Pour l’OCDE, les 47% d’emplois menacés par le numérique sont très surestimés

L'OCDE a revu la méthodologie de l'étude d'Oxford qui annonçait que 47% des emplois étaient potentiellement menacés par le numérique.

Résultat : seulement 9% des emplois seraient réellement menacés. 

Pour autant, la numérisation n'en pose pas moins de véritables problèmes, qui ne sont pas insurmontables.

Les politiques d'emploi doivent s'adapter. 

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Pour l’OCDE, les 47% d’emplois menacés par le numérique sont très surestimés
Stefano Scarpetta, directeur de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE lors de la conférence co-organisée par l'Ajef (association des journalistes économiques et financiers)

Dans le grand débat sur l’impact du numérique sur l’emploi, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) vient d’apporter par la voix du responsable du département Travail Stefano Scarpetta, une contribution qui relativise certaines études préalables.

 

Vous l’avez sûrement lu : près d’un emploi sur deux (47%) serait menacé par la numérisation de l’économie. C’est ce qui ressortait d’une étude réalisée par Frey et Osborne, deux chercheurs de l’Université d’Oxford. Largement repris, ces résultats sont très dépendants des hypothèses des deux chercheurs, fussent-ils d’Oxford. Ainsi, ils ont considéré qu’un emploi était menacé dès lors que 70% des tâches qui le composent pouvaient être automatisées.

 

C’est sur ce point que l’OCDE vient relativiser les précédentes conclusions. En effet, Frey et Osborne ont raisonné par catégorie de métiers. Comme le rappelle Stefano Scarpetta de l’OCDE, "d’une entreprise à l’autre, le contenu précis d’un métier peut énormément varier". La culture managériale qui laissera ici plus de latitude de décision, l’histoire de la structuration d’une entreprise qui fera qu’historiquement certaines tâches sont effectuées par tel service plutôt que tel autre... sont autant de facteurs qui font que se limiter aux métiers pris comme un tout homogène, peut être une approximation, mais n’est pas une démarche complètement satisfaisante.

 

Les emplois menacés ? Seulement 9% pour l'OCDE 

Pour cela, trois autres chercheurs, Antz Gregory et Ziehran, ont mené une étude en s’appuyant sur les données fournies par l’OCDE en s’intéressant aux tâches qui composent le travail réel des personnes. Il en ressort que ce n’est plus seulement que 9% des emplois qui seraient menacés par l’automatisation, en retenant la même hypothèse que les Oxfordiens (un emploi est menacé dès lors qu’au moins 70% des tâches peuvent être automatisées). Ce chiffre de 9% correspond à une moyenne pour tous les pays de l’OCDE. Si, la France se situe dans la moyenne, l’étude montre qu’en Allemagne, en Autriche ou en Espagne, la part de "travailleurs à risque élevé de substitution" dépasse la barre des 10%.

 

Une fois cette comparaison réalisée entre les deux études, les chercheurs de l’OCDE ne se sont pas arrêtés. Ils ont cherché à savoir, toujours en gardant leur méthodologie propre, quel était la part "demplois à risque moyen de substitution", c’est-à-dire ceux pour lesquels entre 50 et 70% des tâches sont automatisables. Dès lors, la part d’emplois menacés serait de l’ordre de 30% en moyenne, un taux proche de celui observé en France. A l’inverse, l’Italie, l’Allemagne ou l’Autriche ont des taux bien plus élevés frôlant les 40%, tandis que le taux d’emploi moyennement ou fortement substituables est inférieur à 25% en Corée du Sud.

 

Une menace très inégale selon le niveau de diplôme

Ce que révèle aussi l’étude de l’OCDE c’est que tout le monde n’est pas pareillement concerné. "Dans tous les pays, ce sont les travailleurs les moins instruits qui courent le plus de risque de voir leur emploi supprimé. Si 40% des travailleurs avec un niveau inférieur au deuxième cycle du secondaire occupent des emplois ayant un fort risque d’automatisation, moins de 5% des travailleurs diplômés de l’enseignement universitaire sont dans le même cas", note l’OCDE dans une synthèse des précédents travaux.

 

Dès lors, faut-il craindre ou non le chômage technologique de masse ? Stefano Scarpetta s’y refuse. Il tient à rappeler d’abord que parallèlement on ignore le nombre d’emplois que créeront les nouveaux secteurs. Ainsi, des chercheurs ont établi que "chaque emploi créé dans le secteur de la haute technologie entraîne la création de cinq emplois supplémentaires."

 

En outre, le responsable du département Travail insiste fortement sur le caractère absolument pas fatal des évolutions technologiques. D’abord, parce que, explique-t-il, ce n’est pas parce qu’une technologique existe qu’elle sera forcément utilisée. Ensuite, il insiste sur le fait qu’il s’agit de risque de substitution, pas d’une prédiction, car "les politiques qui seront mises en œuvre auront un rôle important sur l’impact final des évolutions technologiques".

 

L'urgence de revoir les politiques basées sur le salariat

A cet égard, le responsable du département travail insiste sur la manière dont les institutions du marché du travail sont touchées par la numérisation, notamment avec le développement du travail indépendant. Ce dernier est très difficile à appréhender car les appareils statistiques développés par les pays de l’OCDE ont été pensés dans le cadre d’une société salariale.

 

Reste que pour Stefano Scarpetta une des clés des évolutions à venir dépendra de la capacité de créer les conditions pour que les travailleurs deviennent davantage acteurs de leur employabilité. Il a notamment insisté sur le rôle joué par la formation, rappelant que partout dans le monde, elle profite plutôt aux plus diplômés. Il est urgent de trouver des moyens pour que les moins qualifiés en bénéficient. Le compte personnel de formation (une invention française !) lui semble être un outil original et intéressant. Toutefois, le problème concerne tous les pays de l’OCDE, et même des pays émergents comme l’Inde.

 

De même, l’OCDE estime qu’avec le développement du travail indépendant autorisé par le numérique, "un nombre croissant de travailleurs risquent de se retrouver exclus des conventions collectives" ou de l’assurance chômage. C’est le cas dans 19 pays de l’OCDE sur 34 et ils "n’ont pas droit aux prestations d’accident du travail dans 10 pays", poursuit l’OCDE toujours dans le même document.

 

En attendant une stratégie de l'emploi en... 2018

C’est dire que la question de l’impact du numérique sur l’emploi ne peut pas être résumé à un seul chiffre aussi choc soit-il. C’est l’organisation du travail, telle qu’elle s’est mise en place au cours de la seconde révolution industrielle et après 1945, qui est ébranlée. Que les mêmes objectifs doivent être poursuivis est une question avant tout politique. Les meilleurs moyens à mettre en œuvre pour y parvenir relève davantage de la technique. C’est ce sur quoi travaille l’OCDE en développant à la demande des gouvernements qui la composent à une stratégie de l’emploi qui devrait être rendue public... en 2018. A moins que cette réflexion soit elle-même ubérisée !

 

L'ensemble du dossier très complet de l'OCDE sur le sujet peut être consulté ici

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