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Retraites : pour un vrai "Conseil d’Orientation"

Depuis 1991 et le rapport Rocard, le sujet des retraites empoisonne la vie politique, économique et sociale de notre pays. Après les rapports du Conseil d’orientation des retraites et du Comité de suivi des retraites, celui du Conseil d’analyse économique est très clair sur le constat : "Incohérence et illisibilité des régimes de retraite en France", mais vague sur une stratégie qui propose d'en unifier "la gouvernance" tout en conservant les différences.

Les dégâts des changements incessants de nos 37 régimes de retraites sont considérables. Les jeunes générations sont persuadées qu’elles n’auront pratiquement pas de retraite, les actifs et les retraités vivent dans l’incertitude sur les règles qui leur sont et seront appliquées, les différents groupes sociaux se suspectent et se querellent, l’image de la France à l‘étranger est affaiblie et la vie politique et sociale est à chaque fois perturbée pendant des mois pour des réformes souvent modestes.   

De son côté la complexité du système le rend incompréhensible pour les adhérents même mono-pensionnés, coûteux à gérer par les caisses de retraite et par les employeurs, largement aveugle[1] et très probablement injuste.

Le Conseil d’orientation des retraites (COR)

Le COR est composé de 39 membres : président (1), parlementaires (8), partenaires sociaux (16), associations de retraités (2), hauts fonctionnaires (6), personnalités qualifiées (6). Les études et rapports sont réalisés par des organismes extérieurs (ex. DREES) mais surtout par l’équipe de 9 salariés du secrétariat général. Les 39 membres officiels du COR ayant presque tous d’autres activités prenantes, c’est le travail du secrétariat général qui est fondamental[2]. Dans ses centaines de notes et rapports publiés depuis quinze ans, le COR fournit des descriptions des règles actuelles de fonctionnement des différents régimes et des comparaisons entre eux, fait régulièrement le point sur leurs situations démographiques et financières, et produit surtout des prévisions financières à court et long terme en fonction des hypothèses officielles de croissance, chômage, revenus, démographie, règles d’âge de départ en retraite. Ces constats et prévisions sur les situations actuelles et futures des régimes de retraite sont utiles, mais le COR n’en tire ni conclusion ni recommandation.

Un pan caché

Le coût de gestion de ces multiples régimes se chiffrant en milliards d’euros (environ six), son chiffrage précis par le COR permettrait de mesurer l’économie réalisable sur ce seul point par une fusion des régimes. Mais ce sujet des coûts de gestion risquant de remettre en cause de nombreuses structures représentées au COR, il n’est pas traité par le Conseil. Il est par exemple curieux que les retraites des fonctionnaires d’État soient traitées par le Service des retraites de l'État, direction rattachée à Bercy, et dont les crédits budgétaires sont inscrits dans le compte d'affectation spéciale Pension (le CAS Pension) et que celles des fonctionnaires des hôpitaux et des collectivités locales soient traitées par la Caisse des dépôts pour le compte de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNARCL), alors que les règles des deux régimes sont largement identiques. Au contraire, les régimes ARRCO et AGIRC ont fini par n’avoir plus qu’un seul outil (L’usine retraite) et par fortement réduire le nombre de leurs caisses. Ils se préparent maintenant à fusionner l’ARRCO et l’AGIRC comme le propose l’iFRAP depuis longtemps[3]

COPILOR, CAR, CSR

Il est progressivement devenu évident que la réforme des retraites n’ayant pas été traitée au fond en France, et le COR se cantonnant à faire des constats, un outil de réforme, différent du COR, était devenu nécessaire.

  • Comité de pilotage de l'avenir des régimes de retraite (COPILOR) - 2010 : Créé en 2010, le COPILOR, composé de parlementaires, de représentants de l’État, de partenaires sociaux et de directeurs de caisses de retraite, doit exercer un rôle de veille afin de s’assurer du respect de la trajectoire de retour à l’équilibre du système de retraite et de garantir le paiement des pensions de retraites de tous les Français. Ce comité a également pour mission de suivre la réalisation des objectifs du système de retraite par répartition définis par la loi : dont, notamment, le respect des principes d’équité intergénérationnelle et de solidarité intragénérationnelle ; la progression du taux d’emploi des plus de 55 ans et la réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes ; 

  • Commission pour l'avenir des retraites (CAR) - 2013 : Présidée par Mme Yannick Moreau, cette nouvelle instance créée en 2013 a été chargée par le Premier ministre de faire des propositions visant à faire évoluer le système de retraite ; 

  • Comité de suivi des retraites (CSR) - 2014 : Pour restaurer la confiance dans la durée, la réforme instaure en 2014 un système de pilotage. Il est composé en plus d’un président, de deux femmes et deux hommes aux compétences reconnues en matière de retraites. Placé à côté du Conseil d’Orientation des Retraites, il sera chargé de rendre chaque année un avis public portant sur les objectifs financiers et sur les objectifs d’équité assignés à notre système de retraites. Il est présidé par Mme Yannick Moreau.

De 2010 à 2013 puis 2014, le changement de nom a fait passer ce nouvel organisme d’un objectif de « pilotage », puis d’« avenir » à un objectif de « suivi ». Logiquement, ses rapports se limitent donc à reprendre les données du COR, affirmer que les régimes de retraite ne s’éloignent pas sensiblement des objectifs fixés par la loi, et ne proposent aucune évolution de nos régimes de retraite.

Conseil d’analyse économique (CAE)

Placé auprès du Premier ministre, le Conseil d’analyse économique a pour mission « d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique ». Il réalise, en toute indépendance, des analyses économiques pour le gouvernement et les rend publiques. Il est composé d’économistes universitaires et de chercheurs reconnus. 

Contrairement aux organismes précédents, le CAE n’est pas spécialisé sur le sujet des retraites mais peut traiter tous les sujets économiques qui lui sont soumis ou dont il se saisit. En ce qui concerne le système des retraites, la "Note du conseil d'analyse économique N°28 de janvier 2016" préparée par Antoine Bozio et Brigitte Dormont, « Gouverner la protection sociale : transparence et efficacité », même publiée sous leur seule responsabilité, est précise et terrible. "Aucun pays à notre connaissance ne dispose d'une architecture de la protection sociale - en particulier des retraites -  aussi complexe que la France au sein des administrations publiques. (...) Manque de coordination entre les régimes, engendrant des surcoûts administratifs, des incohérences et l'illisibilité des droits à pension pour les assurés. (...) Une situation kafkaienne. " 

Rarement depuis le rapport Rocard, un rapport public aura abordé ces sujets avec autant de clarté et de franchise... mais il est difficile de comprendre comment des recommandations aussi neutres ont pu être déduites de faits aussi criants. Sans doute une recherche excessive de consensus ou de plus petit commun dénominateur.

 Conclusion

Face aux désordres décrits par le CAE, le moment n'est plus à la poursuite des petits ajustements habituels mais à une véritable réforme. Or, contrairement à son nom, le COR ne remplit actuellement ni son rôle de Conseil ni son rôle d’Orientation.  En quinze ans, il lui aurait sans doute été possible de prendre toute la mesure de son rôle puisque ses objectifs précisent que « Le Conseil formule ses analyses et ses recommandations[4] dans des rapports remis au Premier ministre, communiqués au Parlement et rendus publics », voire de s’affirmer plus fortement comme l’a fait la Cour des comptes. Cela n’a pas été le cas. Il semble que ce soit la règle du consensus entre les 39 membres[5] qui bloque le système. Les intérêts des multiples groupes étant soit contradictoires soit favorables au statu quo, aucun changement n’est proposé. De son côté, la Commission de suivi des retraites (CSR) ne trouvant rien à changer dans notre système de retraites, la France continue d’être handicapée par ses multiples régimes obligatoires obscurs, coûteux, injustes et sources de conflits.

Puisque le fonctionnement paritaire du COR est la source de l’immobilisme, la Fondation iFRAP propose de remplacer le COR et la CSR par un organe administratif unique ne faisant pas que des constats et des prévisions mais aussi des propositions. Le nouveau COR, composé comme actuellement d’une équipe de salariés à plein temps serait donc chargé 1) de réaliser des constats comme le fait actuellement le COR et 2) de proposer aux responsables politiques et aux citoyens une panoplie de réformes, de préférence diverses, permettant de sauver notre système de retraite. C’est sur ces propositions que le débat pourra s’engager entre tous les intéressés, par exemple au Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui est le lieu fait justement pour la concertation entre partenaires sociaux, et la recherche de consensus éventuel.  Dans un pays qui réforme sans arrêt son système de retraite, les dizaines de documents publiés chaque année depuis 15 ans par le Conseil d’orientation des retraites (COR) sont utiles. Mais pour un pays qui veut disposer d’un système de retraite stable et apaisé, la France a besoin d’un COR stratège pas d’un COR uniquement actuaire.

L'exemple suédois

Orange report : le rapport annuel complet du système de retraite suédois par répartition comporte 113 pages dont une quarantaine d’explications identiques sont reproduites chaque année sur les méthodes de calcul et la terminologie employée. L’équivalent français comporterait des dizaines de milliers de pages (CNAV, ARRCO/AGIRC, IRCANTEC, CAS, CNRACL, IEG, RATP, MSA, SNCF…)


[1] Les transferts de solidarité entre adhérents d’un même régime sont flous. Les transferts entre différents régimes sont si complexes que les gouvernements ont renoncé à les mettre à jour en fonction de la situation actuelle, et  les études de la chaire Transition démographique de Dauphine ont montré que même dans le cas le plus simple (Fonction publique d’État) le montant des retraites est fortement aléatoire. 

[2] Une situation classique dans ce genre d’organisme où le Conseil revoit et entérine les travaux du secrétariat comme cela a été décrit pour le Conseil constitutionnel par Dominique Schnapper dans son livre « Une sociologue au Conseil Constitutionnel ».

[3] Pour avoir une idée du coût des duplications de régimes, le seul développement du logiciel Usine Retraite ARRCO/AGIRC aura coûté de 2.000 à 4.000 personnes/année. 

[4] Extrait du texte spécifiant les Missions du COR (les deux mots en gras ont été soulignés par l’auteur de cette note).

[5] Des membres représentant très majoritairement le secteur public.