mardi 15 mars 2016

Entretien avec Damien Deshayes, compositeur invité de la 3ème ÉlectroSession

A l'occasion de la 3ème ÉlectroSession qui se déroule du 04 au 07 avril 2016, le conservatoire municipal de musique et danse de Saint-Palais-sur-Mer a l'honneur de collaborer avec le compositeur Damien Deshayes. Cette collaboration permet à tous les élèves du conservatoire et au public de s'initier à l'esthétique électroacoustique. Pour cette édition 2016, c'est le thème de la musique et l'image qui est développé tout au long des ateliers, conférences et concert du mois d’avril. Le programme est à retrouver en cliquant ici.

Damien Deshayes poursuit une carrière de compositeur à l'image et de musiques pour le concert. Régulièrement nommé ou primé dans des concours nationaux ou internationaux pour ses musiques de film, son travail est fréquemment diffusé à la radio ou sur des chaînes de télévision comme TF1, France 2, France 3, M6 ou Rai Uno. Les diverses pièces qu'il a composées pour des ensembles et solistes de tous horizons ont quant à elles traversé les frontières jusqu'au Japon ou au Brésil. 

Déjà au travail depuis l'automne avec les élèves du conservatoire, Damien Deshayes nous concocte d'ores et déjà plusieurs créations de pièces électroacoustiques. Avant sa venue au mois d'avril, nous l'avons rencontré. Retour sur cet entretien, avec un personnage intarissable sur la vision de son métier de compositeur du XXIème siècle. 


Reflet : Damien Deshayes, pouvez-vous nous présenter brièvement votre parcours ?

DD : Mes parents m’ont avoué un jour que je chantais dans mon berceau et que c’était pour cette raison qu’ils m’ont mis au Conservatoire à l’âge de six ans. A cette époque, je me destinais à être écrivain, donc je n’étais pas particulièrement intéressé par la musique, même si je composais de temps en temps : ce fut une vocation relativement tardive. J’ai néanmoins poursuivi assidûment mes études et suis sorti du Conservatoire diplômé en formation musicale, en musique de chambre et en flûte à bec. J'ai ensuite suivi pendant trois ans des cours de musicologie, et j’ai étudié l’harmonie et le contrepoint avec Alexandre Benéteau. J’ai suivi plusieurs master-classes avec des compositeurs reconnus comme Cyrille Aufort ou Etienne Rolin, et j’ai eu le bonheur d’être lauréat d'Emergence en 2009 (dispositif de résidence compositeur/réalisateur intégrant 4 jeunes compositeurs chaque année, NDLR).




R : Parlez-nous des projets que vous avez déjà réalisés...


DD : Pour le concert on m’a commandé diverses pièces, autant dans le domaine acoustique qu’électroacoustique: Matières pour bande, Catharsis pour brass-band, Terra Nova pour orchestre d’harmonie, Edzengui pour chœur, piano et flûte, Fall and Death of the Tree of Life pour ensemble de flûte à bec, bande et récitant ou encore Remembrance pour ensemble de cuivres que je viens de terminer pour le trompettiste Pierre Badel. Pour le cinéma, j'ai composé la musique de plusieurs documentaires télévisés, d’un long métrage sorti en salles en 2010 et d’une soixantaine de courts métrages diffusés un peu partout dans le monde comme Cupidon, CTIЙ ou plus récemment La Vague, dont la musique concourt cette année au Grand Prix de la Meilleure Création Sonore au Festival d’Aubagne. J’ai également travaillé pour le spectacle vivant, notamment pour l’Académie Fratellini.




R : Quelles sont vos influences ou vos sources d'inspiration dans vos compositions ?


DD : En général, la majorité de mes pièces de concert ont pour sujet principal la spiritualité sous toutes ses formes. Mon travail reflète également souvent mon intérêt pour l’écologie et pour les cultures extra-européennes. Comme j’aime découvrir beaucoup de choses, j’essaie de mélanger des influences musicales aussi diverses que la musique de film bien sûr, la musique post-moderne anglo-saxonne (Reich, Adams, Lauridsen, Whitacre), l’école spectrale ou apparentée (Saariaho essentiellement), le jazz, la musique ethnique, la musique électro / concrète / électroacoustique, et j’en passe. J’ai par ailleurs un intérêt presque obsessionnel pour le style choral popularisé par Bach et qui se retrouve très fréquemment dans mon travail. Pour justifier cette synthèse, la forme des mes pièces est souvent très narrative.


R : La musique électroacoustique semble demeurer une musique peu connue du grand public. Qu'est-ce qu'elle représente pour vous aujourd'hui ?

DD : Je tends de plus en plus à essayer de concilier les exigences de la musique savante avec l’efficacité mélodique et la spontanéité de la musique actuelle. L’objectif peut sembler facile au premier abord, mais la façon dont nous avons appris la musique depuis l’enfance en France fait que l’on se met très facilement des barrières en tant que compositeur (la notion de cross-over me semble encore très connotée). Ce sont ces barrières mentales que j’essaie de dé-construire depuis quelque temps.

Lorsque ma ville natale m’a commandé mes premières pièces électroacoustiques en 2005, j’ai choisi pourtant très naturellement et sans trop me poser de questions une esthétique beaucoup plus accessible que celle qui prédomine encore à l’IRCAM et à laquelle de ce fait on associe souvent la musique électroacoustique. Alors que la musique acoustique savante est devenue beaucoup plus tonale et accessible, grâce aux “minimalistes” américains, j’ai pourtant la sensation, peut-être erronée, que les musiques électroacoustiques et mixtes « savantes » n’ont pas suivi cette évolution, alors même que les deux grands pères fondateurs, Pierre Henry et Pierre Schaeffer, avaient une approche beaucoup plus ludique et libérée que le peu que j’entends aujourd’hui. Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui, dans le domaine électroacoustique, la musique actuelle et la musique de film sont infiniment plus inventives et originales que la musique savante. Björk, par exemple, défriche fréquemment des terrains inexplorés. Je trouve son travail très intéressant.





R : Qu'est-ce que vous avez envie de transmettre au public pour cette 3ème ÉlectroSession?

DD : C’est une approche tonale, « ouverte » et décomplexée de l'électroacoustique que j’ai envie de promouvoir. J’ai envie que les gens puissent ressentir quelque chose, qu’ils puissent vivre une expérience. Et je pense profiter de ma résidence en avril pour essayer d’approfondir cette démarche, du moins dans le travail que j’accomplirai avec les élèves.




R : Pouvez-vous nous en dire plus concernant cette collaboration avec les élèves du conservatoire ? Qu'est-ce que nous pourrons entendre lors de la semaine électroacoustique ?

DD : J’ai essayé de partir de leurs envies et de leur imaginaire pour construire avec eux cette pièce dont ils ont souhaité qu’elle dépeigne leur journée type. Je me suis efforcé pendant tout le processus de faire en sorte qu’ils prennent d’abord cela comme un jeu, en prenant en compte le fait qu’en musique électroacoustique il ne doit pas y avoir de contrainte : c’est un espace de liberté où tout est possible.

Quand à moi, je prévois de composer au moins une pièce, “Flux et Reflux”, pour clarinette amplifiée et électronique, inspirée par un poème de Tagore. Vous pourrez également entendre une version de “Qinah” pour clarinette et électronique. La version pour clarinette seule a été créée le 12 février dernier par Marie Boche, professeur au conservatoire du Saint-Palais, lors du concert annuel des professeurs.


R : Comment faites-vous pour travailler avec les élèves à distance ? N'est-ce pas là une démarche très contemporaine pour composer une musique ?

DD : Nous avons recours à la visioconférence une fois par mois. Chaque élève enregistre les sons qu’il souhaite pour que nous l’utilisions comme matière. Nous les écoutons et les commentons. Puis je prend ces sons et travaille dessus pour esquisser la pièce à venir. Lorsque nous nous reverrons en avril pour la master class, nous la finaliserons ensemble, et elle sera créée lors du concert de clôture le lendemain au cinéma de Saint-Palais.

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Le programme complet de la semaine électroacoustique est disponible en cliquant ici.

Damien Deshayes - site officiel : http://www.damiendeshayes.fr
Crédit photo : © Pee Ash