Fantassins de la semence

Les marchés de l’Ariège offrent une promenade en soi. Quelques-uns des maraîchers disposent sur leur étal des légumes, dits anciens, tomates, cucurbitacées, aux formes et aux couleurs inhabituelles, qui méritent une photo, ne serait-ce que pour mémoire. Car, après leur renaissance, on peut aussi se demander s’ils y survivront ? On sait la réglementation très stricte, française et européenne, à laquelle est soumis le commerce des semences.

Répréhensible

En résumé, interdiction d’utiliser des graines de vieux légumes pour en faire commerce. Passer outre la loi est considéré comme un acte répréhensible, passible d’amendes, quand ce n’est pas de peines d’emprisonnement.

C’est ainsi que 2 maraîchers ariégeois ont vu débarquer un contrôleur de la répression des fraudes, qui leur a dressé délit pour la vente de plants de tomates non inscrits au catalogue et non présentation de la carte interprofessionnelle .

L’amende en perspective : 450 €

Préserver

Les acteurs, défenseurs de la biodiversité, sont depuis longtemps vent debout contre cette législation, tandis que les semenciers et la grande distribution suscitent à leur encontre procédures juridiques et de procès.

En pointe dans ce mouvement, l’association kokopelli. Son objectif, rassembler tous ceux qui se sentent concernés pour préserver le droit de semer librement des semences potagères et céréalières, de variétés anciennes ou récentes, libres de droit et reproductibles.

Collection

Et d’agir en conséquence pour les cultiver, soit simplement dans son jardin, sur son balcon ou, de façon plus professionnelle, en les écoulant, après production maraîchère, dans le commerce.

En 20 années d’existence, kokopelli a réuni une collection planétaire unique de 2200 variétés, dont 650 de tomates, 200 de piments, 150 de courges, pour ne citer que celles-là.

Gardiens

À quoi s’ajoute une centaine de variétés pratiquement peu cultivées, peu connues, presque en voie de disparition, provenant d’adhérents jardiniers particulièrement motivés et actifs.

«  Ce sont les jardiniers, lit-on sur le site de Graines de vie, qui, de tout temps, ont été les meilleurs gardiens de la biodiversité, il y a 13 millions de jardiniers en France, c’est une grande force citoyenne ».

RG

Mais le combat associatif n’est pas de tout repos. « On a souvent les Renseignements généraux sur le dos, explique au crapaud un responsable de kokopelli, Ananda Guillet. Ils veulent nous confondre, par exemple, en prétextant que nous cultivons du cannabis…

… L’écologie est tellement en vogue, tout est vert, des élus jusqu’aux bagnoles, qu’il serait fou de s’en prendre à nous, ce qui occasionnerait un énorme « foin médiatique » et servirait plutôt notre cause. Punir quelques maraîchers est plus facile…

Peur

Quant à modifier les réglementations en vigueur, nous n’y croyons pas. Nos autorités ont peur, peur du nombre, peur des multinationales, peur de se battre à Bruxelles pour leur tenir tête ?..

… Que pouvons-nous espérer contre les lobbyistes, qui traînent leurs guêtres dans les antichambres des instances européennes, quelques dizaines pour chacun des grands semenciers, l’américain Monsanto, l’allemand Bayer, le suisse Syngenta …

Politique

… Pour nous c’est un travail de terrain essentiellement, de militant, et d’ailleurs on ne peut pas mettre un flic derrière chaque jardinier ou maraîcher. Nous avons à nos côtés 8000 adhérents et plus de 50 000 clients…

… Les semences, un sujet éminemment politique. Elle est au départ de la vie, la base de notre agriculture et l’agriculture la base de nos sociétés. Les états et les multinationales l’ont bien compris. S’ils mettaient la main sur les semences, ils contrôlaient tout le système derrière…

Bio avant tout

… et leur grande force est d’avoir occulté le sujet. Le citoyen « normal » a totalement oublié l’existence des graines, on n’en parle pas à l’école et même pas dans les écoles d’agronomie, sauf à aborder le problème des hybrides commercialisées et des Ogm ».

En fait, rares sont les maraîchers qui favorisent le légume hors nomenclature, encore plus rares les agriculteurs, concentrés pour certains sur la réorientation de leur exploitation vers le bio (avec des semences provenant des multinationales, mais sans traitement chimique).

La forme

Interdire les légumes d’un autre temps, qu’ils soient anciens ou résultat de greffes modernes, contribuerait à mettre à mal tout un pan de l’économie ariégeoise, du Couserannais notamment, dans les Pyrénées. Un des producteurs est prêt à braver l’interdit et les contrôleurs.

«  Les fruits et légumes de la grande distribution, traités de diverses manières, déclare-t-il à un journal local, ça vous remplit le ventre mais ne nourrit pas. Les variétés anciennes sont de meilleure valeur nutritive, elles enrichissent le menu de ce qu’on achète habituellement tout calibré…

… À croire, avec cette législation, qu’on ne veut pas voir des gens en bonne santé. La production de variétés non autorisées n’est pas rentable, oui, j’en vends en petite quantité, mais mes clients, eux, pètent la forme ».