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SNCF : les raisons d’un discret virage tarifaire

Les prix pratiqués par la SNCF l’ont peu à peu coupée d’une clientèle stratégique : les jeunes, qui se tournent massivement vers le covoiturage. TGVpop, sa nouvelle offre commerciale invitant les voyageurs potentiels à voter pour le train qui les intéresse, vise clairement à les reconquérir.

Par Lionel Steinmann

Publié le 29 juin 2015 à 16:26

Qui aurait cru que la SNCF jouerait à la « Star Academy » avec ses trains ? Cet été en effet, l’entreprise publique propose à ses clients 203 TGV supplémentaires, mais ceux-ci ne prendront le départ que si suffisamment d’internautes votent en ce sens.

L’heure et la destination des trains sont annoncées sur un site dédié, une quinzaine de jours à l’avance, et les voyageurs potentiels manifestent leur intérêt en cliquant sur une jauge en forme de rame TGV. Ils sont invités à mobiliser leurs contacts sur Facebook ou Twitter pour qu’ils votent eux aussi. Lorsque le nombre de clics atteint le seuil fixé par la SNCF (équivalent au tiers des places dans le train), celui-ci est confirmé. Les réservations sont ensuite ouvertes trois jours avant le départ.

Sur le papier, TGVpop est donc une petite révolution : elle soumet la circulation de certains trains aux desiderata des voyageurs. « C’est un renversement du pouvoir », avance Rachel Picard, la patronne de l’activité à la SNCF. Mais cette nouveauté détourne en réalité l’attention du vrai changement, celui de la politique tarifaire des TGV. Celle-ci répondait jusqu’à présent à un dogme bien connu des clients : pour avoir des billets à petits prix, il faut s’y prendre le plus tôt possible. C’est d’ailleurs pour ça que l’entreprise publique baptise ses prix les plus bas, les billets à 25 euros, des « Prem’s ».

Réserver tôt pour payer moins cher, le principe n’est pas propre à la SNCF. Il est appliqué par la plupart des entreprises de transport, au premier rang desquels les compagnies aériennes. A ceci près que ces dernières pratiquent un « yield management » qui implique de baisser les prix s’il reste des places non attribuées dans les derniers jours, afin de remplir au maximum les avions. La SNCF, elle, s’y refuse. « C’est notre contrat de confiance avec les clients », explique un responsable.

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Mais l’entreprise publique a pris conscience ces derniers mois qu’une remise en cause de cet axiome était inévitable. Car cette politique de prix a peu à peu coupé la SNCF d’une clientèle stratégique : les jeunes, et notamment les jeunes actifs. Ces derniers décident en effet souvent de leurs déplacements quelques jours à l’avance, parfois à la dernière minute. Ce qui, sur voyages-sncf.com, revient le plus souvent à payer le prix fort. Et les hausses régulières pratiquées ces dernières années par la SNCF sur ses prix maximum n’ont rien arrangé.

Résultat, la plupart de ces jeunes ont pris peu à peu l’habitude de moins prendre le train. Et ils s’en sont détournés dès que le covoiturage leur a offert une alternative pour les trajets longue distance. En s’y prenant la veille pour le lendemain, ils peuvent par exemple trouver sur BlaBlaCar un trajet Paris-Nantes à 24 euros, contre 60 euros minimum pour le TGV. Et les lignes d’autocars qui vont se mettre en place dès cet été suite à la loi Macron vont proposer elles aussi des prix attractifs à quelques jours du départ.

La SNCF se devait donc de réagir, et de proposer elle aussi des prix bas à la dernière minute, sous peine de voir les jeunes filer définitivement à la concurrence (le covoiturage lui a ravi de son propre aveu un million de voyageurs l’an dernier). Et c’est bien cela la principale nouveauté de TGVpop. Dans ces TGV, tous les billets sont à un tarif unique attractif, allant de 25 à 35 euros selon la destination (auquel il faut ajouter 5 euros pour un billet en première classe). Et là, pas besoin (et même impossible) de s’y prendre trois mois à l’avance, puisque ces billets ne sont mis en vente que trois jours avant le départ, même si la circulation effective du train est confirmée avant cette date.

Certes, ces 203 TGV ne représentent que 1 % à 2 % d’offre supplémentaire sur l’ensemble de l’été. Mais cette expérimentation pourrait être prolongée et étendue si elle est concluante. Et elle acte d’ores et déjà un infléchissement fondamental de la politique tarifaire de la SNCF, qui va, sur des trains entiers, garantir la disponibilité de tarifs attractifs jusqu’au dernier moment.

Le problème, pour l’entreprise publique, est de lancer cette nouvelle offre ciblant les jeunes sans pour autant déconcerter le reste de sa clientèle. D’autant que la règle du « plus je réserve tôt, plus je fais des économies » reste pour l’instant valable pour l’immense majorité des trains. Certes, les TGVpop ont leur particularité : ils circuleront en période creuse et n’auront pas de voiture-bar. Mais cela ne suffit pas.

C’est pour cela sans doute que la SNCF soumet les TGVpop au vote des internautes. Cette procédure crée un clair distinguo avec le reste de l’offre TGV, puisqu’elle introduit un élément d’incertitude (le train peut ne pas partir s’il n’y a pas assez de votes), légitimant du même coup une tarification particulière.

Dans les faits, cette incertitude semble toutefois assez artificielle, car le seuil fixé par la SNCF pour déclencher le départ d’un train est extrêmement bas : entre 150 et 200 clics selon le type de rame, à atteindre sur une dizaine de jours, sachant qu’il s’agit bien de « votes » et non de préréservations qui nécessiteraient de sortir sa carte de crédit, et qu’un candidat au voyage intéressé par ce train peut mobiliser son entourage pour faire grimper la jauge même s’il est au final le seul à acheter un billet.

Il serait donc surprenant de constater, à la fin de l’été, que certains des 203 TGVpop n’ont pas pu circuler faute d’avoir atteint le nombre de votes requis. Lundi 30 juin, les 26 premiers trains mis en circulation à partir du 5 juillet apparaissaient déjà tous sur le site comme confirmés. Mais ce suspens tout relatif permet à la SNCF de faire cohabiter des prix bas de dernière minute avec le « contrat de confiance » qui réserve les rabais aux voyageurs prévoyants.

Lionel Steinmann (Journaliste au service Services)

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