MONTAGNE / HISTOIRE Conquête des Alpes : le doute est permis

Dans les couloirs du château de Vincennes, à l’est de Paris, les archives du ministère de la Défense regorgent de cartes et de lettres qui sèment le trouble sur la véritable histoire de l’alpinisme. La conquête des sommets n’est peut-être pas celle que l’on croyait connaître…
Yoann GAVOILLE - 19 oct. 2015 à 06:06 - Temps de lecture :
 | 

Whymper l’intrépide. Whymper l’impavide. Whymper le conquérant. Et si, finalement, Whymper n’était qu’un usurpateur ? Ça donnerait une raison de plus aux Français de détester les Anglais. Alors que la monumentale statue de l’alpiniste londonien trône ostensiblement à L’Argentière-la-Bessée le torse bombé, le port altier et le regard tourné vers la Barre des Écrins, un secret d’Histoire est en train de fuiter. Au premier étage du pavillon Louis XIV, situé dans une aile du château de Vincennes, plusieurs documents exhumés des Archives de la Défense semblent suffisamment crédibles pour réécrire la conquête des Écrins. Et même de toutes les Alpes du sud, de la Chartreuse jusqu’à Nice, en passant par l’Oisans, le Queyras ou l’Ubaye. Messieurs les Anglais, vous n’avez sans doute pas grimpé les premiers ! Une nouvelle version est en cours de décryptage. Et Whymper ne serait pas le seul Anglais concerné. Moore, Walker, Tuckett, Mathews, Jacob, Stephen, Gardiner pourraient eux aussi tomber du piédestal. Oh my god ! Suprême avanie pour nos chers voisins d’Outre-Manche, ce sont des Frenchies qui leur volent la vedette dans le nouveau décodage des ascensions en haute montagne. Des expéditions oubliées, réalisées dans l’anonymat, accomplies quasiment secrètement.

Déjà, en 1750...

Une fois l’allégresse du chauvinisme digérée et le triomphe modestement analysé, il faut bien reconnaître que ce brave Whymper n’avait rien clamé, rien demandé, rien revendiqué. Il n’a donc pas menti. Et il n’y a pas de raison de crier haro. Ce sont les journalistes anglais de l’époque qui l’ont consacré pionnier, aventurier hors pair, digne représentant de la couronne royale et sujet modèle pour sa Majesté. Ça fait beaucoup pour un seul homme ! Si la prouesse sportive établie par Whymper au sommet des Ecrins en 1864 n’est aucunement remise en cause, il convient désormais de savoir à qui revient la paternité du sommet, qui l’a défloré en premier.

À en croire les documents de l’armée française longtemps classés “secret défense”, il pourrait s’agir du lieutenant Émile Meusnier, chargé d’effectuer des relevés topographiques tout en haut des Écrins… en 1853. Soit onze ans avant Whymper. Et pour l’ascension du mont Viso, le différentiel temporel est encore plus grand. Gigantesque même. L’Anglais Mathews l’a gravi avec certitude en 1861 et pourtant, un pictogramme indiquant qu’une balise a été placée sur ce point culminant du Queyras figure déjà sur une série de papiers en tissu de 7 mètres de long datant de… 1750 ! Soit plus d’un siècle avant la version officielle de l’Histoire.

De quoi chambouler toutes les convictions

Sur ces canevas trigonométriques et géodésiques commandés par l’ingénieur militaire Pierre-Joseph de Bourcet, les principaux sommets du Dauphiné sont déjà notés. Avec calcul des angles et des distances. Pour mener à bien ces campagnes cartographiques, les sommets auraient été gravis au moins à trois reprises : une fois pour la reconnaissance, une fois pour monter le matériel et une autre fois pour effectuer les relevés de triangulation.

De quoi chambouler toutes les convictions sur l’âge d’or de l’alpinisme. Et dans la salle de lecture du service historique de la Défense à Vincennes, les trouvailles se multiplient. Sur des correspondances entre cartographes datant de 1750, des officiers de l’époque mentionnent la présence de villageois pour les guider sur les différents sommets des Alpes du sud.

Cela ouvre l’hypothèse qu’ils y étaient déjà montés avant. Aussi, dans les vallées de la Clarée et de la Vallouise, des fiches de paye établissent le concours des villageois pour déposer des balises de mesure sur une trentaine de sommets avant l’arrivée des militaires. Les hommes de Bourcet ont ainsi découvert que ces “crétins des Alpes” avaient les capacités et les compétences pour grimper en haute montagne. On ne sait pas quand, on ne sait pas qui… mais les archives prouvent qu’ils y montaient déjà. C’est une révolution. Une révolution qui porte des anonymes au pinacle.