Vincent Blondel (UCL) «Avec ce décret, on risque la fin des universités»

Un an après sa prise de fonction, le nouveau recteur de l’UCL se fait davantage incisif. Il attaque de front le décret réorganisant l’enseignement supérieur. Entretien.

Chef du pôle Société Temps de lecture: 4 min

On l’avait connu plus discret, plus lisse, moins polémique. Il confirme aujourd’hui un adage connu : la fonction fait l’homme. Un an après son arrivée à la tête de l’UCL, le nouveau recteur Vincent Blondel se révèle plus incisif, davantage revendicatif. Alors que le conseil d’administration de l’Université vient de valider son plan stratégique « Louvain 20/20 » (lire ci-contre), il accorde au Soir une interview de rentrée qui ne passera pas inaperçue dans le milieu. Dans sa ligne de mire : l’organisation de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et plus particulièrement les dégâts collatéraux du décret Marcourt réformant le secteur.

Dans quel contexte socio-économique s’inscrit votre plan stratégique ?

Le plan stratégique est une réponse à un ensemble de défis, j’en identifie quatre, communs d’ailleurs à toutes les universités francophones. il y a d’abord la décroissance du financement rapporté par étudiant. À l’UCL on est passé en 10 ans, de 20.000 à 30.000 étudiants alors que l’enveloppe à disposition des universités est fermée. Au quotidien, ce sous-financement amène des difficultés insoupçonnées. Un seul exemple : certains professeurs doivent encadrer plus 20 mémoires ! Cela ne peut plus durer !

D’autres défis ?

Nous sommes face à une évolution rapide du public étudiant. L’irruption du numérique crée de nouveaux besoins, on ne peut plus par exemple ouvrir une salle d’étude sans offrir du wi-fi. Par ailleurs, je voudrais parler de l’internationalisation : le contexte s’est considérablement modifié ces dernières années. Ainsi, la France a installé à Bruxelles un guichet « Campus France » dont l’objectif est d’attirer des étudiants belges. Par ailleurs Oxford, Cambridge ou Maastricht recrutent parmi nos jeunes. Ces exemples illustrent que l’université est désormais au cœur d’un vrai marché. Si les jeunes y trouvent la trajectoire qui leur paraît la plus appropriée, la plus bénéfique, c’est une très bonne chose. Par contre, alors que nos universités n’adoptent pas la même attitude agressive, ce mouvement constituera vite une véritable menace pour elles. Que se passera-t-il le jour où 10-20 % des étudiants du secondaire partiront à Maastricht, Oxford et Cambridge sans contrepartie ?

Comment se passent les choses au sein de l’Ares ?

Le fonctionnement de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur – NDLR : l’Ares, qui chapeaute tout l’enseignement supérieur – avec ses multiples commissions est chronophage et énergivore. Plus de 200 personnes sont impliquées dans ce travail de coordination des différents acteurs. Par ailleurs, le décret Marcourt incite les différents types d’enseignement supérieur (universités, hautes écoles, instituts supérieurs des arts et promotion sociale) à dialoguer. C’est bénéfique pour mettre en œuvre des synergies sur le partage d’infrastructures culturelles ou sportives. Par contre, j’estime que le degré de précision du nouveau décret va trop loin dans ce qu’il dicte aux acteurs. Savez-vous que pour certaines formations nous devons produire le détail des programmes des cours donnés ? Si un jour l’Ares se met à prendre des décisions sur le fait qu’un cours figure sur un programme, je ferme boutique ! Qui est l’organe qui décide du contenu d’une formation, l’Ares ou l’institution qui la donne ? Pourquoi ne puis-je pas organiser un examen après un bloc de cours intensif ? Si on n’y prend pas garde, le décret – parce qu’il génère des divergences d’interprétation – peut représenter un vrai risque de perte d’autonomie des institutions.

Vous êtes inquiet pour le devenir de l’université ?

Oui, parce que ce décret amène, par-dessus le marché, une confusion dans les types d’enseignement, tout particulièrement entre les universités et les hautes écoles. Si cette confusion s’installe de manière trop claire, le décret mettra en péril le devenir des universités. Aujourd’hui, on pousse à l’extrême les contraintes pour favoriser les co-diplomations. Or, les différents types d’enseignement sont là parce qu’ils ont des finalités sociales différentes. À chacun son rôle ! Des collaborations qui poussent vers une offre de formation identique signeront la fin des universités dans 10 ou 20 ans. Le jour où les 6 universités et les 20 hautes écoles deviendront 26 « universités-hautes écoles » ce sera la fin des premières. Si on fait jouer aux universités francophones un rôle qui ne correspond pas à celui qui est perçu au niveau international, le risque c’est que les étudiants qui veulent une formation de niveau universitaire délaissent nos institutions.

Craignez-vous un nivellement par le bas ?

Pas du tout ! Les universités et les hautes écoles ont des rôles différents et elles doivent être chacune au maximum de leur niveau dans ces rôles différents. Mais les spécificités de l’université – professeurs-chercheurs, formations en relais avec une activité de recherche fondamentale – doivent être préservées. Le décret, dans sa version actuelle, est de nature à flouter le positionnement des universités francophones, il doit donc subir des évolutions.

 

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