Bienvenue à l'ère de l'info visuelle verticale

Bienvenue à l'ère de l'info visuelle verticale
Pyramid Flare, par le réalisateur Johann Lurf, un film à regarder tout droit, au festival du film vertical (Verticalcinema.org) (PYRAMID FLARE BY JOHANN LURF © MARCUS GRADWOHL VERTICALCINEMA.ORG )

L'info devient droite comme un "i". On consulte l'actu sur son mobile, qu'on tient tout droit. Conséquence : les vidéos verticales se multiplient. Mais aussi les photos, les infographies... Analyse.

Par Le Nouvel Obs
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"Pour mon île flottante, j’utilise des carottes et des pois". Le chef Dominique Ansel décortique sa nouvelle recette, dans son restaurant de New York. Il est debout, et ça se voit. Car dans ce reportage du site Mashable, le cuisinier est filmé... à la verticale.

                                      

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L’effet ? Déroutant. Et en même temps... immersif. Le chef nous fait face, de toute sa hauteur. On se sent près de lui, face à lui.

Cet été, les sites d’info ont multiplié les expérimentations. Business Insider, le "Daily Mail", le "New York Times" ont réalisé des vidéos filmées et diffusées verticalement.

Le quotidien allemand "Bild" délivre même un point d’info quotidien conçu sur ce principe. Présentateur et envoyés spéciaux apparaissent dans un nouveau cadre.

                                     

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En 2015, l’info devient droite comme un "i". Un responsable : le smartphone. On le tient généralement dans la paume d’une seule main, tout droit. Et on le consulte de plus en plus souvent pour suivre le feuilleton de l’actualité - la moitié du temps passé sur les sites d’info se fait dorénavant via un smartphone.

L’image suit ce mouvement : plus de 50% des vidéos en ligne seront vues sur un mobile cette année, rappelle le site Meta-Media

Occuper tout l'écran 

Il n’y avait donc qu’un pas à faire pour adapter l’usage du smartphone au format de la vidéo. Qui a franchi le Rubicon en premier ? Snapchat. Sur l’application de messagerie, on ne peut filmer qu’en mode portrait, c’est-à-dire à la verticale. Pareil pour les selfies.

"Une vidéo vue à l’horizontale, sur un mobile, n’occupe qu’une toute petite partie de l’écran, à moins que l’on retourne son téléphone, explique le fondateur de l’application préférée des ados, Evan Spiegel. Nous, ce qu’on voulait en priorité, c’était occuper tout l’écran. Donc, on est passé à la vidéo verticale."

L’un des promoteurs de la vidéo verticale, le fondateur de l’application Vervid (pour "vertical video"), écrit sur son blog : "Ce n’est pas Snapchat qui a inventé le format vertical. Ce n’est même pas nous, Vervid. C’est le smartphone. C’est l’ergonomie. C’est le fait qu’on tienne son téléphone de cette manière 94% du temps ! On capture ses vidéos comme ses photos : verticalement."

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Joint par l’Obs, John Wahley, de Vervid, précise sa pensée :

Nous, les humains, sommes verticaux. Plus hauts que larges. Pour les paysages, il vaut mieux privilégier le format horizontal. Mais pour photographier, filmer des gens, la verticalité prend tout son sens. C’est parfait pour la génération selfie…"

Mais aussi pour filmer un bébé qui fait ses premiers pas, ou un grimpeur escaladant une montagne.

L’entrepreneur, qui entend bâtir le YouTube de la vidéo verticale, prend un ton grave :

C'est une révolution. Les photos verticales, les portraits, existaient depuis longtemps. Mais la vidéo, jamais. Car on n’avait pas de caméras pour cela. C’est la dernière frontière."

Snapchat aux avants-postes

Des artistes avant-gardistes s’engouffrent dans la brèche, exploitant les nouvelles possibilités. Comme ces Argentins, qui tournent la première fiction plus haute que large :

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Les aficionados ont même créé leur propre événement : le Vertical film festival (et un site). 

         

   Une projection du film "Bring Me The Head Of Henri Chretien !"par Billy Roisz & Dieter     Kova © Sascha Osaka

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Leur emboîtant le pas après un premier temps de frilosité, les médias partenaires de Snapchat multiplient désormais les expérimentations.

Dans leur espace dédié, baptisé "Discover", les photos, vidéo, quiz et gif se visionnent l’écran levé vers le ciel. Du cupcake aux framboises (par "Taste Made") aux cerfs de "National Geographic". Toujours dans un esprit très coloré, animé, très… Snapchat.

        

    Images Taste Made, BuzzFeed, Food Network (Discover / Snapchat) 

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Disons-le tout net : Patrick Poivre d’Arvor n’y reconnaîtrait pas ses petits. Sur la forme, tout du moins. Regarder les infos sur Snapchat a le don de vous faire vieillir à la vitesse grand V. Pourtant, l’imagination déployée par les éditeurs, pour inventer une nouvelle mise en scène de l’info, visuelle, verticale et animée, est littéralement sidérante.

En plein écran, certaines images deviennent bien plus puissantes. On est dans l’action : un basketteur qui met un panier, un palmier qui ploie sous le vent, un journaliste sur le terrain.

                                   

Il y a aussi de nouvelles contraintes. Faire entrer deux personnes discutant ensemble, ou trois athlètes sur les marches d’un podium, se révèle plus complexe, inadapté. 

Mais même les majestueuses plaines de Suède, présentées par National Geographic, s’embrassent d’un seul coup d’oeil.

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                          Image : National Geographic / Snapchat

Après avoir séduit les ados et les médias, le fondateur de Snapchat entend aussi monétiser son appli et vendre de la publicité. Sa méthode : imposer un nouveau format prometteur pour les annonceurs, baptisé 3V - pour Vertical video views - une pub en mode portrait et plein écran.

Pour Evan Spiegel, aucun doute : ce format imprime "9 fois plus" le cerveau des utilisateurs que le format horizontal. 

       

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         Une pub sur Snapchat (Discover)

Seule contrainte pour les agences de pub : imaginer de tourner deux spots pour un même produit : un pour les écrans d’ordinateur et de télé, l’autre pour le smartphone...

"Ce n'est plus un crime"

Facebook a embrayé cet été, en annonçant travailler sur des formats publicitaires verticaux.

De son côté YouTube, le leader de la vidéo en ligne, a également déployé pour tous la possibilité de voir sur son smartphone des vidéos verticales en plein écran, sans bande noire sur les côtés. Faites le test. Quand vous filmez quelqu’un en tenant votre smartphone tout droit, le film apparaît bien sur toute la surface de l’écran, verticalement.

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Pareil pour Meerkat et Periscope : ces applications, récentes, conçues pour filmer et regarder des vidéos en direct depuis son smartphone, ont d’emblée adopté le format vertical. Même si Periscope, développé par Twitter, autorise également désormais le format horizontal

Bref, le format vertical s’impose. Le temps des appels aux boycotts des vidéos verticales paraît déjà loin.

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 Les tenants de l’horizontalité avancent pourtant des arguments qui se tiennent : d’affreuses bandes noires apparaissent sur les côtés d’un film tourné avec un téléphone tenu tout droit, quand on regarde ensuite la vidéo sur un écran de PC ou de télévision.

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La question est : qui regarde des vidéos tournées avec un smartphone sur un téléviseur ? Peu de monde. Directement sur un écran de smartphone ? Beaucoup, beaucoup, beaucoup plus de monde.

Autre argument avancé par des détracteurs du "syndrome vertical" : la nausée. Une vidéo qui bouge beaucoup regardée à la verticale donnerait le tournis. Le journaliste et consultant Philippe Couve rappelait

Nos yeux sont placés de part et d’autre de notre nez, pas l’un en dessous de l’autre. Notre vision naturelle est en 16/10e. Le format 16/9e, rapidement imposée par Hollywood, correspond bien à notre morphologie."

Cependant, sur un écran de smartphone - qui reste d’une taille modeste, comparé à un téléviseur, et tenu à bout de bras, "cela passe", avance le producteur de Business Insider dans cette vidéo survoltée.

                     

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Le "New York Times" a fini d’enfoncer le clou cet été le dit, avec ce titre coup de poing : "La vidéo verticale ? Ce n’est plus un crime".

Gros potentiel

Si la vidéo est la dernière et la plus radicale des évolutions de l’image due au smartphone, ce n’est pas la seule. La photographie, l’infographie, l’ergonomie se "verticalisent" également.

Prenez la photo. Instagram, après avoir popularisé le format carré, a suivi le mouvement et autorise depuis peu les formats panoramiques et… verticaux. Plus pratiques pour les selfies et les portraits. Une révolution ? Un retour aux sources, plutôt, rappelle André Gunthert, qui occupe la chaire d’histoire visuelle de l’EHESS.

Le ruban photo, la pellicule 24x36 du Leica, nous a enfermé dans le format horizontal depuis 70 ans. Mais n’oublions pas que les premières chambres photos étaient verticales. Car on avait pour référence la peinture et ses portraits."

Parmi les premiers à sauter sur la nouvelle option d’Instagram : la Nasa. Avec une photo de la terre prise depuis la Station spatiale internationale. Présentée, du coup, par la tranche.

 

Pour les éruptions solaires, cela fonctionne aussi :

 

Une vidéo publiée par NASA (@nasa) le

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Une autre application a tiré tout le potentiel de la verticalité pour inventer une nouvelle forme de storytelling : Steller. Avec cette interface, tout le monde peut raconter son histoire en photo (et en vidéo, avec du texte).

La particularité ? On feuillette les albums comme un livre, en tenant son téléphone tout droit et en feuilletant les pages, grâce à une navigation horizontale : exemple, avec ce récit multimédia sur le carnaval de Venise

 

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 Disons-le honnêtement : on aime beaucoup Steller.

Dans les médias, des labos travaillent déjà sur ces nouveux formats visuels verticaux, qui se lisent aussi bien - voire mieux - sur un smartphone que sur un ordinateur. Comme cette story sur le Yemen (merci à Audrey Cerdan pour le lien), développé par la NPR (la radio publique américaine), une référence sur le web. 

Une nouvelle ergonomie mobile ?

Le "Boston Globe" avait révolutionné le genre en inventant un nouveau format pour l’ordinateur en 2008, aussi simple qu’efficace : le Big Picture. Des photos XXL occupant tout l’écran de l’ordinateur, que l’on faisait défiler de haut en bas, avec sa souris.

Le nouveau grand format photo sur le smartphone sera peut-être vertical. Et on continuera la plupart du temps à faire descendre le contenu - à "scroller" pour en voir davantage.

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"C’est rentré dans les moeurs. Ce n’est même plus une question", tranche Amélie Boucher, auteure d’un ouvrage de référence ("Ergonomie web"), et qui publie en octobre "Expérience utilisateur mobile", aux Editions Eyrolles.

On feuillette le papier en tournant les pages de gauche à droite, mais on consulte Internet verticalement. Vous imaginez feuilleter votre fil Facebook, Instagram, LinkedIn, Pinterest ? Le pouce humain est articulé de telle manière qu’il est beaucoup plus facile de le faire aller de haut en bas plutôt qu’horizontalement, de l’intérieur vers l’extérieur."

Cependant, selon les contenus et l’usage que l’on veut en faire, la navigation horizontale peut s’avérer davantage adaptée : "Quand on voit un visuel en grand, qu’on peut lire d’emblée toutes les infos sur un écran, on peut décider de passer - ou pas - au contenu suivant, en 'swipant', en navigant horizontalement. C’est le principe de Tinder ou de la Matinale du Monde".

via GIPHY

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Du côté de l’infographie, du nouveau

Dernier format impacté par la verticalité du smartphone : l’infographie. Le format "flowchart" - ces infographies sur une colonne que l’on déroule - ne date pas d’hier. Mais la tendance s’accentue. "Les médias nous demandent de plus en plus d’infographies verticales", confirme Karen Bastien, à la tête de l’agence WeDoData. "Notre dernière commande, pour les Echos Start, qui vise un public plus jeune, en mobilité, répond à cette demande : une centaine de fiches XXL."

"Tout l’enjeu est de relancer l’intérêt, de penser aux exergues, relances, pour continuer à lire le contenu", souligne Karen Bastien. 

Une victime de cette tendance : les cartes.

Depuis Mercator, on visualise les pays sur une mappemonde horizontale. Pour l’instant, on demande aux gens de tourner leur téléphone pour voir la carte en entier. Mais jusqu’à quand ?"

Tous ceux qui communiquent - vont devoir faire preuve d’imagination dans les années à venir pour entrer dans l’ère de l’information visuelle verticale. Une contrainte, mais aussi un vent de fraîcheur pour l’ergonome Amélie Boucher :

On observe clairement une uniformisation des formats, des vidéos, des pratiques et des interfaces. On ne connaît pas encore précisément l’avenir de la vidéo verticale, par exemple. Mais, au moins, c’est nouveau !"

Aurélien Viers - @aviers 

Le Nouvel Obs
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