Les tsunamis verticaux, une épée de Damoclès au-dessus de la tête des Népalais

Plus on monte en altitude, plus le réchauffement climatique s'aggrave. Avec huit des quatorze plus hauts sommets du monde, le Népal redoute ces tsunamis verticaux provoqués par la fonte des glaces. Dans le cadre de la COP21, Ang Tshering Sherpa alerte le monde sur cette catastrophe imminente.

Par Emmanuel Tellier

Publié le 03 décembre 2015 à 16h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h04

«Quand j'étais enfant, mes copains et moi allions jouer au bord des petits lacs d'altitude de l'Himalaya, à 5 000 mètres et au-delà. Notre jeu préféré, c'était de pousser nos yaks sur l'eau glacée et de rigoler en les voyant se casser la figure… Aujourd'hui, ces petits lacs ne gèlent plus. Avec la fonte des neiges et des glaciers de haute altitude, ils se sont transformés en d'immenses réservoirs d'eau noirâtre. Si rien n'est fait pour lutter contre le réchauffement climatique, cette énorme masse liquide va dévaler des montagnes et décimer des villages entiers. Dans très peu de temps – ça peut arriver demain, dans un an, dans deux ans… –, le Népal va connaître des tsunamis verticaux. Et pourtant, personne n'en dit mot. »

L'homme qui parle – sans jamais se départir de cette douceur de ton et de regard qui est la marque des Sherpas – a une soixantaine d'années. Il s'appelle Ang Tshering Sherpa et est considéré, par les travailleurs d'altitude comme par l'ensemble du peuple sherpa, comme le porte-parole le plus légitime et éclairé de sa communauté (environ 160 000 personnes). Président de l'Association d'alpinisme népalaise, il dirige également l'une des meilleures agences de trekking et d'expéditions sur les 8 000 mètres du pays. La région du Khumbu – lui est né dans le village de Khumjung (2 000 habitants, à 3 970 mètres d'altitude) –, il la connaît comme sa poche. Il y a même construit quelques lodges et hôtels pour acueillir les milliers de visiteurs occidentaux qui viennent réaliser leur rêve himalayen chaque année. Mais si le développement du tourisme en montagne ne le heurte pas outre mesure – « à condition de ne pas transformer nos vallées en parcs d'attraction pour touristes pressés… » –, l'accélération du réchauffement climatique l'obsède à tel point qu'il a décidé de faire le voyage jusqu'à Paris pour venir porter la parole des Sherpas et des Népalais dans le cadre de la COP21. 

« Je souhaite rencontrer le plus de gens possibles pour alerter, expliquer, sensibiliser à notre cause. Comme tous les habitants de cette planète, nous sommes mortifiés quand nous pensons aux peuples qui vivent au bord de la mer, au Bangladesh, au Vietnam… Mais les gens doivent comprendre qu'en montagne également, des populations entières sont menacées. »

Dans les années 1960, l'eau de fonte du glacier Imja a commencé à s'accumuler créant le lac Imja Tsho. Une étude de 2009 décrit ce lac d'eau de fonte comme l'une des plus fortes croissances dans l'Himalaya. Imja Tsho (au centre de l'image) menace d'inonder les communautés.

Dans les années 1960, l'eau de fonte du glacier Imja a commencé à s'accumuler créant le lac Imja Tsho. Une étude de 2009 décrit ce lac d'eau de fonte comme l'une des plus fortes croissances dans l'Himalaya. Imja Tsho (au centre de l'image) menace d'inonder les communautés. © NASA

“A  8 000 mètres d'altitude, passer de moins 20 degrés à moins 10 degrés, est une catastrophe.” Ang Tshering Sherpa

C'est d'autant plus révoltant, ajoute-t-il, que les villages menacés sont peuplés de paysans des haut plateaux, pour la plupart illettrés, incapables de faire entendre leur voix, et bien sûr parfaitement étrangers au mode de vie et consommation « moderne » en grande partie responsable des émissions de CO2. 

«Il faudrait pourtant aller rencontrer ces petits paysans, ces éleveurs de yaks… Que les scientifiques aillent les interroger ! Eux connaissent la réalité. Dans la région de l'Everest, les relevés de température sont très clairs : plus on monte en altitude, plus le réchauffement est prononcé. Près des sommets, il est deux fois plus fort qu'au pied des massifs. Or, à 7 000 ou 8 000 mètres, passer de moins 20 degrés à moins 10 degrés, c'est une catastrophe. Et les conséquences sont terribles en contrebas : il y a des affaissements de terrain, des pans entiers de montagne qui se décrochent. Puis se forment ces terrifiantes retenues d'eau qui vont finir par lâcher, la pression sur la roche étant trop forte. Il y a des villages de plusieurs centaines d'habitants qui ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête, et ça n'est malheureusement pas une image. Dans peu de temps, aux informations télévisées, vous entendrez parler des premiers tsunamis verticaux. C'est devenu inévitable… »

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