. Peut être par manque de sens, de vision et de leadership

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